À 24 ans, Yuv Sungkur est Climate Advocate. Son rôle consiste à sensibiliser le plus grand nombre sur l’impact du changement climatique sur les Petits États insulaires en développement (PEID). Malgré son jeune âge, il a déjà fait entendre plus d’une fois sa voix. Il a ainsi fait un TEDx Talk en 2022, s’est exprimé aux côtés du Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, lors de l’Assemblée générale de l’ONU, à New York, en septembre de cette même année. À la CoP 27 en Égypte, il a représenté les intérêts de la jeunesse mauricienne sur diverses questions liées au climat (éducation, migration climatique, perte du patrimoine culturel). Et là, Yuv Sungkur revient de Bali, où il a été sélectionné pour représenter Maurice sur les Issues touchant les océans, et fait partie du Youth Engagement Group de la Climate Overshoot Commission, où il conseille d’anciens Premiers ministres, présidents et envoyés spéciaux des Nations Unies sur des sujets liés au climat.
À 24 ans, vous avez contribué à un rapport sur le climat publié le 14 septembre dernier pour la Climate Overshoot Commission. Comment ce déclic s’est-il produit ?
Après la CoP 27, un de mes amis et collègues des Seychelles (qui travaille également dans le domaine des négociations climatiques) m’a nommé pour devenir l’un des membres de ce groupe d’engagement des jeunes. J’ai envoyé mon profil et, quelques semaines plus tard, j’ai eu la chance de rejoindre la commission, ainsi que de voyager à Nairobi, au Kenya, ou encore à New York. Ce rapport, dans lequel le groupe d’engagement des jeunes a ses propres opinions, est le résultat de recherches approfondies menées par les commissaires, les conseillers scientifiques, le secrétariat et, bien sûr, par nous, le groupe d’engagement des jeunes.
À un si jeune âge, pourquoi une telle hargne à mener un combat pour conscientiser sur les dangers du réchauffement de la planète ?
Ce combat d’être un Climate Advocate me passionne depuis très longtemps. J’ai vite compris que nos petits États sont les plus vulnérables face à l’impact du changement climatique, alors qu’ils émettent moins de 1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. C’est une injustice climatique, sociale et historique qui me touche. Je veux donc faire entendre la voix des Mauriciens et des jeunes au plus haut niveau, et je porte ce message dès que j’en ai l’occasion à des sommets internationaux.
Nous parlons beaucoup de réchauffement de la Terre. Le rapport de la Climate Overshoot Commission propose des stratégies pour éviter de dépasser l’objectif de +1,5 °C de réchauffement de la planète par rapport à l’ère préindustrielle. Quelles seront les mesures adoptées pour réaliser cet objectif ?
Le rapport propose un agenda nommé CARE, pour Cut emissions, Adapt to climate change, Remove carbon dioxide et Explore solar geoengineering. Le document propose aussi des stratégies pour financer la transition climatique, en mettant l’accent sur les besoins primordiaux des pays en développement.
Vous faites partie des six jeunes intégrant la commission pour former le Youth Engagement Group. Comment êtes-vous parvenu à une telle reconnaissance ?
Je n’ai jamais eu peur de frapper aux portes. En 2022, j’ai frappé à celle de TEDx Plaines-Wilhems, non pas parce qu’il m’avait contacté, mais parce que j’étais persuadé que j’avais un message à faire passer, et qu’il me fallait une scène comme TEDx pour faire comprendre ce point au grand public, mais aussi à notre gouvernement. Cette « reconnaissance » émane juste d’une confiance en moi, qui ait le culot de croire en moi et en mon message. Cette même combativité m’a fait parler aux côtés du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, à New York lors du Transforming Education Summit, où mon intervention était axée sur l’éducation climatique à Maurice.
Du coup, j’ai fait partie du groupe des six jeunes du monde entier ayant été choisis par la commission pour former le Youth Engagement Group, un groupe de conseillers auprès des dirigeants mondiaux. Ensemble, nous avons participé à la création de stratégies proposées dans le rapport publié le 14 septembre 2023 à New York. Je me suis retrouvé à conseiller d’anciens Premiers ministres et présidents.
Précisément, comment ces cinq jeunes et vous avez-vous séduit au niveau de votre expérience et de vos attentes face au réchauffement climatique ?
