La saison 2018 aura décidément été marquée par des événements à répétition qui portent préjudice à l’image des courses. Les turfistes ne sont pas au bout de leurs peines, car il ne se passe pas une semaine sans que les autorités ou les acteurs des courses mauriciennes ne se rappellent à leur bon souvenir, et ce, malheureusement, pour des mauvaises raisons. Il y a d’abord cette épée de Damoclès qui pèse sur les jockeys Sooful et Louis, accusés par un ancien propriétaire — il l’était au moment des faits —, qui a déjà été dans la rubrique des faits divers, de leur devoir des sommes d’argent importantes. Cette affaire a fait surface à l’issue de la dernière journée de courses, car la victoire du jockey Sooful sur Wild Horizon dans l’épreuve principale est venue déjouer des arrangements préétablis en faveur d’un autre partant de cette course.
Pour soutenir ses dires, le troublant propriétaire a utilisé les réseaux sociaux pour divulguer des photos de la visite de ces deux jockeys mauriciens dans son salon et devant son domicile le 28 novembre 2016 — après la dernière journée régulière des courses — où, selon le propriétaire, ils seraient venus demander un délai pour rembourser leurs dettes. On peut s’étonner qu’une telle visite banale ait été immortalisée par des photos, mais cela traduit bien un état d’esprit prédisposé à confondre ceux qui ne respecteraient pas un engagement pris envers lui ou tout simplement un outil de chantage éventuel. Appelé devant les commissaires de courses dans le cadre d’une enquête officielle, le jockey Sooful, qui a exigé le huis clos, nie avoir emprunté de l’argent de cet ex-propriétaire, mais aurait avoué l’avoir fait d’un autre jockey mauricien, proche de son dénonciateur, et qu’il aurait déjà remboursé sa dette.
Quoi qu’il en soit, il est un fait que ces jockeys se sont retrouvés au domicile de cet individu et qu’ils ont par ailleurs bien emprunté de l’argent. De qui ? Pour quoi faire ? Quel rôle a joué le jockey entremetteur dans cette affaire ? Pour quelles raisons ce propriétaire aurait-il avancé cet argent ? Quelles que soient les réponses à ces questions, il est incontestable que ces jockeys mauriciens ont fait preuve d’une grave imprudence par rapport au statut que leur confère le métier de jockey, qui doit être au-dessus de tout soupçon. Ils ont eu des relations douteuses, directement ou indirectement, avec un personnage controversé, et le pire c’est qu’au centre de ces rapports, il y a eu des flux d’argent. Il serait naïf de penser que cet ex-propriétaire aurait seulement agi en bon samaritain et qu’il n’avait pas des visées inavouables derrière son généreux geste de mouvement monétaire. Il n’y a qu’à se référer à sa colère actuelle pour mieux évaluer ses desseins réels.
Eu égard aux Rules of Racing, à moins de pouvoir prouver que ces emprunts sont le résultat d’échanges de bons procédés — incluant d’avoir des tuyaux privilégiés ou d’obtenir des jockeys qu’il fasse des missions en course —, les Stipes paraissent bien démunis pour faire aboutir leur enquête, d’autant que le prêteur n’est pas un licencié du club. Si l’ex-propriétaire ne peut être sanctionné par le MTC, par contre, les jockeys sont susceptibles de se faire remonter les bretelles, car toute cette affaire renforce l’image mafieuse des courses mauriciennes.
En tout cas, cette affaire est aussi révélatrice de la vulnérabilité des jockeys mauriciens au sein de l’industrie hippique locale. Il ne faut pas se faire d’illusion et penser que le grand train de vie que mènent certains d’entre eux ne serait que le résultat de leurs maigres revenus et des cadeaux aléatoires provenant des propriétaires des chevaux qu’ils ont menés à la victoire. Cette politique de cadeaux monétaires, qui n’est pas mesurée ni contrôlée, ouvre la porte à d’autres pratiques malsaines. Celle des « cadeaux » obtenus de manipulateurs pour effectuer des missions en course, soit « box » un adversaire, soit faire sortir de son pas le cheval qui mène ou protéger le carrosse de la mariée en participant au premier rideau qui protège le leader, sans compter les autres astuces qui font aboutir la volonté du bailleur de fonds, parmi lesquels on retrouve des bookmakers notoires.
Nous avons des jockeys de talent et ils méritent mieux que d’osciller entre la misère et des fortunes passagères. Il leur faut un statut et des revenus décents qui protégeraient les plus honnêtes d’entre eux de la tentation de l’argent facile associé à la tricherie. Karis Teetan a montré qu’à force de travail et avec une mentalité de probité absolue, on pouvait atteindre des sommets. Son coup de cinq à Hong Kong, dimanche dernier, démontre bien qu’il y a une autre voie et que c’est cela qu’il faut encourager. Le Mauritius Turf Club, avec l’aide des autorités gouvernementales, devrait accélérer le processus de club jockey, ce qui garantirait un niveau de revenus plus acceptables, mais aussi des courses plus propres. À condition que les sanctions sévères suivent les fautes graves… et que les Stipes ne se contentent pas uniquement de la vérité des films — qu’ils analysent très bien avec la rigueur voulue —, mais il est indispensable qu’ils s’ouvrent aussi à la réalité du terrain, en se dotant d’une intelligence unit qui leur permettra de mesurer l’autre face des courses dans un angle plus réaliste et conforme aux flux monétaires qui les perturbent.
L’autre nouvelle perturbante qui a fait le tour de la toile cette semaine concerne le départ pour le moins inattendu du jockey australien Daniel Stackhouse. Adulé il y a un mois après sa victoire dans le Maiden, il n’est plus en odeur de sainteté depuis les défaites de The Great One et de Perplexing. On peut comprendre dans ces circonstances que le syndrome du home sickness se soit brutalement réveillé, mais cela ne nous étonnerait pas qu’un récent dîner dans le Nord de l’île ait fait montée l’adrénaline de ses employeurs, très peu friands de ces coteries suspectes de la part de quelqu’un qui connaît du bout de ses doigts les rouages des coulisses des courses locales, au point d’être une plateforme d’échanges de bons procédés, d’autant qu’il s’est débrouillé pour être un tipster du couple MBC-MTC.
L’actualité est plus inquiétante encore avec la volte-face annoncée de la GRA qui, après avoir distribué des licences d’opérateurs à gogo, pour le financier du gouvernement, et la multiplication des points de vente pour le Loto, s’apprête à entamer la réduction des points de paris des opérateurs du football et rapatrier au Champ de Mars les bookmakers opérant à travers l’île. La claque récemment reçue en cour à ce sujet n’a, semble-t-il, pas été retenue, mais ce qui choque, c’est cette partisanerie éhontée pratiquée par un organisme d’État censé être indépendant.
Plus rien n’étonne désormais…
Bernard Delaître