Le processus de réforme électorale sera-t-il un jour enclenché ? Cette question, que tout le monde se pose depuis des années, doit en tout cas être débattue, ce qui constitue évidemment en soi une avancée. Quant à savoir si la réforme sera effective avant les prochaines législatives, là, c’est une tout autre histoire. Reste qu’il demeure de plus en plus impératif de changer de système électoral, notre société mauricienne étant, comme le reste du monde, engagée dans une mutation profonde, économique et sociale, imposant dès lors un changement de nos comportements sectaires. En effet, alors que nous venons de célébrer nos 50 ans d’indépendance, le moment apparaît des plus opportuns de redonner sens à cette « identité nationale » dont nos dirigeants se gargarisent à longueur d’années, réunions après réunions, congrès après congrès. Peut-être serait-il temps aussi de laisser derrière nous ces éternels clivages communautaires qui polluent notre développement pour s’intéresser à la seule et véritable question d’importance : que pouvons-nous faire en tant que Mauriciens pour négocier correctement le nouveau virage politique qui se profile ? Question à laquelle il serait d’ailleurs bon de pouvoir répondre par la voie d’un référendum, mode de consultation populaire de portée nationale que l’alliance gouvernementale nous avait promis il y a bientôt quatre ans.
Tout comme ce sentiment profond d’appartenance à une île Maurice solidaire, unie et indissociable nous anime lorsque flotte fièrement notre quadricolore dans les compétitions internationales ou à La Haye, l’heure semble désormais venue de faire appel à ces mêmes sentiments dans notre vie quotidienne, que ce soit au bureau, dans la rue ou, prochainement, devant les urnes. Reste évidemment à savoir quels seront les grands axes de la future réforme et si les politiques du jour auront le courage de rapidement la mettre en pratique. Cela dit, s’il est impérieux de changer de système, encore faut-il en délimiter les contours.
Sur ce point, les idées ne manquent pas. Le groupe de réflexion Think Mauritius propose ainsi un système à 50 circonscriptions, chacune comprenant un seul élu, contre trois actuellement pour 20 circonscriptions. L’idée paraît intéressante, les animateurs de Think Mauritius estimant en effet que ce faisant, « le “communalisme” perdra de son importance car les partisans de chaque parti politique voteront pour le candidat de leur parti, quelle que soit sa communauté ». Sont aussi évoquées l’élimination du Best Loser System et l’introduction d’une dose de représentation proportionnelle permettant de corriger le First Past The Post, et ce afin de donner « une plus juste représentation des votes exprimés en termes d’élus au Parlement ». Dans la conjoncture, l’idée, là encore, est à creuser. Malheureusement, ce système nous éloigne toujours de l’idéal absolu, celui de pouvoir totalement nous désenchaîner de notre étiquetage communautaire, symbolisé par le terme « représentativité proportionnelle ». Dans une île Maurice indépendante et transparente, qui plus est réellement assise dans le 3e millénaire, aucune réforme ne devrait en effet tenir compte de cette question d’appartenance, misant davantage sur la méritocratie et les attitudes à occuper des postes à hautes responsabilités. Ne pourrions-nous pas rêver, au moins un instant seulement, à une société qui serait désenclavée de ces perceptions sectaires et qui serait simplement dirigée par des personnes compétentes, sans avoir à tenir compte de cette obligation d’offrir tel ou tel ministère à un responsable de telle ou telle communauté ? Prenons le cas où l’ensemble du gouvernement serait composé de membres d’une seule et même communauté, tous étant cependant le « meilleur » pour occuper son maroquin ministériel, ne pourrions-nous nous en satisfaire, même en étant d’un groupe différent ? Il apparaît évident que, dans ce cas extrême, les mécontents seraient nombreux. Pour autant, le sont-ils lorsque nos sportifs glanent quelques médailles à des jeux internationaux ? Qu’importe en effet alors qu’ils soient créoles, hindous ou musulmans, pourvu qu’ils brillent dans leur catégorie. Aussi, en quoi la « chose » politique serait-elle dès lors différente ?
Évidemment, nous sommes encore très loin de ce monde parfait où nos concitoyens se sentiraient Mauriciens en toute occasion. En espérant toutefois que nous pourrons un jour nous libérer complètement de notre passé pour construire un avenir où chaque Mauricien, tout en conservant bien entendu ses valeurs ancestrales, serait acteur de son propre développement sans se laisser gagner par les clivages communautaires à chaque tournant crucial de notre histoire. Une hérésie, diront certains ; une douce chimère, diront d’autres. À cela, on pourrait juste leur répondre que l’utopie n’est pas un rêve, mais le moteur de l’action.
Michel Jourdan