Je suis plus que chanceux de travailler avec ces cinq autres membres du groupe d’engagement des jeunes. Je ne saurais trop insister sur ce point. Nous venons littéralement du monde entier, et c’est ce qui fait la beauté de notre groupe.
Jeremiah Thoronka vient du Sierra Leone, Chandelle O’Neil de Trinidad et Tobago, Alex Clark de Grande-Bretagne, Louise Mabulo des Philippines, et Shirmai Chung de Hong Kong. Nos expériences au niveau local, national et international se complètent parfaitement, car chacun apporte sa pierre à l’édifice. L’un peut être plus spécialisé en recherche, l’autre plus dans les actions au niveau local et communautaire, et un dernier est né pour être diplomate.
Nous avons fait en sorte que nos différentes perspectives et de vision de la vie deviennent une force, que nous avons su retranscrire dans notre propre rapport et recommandations, que nous avons pu présenter à Nairobi en mai. Je suis heureux d’avoir pu travailler avec des jeunes aussi inspirants et je suis sûr que nous travaillerons sur d’autres projets ensemble dans un futur proche.
Le rapport évoque aussi des stratégies pour financer la transition climatique en mettant l’emphase sur les besoins primordiaux des pays en développement. Votre opinion par rapport à cela ?
C’est normal et nécessaire. Aujourd’hui, les plus grandes victimes du changement climatique sont les pays du Global South. Les pays en développement ont besoin de financement transparent de la part des pays développés et d’une manière régulière – déjà qu’il y a eu une promesse non tenue de USD 100 milliards par an pour les pays en développement. Il faut maintenant réussir à tenir ses promesses et mettre l’argent sur la table, là où ça compte. Il est inconcevable de vouloir sauver notre futur sans penser aux personnes qui en souffrent déjà aujourd’hui.
Comment générer un impact conséquent de ce rapport au niveau international ?
Maintenant que le rapport est lancé, c’est une question de dissémination. Il faut faire en sorte que le rapport ait un impact au niveau international, et c’est déjà le cas ! Les plus grands médias internationaux, comme le Time Magazine, le New York Times, The Economist, Le Monde, ou encore le World Economic Forum ont déjà publié des articles sur ce rapport. En plus de cela, les Commissioners rencontrent les plus grandes institutions, comme le PNUD ou le secrétariat général de l’ONU pour générer un impact conséquent.
Vous considérez-vous heureux de voir que des dirigeants mondiaux décident de se rallier à la jeune génération ?
Évidemment. Comme jeune, je suis très heureux de voir que des dirigeants mondiaux avec une expérience aussi inspirante décident de faire confiance à notre génération. Les commissaires et le secrétariat de l’ONU nous font vraiment confiance et nous prennent en totale considération dans leurs démarches. C’est rassurant et gratifiant de savoir qu’il y a un respect mutuel, malgré la différence d’âge et de perspectives. Beaucoup de gouvernements devraient s’inspirer de cette façon de faire.
Ces anciens dirigeants mondiaux ont décidé, de leur propre gré, de s’engager à trouver des solutions et à les mettre en action, et pour cela, je ne peux que les remercier. À travers leur carrière, ils ont réussi à fédérer leurs pays à leurs causes; ils savent comment créer un momentum. Aujourd’hui, ces dirigeants peuvent discuter avec les plus hautes instances du monde international. Pour la cause climatique, c’est une chance qu’il faut saisir, et au niveau personnel, je ne peux qu’apprendre d’eux.
Quelles sont les prochaines étapes que le conseiller junior pour la commission que vous êtes veut franchir ?
En tant que Climate Advocate, cela montre que notre travail de sensibilisation est pris en compte au plus haut niveau. C’est une vraie victoire pour nous.
Vous évoquez aussi une forme « d’injustice » par rapport au changement climatique, d’autant que le World Risk Report de 2018 a classé Maurice au 16e rang des pays les plus exposés aux catastrophes naturelles…
J’ai commencé mon travail de Climate Advocate en comprenant l’injustice climatique que des îles comme Maurice subiront si nous fermons les yeux sur ce qui se passe. En tant que petit État insulaire en développement, nous sommes automatiquement considérés comme l’un des pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique en raison de notre position géographique et de notre taille.
