Vincent Cassagnaud : « L’hôpital militaire est un site exceptionnel »

Vincent Cassagnaud, architecte conseil des bâtiments de France, faisait partie d’une délégation française en mission à Maurice la semaine dernière en vue d’aider l’équipe mauricienne à mettre en place le musée intercontinental de l’esclavage, à Port-Louis. Il considère que l’hôpital militaire est un site exceptionnel pour accueillir ce musée

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Quel est le but de votre mission à Maurice ?
Je suis venu avec deux collègues conservateurs et animateurs du patrimoine. Notre mission s’insère dans le cadre d’une mission d’expertise internationale demandée par le gouvernement mauricien pour concrétiser le musée intercontinental de l’esclavage dans l’ancien hôpital militaire.

Que pensez-vous de ce bâtiment ?
Au-delà du bâtiment, c’est un site qui est exceptionnel étant donné son rapport dans l’histoire de Port-Louis et de Maurice en général, et aussi par rapport à d’autres équipements culturels à proximité du site. Je pense à l’Aapravasi Ghat et au Caudan qui attire beaucoup de visiteurs chaque jour. L’hôpital militaire est un pôle majeur d’attractivité. Il y a un enjeu très fort à revaloriser ce site qui ne demande qu’à renaître.

Vous avez vu les travaux qui ont été entrepris dans le cadre de sa réhabilitation. Qu’en pensez-vous ?
C’est un bâtiment qui a eu plusieurs vies au cours de sa longue histoire. Il a d’abord été hôpital militaire, une partie a été transformée en bagne. Il a servi de bureau pendant plusieurs décennies. Son intégrité a été un peu malmenée par toutes ces pièces d’usage différent. Les travaux qui ont été réalisés récemment sur cette aile tout au moins ont permis de donner à ce bâtiment un caractère historique.

Est-ce un lieu idéal pour le musée de l’esclavage ?
Tout à fait. Les bateaux négriers arrivaient ici à Trou-Fanfaron et on débarquait la population captive. Donc, c’est une démarche riche de sens que de faire un musée dédié à cette histoire à cet endroit central. Demain, il y aura le métro qui passera à côté. Tout concorde pour que ce musée soit un succès.

Comment faire revivre la mémoire de l’esclavage dans ce bâtiment ?
Notre mission d’expertise n’est là que pour permettre de concrétiser des tas d’études qui ont été menées en interne par les équipes mauriciennes qui ont effectué un travail de recherche absolument remarquable. J’ai fait la connaissance de plusieurs chercheurs et autres universitaires en charge de ce dossier. Ils ont rassemblé tout ce qui a existé sur cette histoire. Le fait qu’il y ait eu une consultation publique a permis de comprendre quels sont les attendus de la population. C’est très important.

Ce n’est pas uniquement le travail d’une poignée de spécialistes qui se suffit à lui-même, mais il est pour toute la population quelle qu’elle soit. Il ne faut pas passer à côté des attendus de la population et le travail qui a été effectué en amont est le préalable indispensable pour que le projet de musée puisse être en corrélation avec les attentes légitimes de la population.

Le livre qui a été publié l’année dernière, qui reprend toutes les remarques de la consultation publique, nous a été remis et j’ai pu me rendre compte combien la population était attachée à ce que ce musée se concrétise parce que cela correspond à un travail de mémoire qui est absolument indispensable.

Êtes-vous familier avec l’histoire de l’esclavage ?
Par les postes que j’occupais avant. J’ai pu me familiariser avec cette histoire. J’ai été en poste sur l’île de La Réunion. J’ai aussi travaillé longuement sur la Guadeloupe. Ces deux îles ont été fortement marquées par l’histoire de l’esclavage. À travers ces expériences et surtout celle que j’ai vue à Maurice, j’ai pu me familiariser avec cet aspect de l’histoire.

On a constaté une prise de conscience concernant l’esclavage en France, un des pays qui considère l’esclavage comme un crime contre l’humanité…
Cela s’est fait en plusieurs temps. La ville de Nantes, qui est un des principaux ports négriers de France, a mis en place les Anneaux de la mémoire qui ont été, en France, la première manifestation tangible d’une prise de conscience collective sur l’histoire de l’esclavage. Ce projet a pour vocation la mise en œuvre de projets culturels sur les thématiques des mémoires, de l’histoire de la traite transatlantique et de ses héritages.
Elle a été suivie par Bordeaux qui a mis en place un département de son musée d’Aquitaine, entièrement dédié à l’histoire de ce trafic. Plus récemment, il y a eu la loi de Mme Taubira, adoptée en mai 2001, qui a insisté pour que le fait de l’esclavage soit considéré comme un crime contre l’humanité.

Vous avez donc travaillé pour différents musées dans le passé…
Je n’ai pas travaillé directement pour le contenu des musées mais sur le contenant, c’est-à-dire la partie architecturale. Je ne suis pas conservateur de musée.

Quel travail reste-t-il à faire avant d’aménager le musée intercontinental de l’esclavage ?
Les trois premiers jours de la mission de la délégation française étaient consacrés à la définition du projet avec les deux autres membres. Avec l’équipe du musée, nous mettons en forme le projet muséographique. C’est-à-dire en fonction de l’architecture du bâtiment actuel, on essaie de définir la qualité des espaces en commençant à positionner les pupitres, les podiums de maquette, les panneaux explicatifs. On commence le travail de concrétisation du projet. C’est la suite logique du travail abattu par les équipes mauriciennes.

Y a-t-il un projet similaire à Maurice à l’île de La Réunion ?
À La Réunion, il y a le Lazaret de la Grande Chaloupe consacré à l’histoire de l’engagisme, c’est-à-dire l’histoire de l’immigration à l’origine des communautés asiatiques vivant aujourd’hui à la Réunion.

Quand pensez-vous l’aménagement du musée sera-t-il complété à Maurice ?
J’ai eu l’occasion de participer à la cérémonie de vernissage de l’exposition consacrée à Ratsitatane (qui est ouverte au public), à laquelle a participé le ministre de la Culture, Avinash Teeluck. Ce dernier a souhaité que le musée se concrétise le plus rapidement possible. Ce qui sous-entend qu’il y a un avantage politique fort pour que ce projet puisse aboutir rapidement. Il y a beaucoup d’énergie et de bonne volonté pour qu’il puisse se concrétiser.
En ce qui me concerne, à mon retour à Paris, je vais me mettre à la rédaction du rapport de mission et redessiner proprement les choses pour pouvoir le transmettre à mon commanditaire. La mission, comme je vous l’ai expliqué, est là pour donner un cadre et pour donner toutes les clés afin de permettre à l’équipe mauricienne d’aller de l’avant avec le projet.

Est-ce que ce musée peut aussi intéresser les visiteurs étrangers ou les touristes ?
Bien entendu. Si on prend l’exemple de la Guadeloupe qui a créé en 2015 le Mémorial ACT, dédié à l’histoire de l’esclavagisme… Il est visité par tout le monde. Il est devenu le premier poste touristique de l’île en termes de fréquentation. Cela paraît tellement invraisemblable, le trafic d’êtres humains, que cela parle à tout le monde.

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