Il est impossible pour moi de concevoir que notre île soit ravagée par des catastrophes climatiques que nous n’avons pas causées. Il est impossible pour moi d’accepter que ce soient les pays riches pollueurs qui font les dégâts, et que nous serons les premiers touchés et eux, les premiers épargnés. Pour moi, parler du changement climatique, c’est avant tout protéger notre population et leur faire comprendre que nous subirons sur le long terme les résultats catastrophiques d’un système qui ne nous prend pas en compte.
Est-ce à dire qu’une campagne de sensibilisation et d’éducation permettra à l’homme d’être moins polluant face à la nature, moins de déchets, moins de plastique et autres contraintes ?
Les campagnes de sensibilisation sont cruciales, car elles permettent au niveau local de faire changer les mentalités, et c’est ce qu’il faut. Il existe deux manières de résoudre la crise climatique, soit en optant pour une approche ascendante, où le gouvernement met en place les bonnes politiques pour développer le pays de manière durable, et deuxièmement, autre approche, celle où ce sont les gens (sociétés civiles, leaders de la jeunesse, communautés) qui montrent au gouvernement qu’ils veulent changer. Maintenant que j’ai beaucoup simplifié les choses, les solutions sont bien plus complexes, mais les deux réponses sont nécessaires pour que nous puissions avancer.
L’éducation est synonyme d’innovation, ce qui peut aussi être une innovation climatique. Comment exploiter ce terrain et permettre une meilleure ouverture d’idées ?
L’éducation est en effet un moteur clé de l’innovation, y compris dans le contexte de l’innovation climatique. Pour exploiter ce potentiel, il y a plusieurs approches à considérer. Tout d’abord, il est essentiel de favoriser des programmes éducatifs multidisciplinaires qui abordent les enjeux climatiques sous différentes perspectives, permettant ainsi de relier des domaines apparemment disparates et d’inspirer des idées novatrices. Et cela doit commencer dans les écoles !
Il est aussi important de mettre à la disposition des étudiants et des chercheurs un accès facile à l’information, aux données climatiques et à des ressources pédagogiques actualisées. Cela favorise une meilleure compréhension du problème climatique et stimule l’innovation. À Maurice, un de nos problèmes est que nous avons les données, mais qu’elles ne sont pas accessibles à tout le monde.
Aussi, nous devons continuer à pousser la création d’incubateurs d’idées et de programmes de mentorat, ce qui peut encourager les jeunes innovateurs à développer des solutions climatiques en fournissant un environnement propice à l’exploration d’idées. Enfin, les partenariats public-privé sont un moyen efficace de mobiliser des ressources et de créer des opportunités pour l’innovation climatique. Ces partenariats peuvent jouer un rôle clé en fournissant des ressources, des financements et des opportunités de mise en œuvre.
Avec les inondations à New York, en Libye, au Pakistan, les feux de forêts à Hawaï, la sécheresse au Panama, etc., est-ce trop tard pour limiter les dégâts ?
Je sais que cela peut sembler redondant, mais les stratégies sont déjà là. Les engagements des États sont également présents. Dans chaque pays, sous la forme d’un plan de contribution nationale déterminée (NDC) qu’il doit suivre pour atténuer les effets du changement climatique, et ainsi atténuer ces horribles catastrophes qui se produisent dans le monde entier. Le seul problème que nous avons est le rythme auquel nous avançons. Nous sommes trop lents.
En tant que jeune, quelle serait votre stratégie pour contrer ces effets du changement climatique ?
J’aime prendre cette métaphore : nous avons la voiture (les États), notre moteur fonctionne (les règles et réglementations établies), nous avons même le carburant (les finances) et la ligne d’arrivée (notre objectif, rester sous la barre de +1,5 °C). Nous n’avons plus besoin que d’un pilote (les dirigeants) pour appuyer sur la pédale d’accélération.
À Bali, où vous étiez à l’AIS Youth Conference, vous étiez le seul représentant mauricien à se mesurer à 30 jeunes des îles du monde. Que retenez-vous de ce moment ?
Après avoir été choisi parmi les 30 délégués pour être leur représentant devant le président d’Indonésie, je n’ai pas vraiment de mots pour exprimer combien je suis reconnaissant et béni. C’était une expérience unique, que je n’oublierais jamais.
C’est juste dommage et frustrant qu’aucun représentant mauricien n’ait été présent. C’était là aussi un des Highlights de ma jeune carrière. Le fait de rencontrer autant de jeunes des îles du monde entier est une chance énorme. Pouvoir échanger sur nos visions, nos doutes, nos peurs… mais aussi nos pensées sur la manière de faire évoluer les choses. C’était une expérience superbe de pouvoir partager cela avec autant de jeunes. J’ai énormément appris grâce à eux, et c’est réconfortant de voir que le combat que je mène à Maurice est reproduit dans les Caraïbes et dans le Pacifique.
Sur quoi portait votre déclaration de la jeunesse à l’AIS ?
La Déclaration de la jeunesse de l’AIS est un document historique, qui constituera une réalisation historique, selon laquelle les jeunes des pays de l’AIS continuent toujours de défendre et de protéger l’océan à travers quatre thèmes stratégiques principaux axés sur une action climatique basée sur les océans : l’économie bleue durable, l’éradication de la pollution marine, et promouvoir une bonne gouvernance des océans, soutenue par le rôle de la jeunesse. Cette déclaration est accompagnée d’un ensemble complet de notre plan d’action unilatéral, dans lequel nous mettrons en œuvre individuellement notre engagement dans le plan d’action pour amplifier l’impact concret de cette déclaration.
Cette première conférence de la jeunesse des États archipélagiques et insulaires de Bali était motivée par un processus favorisant un engagement et une participation significatifs des jeunes dans l’élaboration de l’avenir de notre océan. Votre avis ?
Pour la première fois de l’histoire, les chefs d’États et leurs délégations des îles du monde entier se sont réunis (hormis Maurice, qui n’est pas venue) pour discuter de l’avenir de nos océans. Je remercie énormément l’AIS Forum et le secrétariat d’avoir pensé à inclure et engager les jeunes des îles dans ce processus pour créer l’AIS Youth Declaration. Notre passion et nos engagements se matérialisent dans cette déclaration. Elle rappelle que nous, jeunes des États insulaires, continuerons de faire entendre notre voix en faveur d’un avenir meilleur pour les océans, qui sera toujours déterminé par nos actions locales.
Un message fort que vous voudriez véhiculer auprès des jeunes ?
Ce que je m’apprête à dire va au-delà du domaine du changement climatique, et je m’adresse à la jeunesse mauricienne. Cela fait près de trois ans que je suis impliqué dans le monde de l’Advocacy en élevant ma voix, en essayant de m’assurer que je suis entendu, que je suis reconnu et que les problèmes que je vois et les solutions que je propose peuvent être entendus et discutés.
J’ai eu l’occasion de parler devant de nombreux ministres, ambassadeurs, directeurs, envoyés de l’ONU… Pourtant, le fait est que j’ai 24 ans et que je ne peux pas avoir cette prétention de tout connaître. Mais ce que je sais, c’est que ce que j’essaie d’accomplir de toute mon âme, de toute ma passion vise à apporter un changement positif.
Et je ne suis pas seul ici : nous, en tant que jeune génération, avons tous rêvé de créer quelque chose. Une entreprise, une start-up, une page Instagram, peu importe ! Nous avons la capacité et la chance d’essayer au moins.
Mon message est donc le suivant : allez plus loin que ce qui a déjà été établi ! Allez plus loin qu’un simple cours universitaire ! Allez au-delà ! Et, surtout, sachez pourquoi. Et pour nos mentors, nos seniors, inculquez la passion à votre travail, inculquez le « pourquoi » nous devrions faire ce que nous faisons et le « comment » nous pouvons l’améliorer.
Notre génération peut se permettre de ne pas être étiquetée à un seul titre. C’est la beauté de notre génération. Nous devons arrêter de penser à nous conformer aux règles établies. Si nous voulons un changement efficace, nous devons parfois le créer nous-mêmes. J’espère que ce que j’essaie d’accomplir dans le domaine climatique à Maurice pourra toucher ma génération au-delà de la cause, et ils verront que tout est possible.