Coorganisateur du Gran Konser organisé par le groupe Attitude à La-Citadelle samedi dernier, le fondateur de La Isla Social Club revient sur les incidents qui ont marqué la fin de l’événement. Des premières discussions avec un représentant du groupe d’individus jusqu’à l’intrusion de ces derniers au concert et l’évacuation rapide de 1 500 spectateurs. Une soirée qu’il a vécue auprès des membres de la sécurité et de la police, avec l’inquiétude au sujet des risques potentiels à la sécurité. Toutefois, l’acte qui menace le tissu social a été condamné unanimement, générant un sentiment d’unité.
Samedi se tenait le Gran Konser organisé par le groupe Attitude, avec comme coorganisateur La Isla Social Club. Plusieurs artistes se sont présentés sur scène. À quel moment les incidents ont-ils éclaté ?
Cela a commencé à partir de 21h. Comme le veut la procédure en cas de problème, le chef de la sécurité est venu me voir et m’a dit que La-Citadelle était encerclée. Des individus menaçaient d’attaquer les lieux. Il m’a demandé de me diriger vers l’entrée pour rencontrer ces gens. Je préviens alors l’organisateur, Attitude. Vincent, le CEO d’Attitude, m’accompagne à l’extérieur.
Nous tenons par la suite une réunion avec le chef de la sécurité et le responsable de la police en présence d’une personne du groupe d’individus menaçants. Ce dernier nous a tout de suite fait part de ses revendications, indiquant que si la dernière chanson était jouée, ils attaqueraient les gens à la sortie de La-Citadelle. Il ne parlait pas d’intrusion.
De quelle chanson parlait-il ?
La chanson indésirable était One Day, une initiative extérieure qui nous a été proposée un peu tardivement. Nous nous sommes concertés avec Attitude et avons déterminé qu’il s’agissait d’une chanson pour la paix. Nous devions mettre une musique à jouer sur un CD et dix personnes sur scène, à la base de cette initiative, soit un mélange d’artistes et de citoyens de diverses origines, allaient chanter au micro avec le public. C’était assez simple comme logistique.
Nous avons validé le concept avec l’idée que le public reprenne les paroles traduites en kreol morisien en partie. C’était des paroles universelles qui ne parlaient de rien de spécifique, si ce n’est de paix et d’unité. Vincent a expliqué la démarche solidaire de l’événement et le côté festif, avec l’objectif de rassembler des fonds pour quatre ONG présentes. Il a ajouté que cette chanson était simplement un rappel de l’unité mauricienne et que nous vivons tous dans la paix. Donc quelque chose de positif qui était en phase avec le côté ONG.
Quelle a été la réaction du représentant du groupe d’individus ?
Il nous a écoutés et a répété la phrase qu’il avait dite à l’effet que si nous passions cette chanson, ils attaqueraient. Nous nous sommes engagés à ne pas diffuser la chanson. Ce n’était pas un problème pour nous. Nous en sommes restés là. La police et le représentant de la sécurité en sont témoins : nous nous sommes serré la main et ce monsieur s’en est allé. Nous avons tout de même prévenu la sécurité de faire attention. La police, elle, était au courant.
Que se passait-il à La-Citadelle ?
À l’intérieur, le concert se déroulait normalement. À 21h40, je me trouvais à côté de la scène où jouait The Prophecy. Une dizaine de policiers ont à ce moment demandé à pénétrer dans l’enceinte pour couper le son, parce que le concert devait se terminer à 21h30. Le chef de la sécurité est à nouveau venu me voir pour me prévenir des intentions de la police. Sauf qu’en deux minutes, nous nous retrouvions avec une dizaine de policiers à l’arrière de la scène pendant que jouait The Prophecy. Ils me demandaient de couper le son. Nous avons parlé de façon très cordiale avec le chef de la police pour lui faire comprendre que c’était la dernière chanson de The Prophecy, et que nous baisserions le son au fur et à mesure. La police a accepté.
Après deux minutes, le concert a pris fin. Et 30 secondes plus tard, alors que des policiers se tenaient toujours à côté de la scène avec nous, il y a eu l’intrusion d’une trentaine d’individus menaçants. Le groupe a été retenu par des policiers et trois ou quatre membres de la sécurité, mais après quelques minutes, ils sont parvenus à forcer l’entrée. Ils se sont retrouvés à l’intérieur et criaient que La-Citadelle est à eux, qu’ils étaient chez eux ici, et réclamaient au public de sortir, tout en levant le poing en l’air. Ils ont soulevé trois enceintes de la scène pour les lancer vers le groupe The Prophecy, dont les membres étaient toujours sur scène en train de ranger leur matériel. Ces individus sont montés sur scène et ont cassé trois micros sans fil d’Omnibox, qui coûtent très cher. Par la suite, ils se sont rendus sous un grand tipi et ont saccagé la décoration. Surtout, ils étaient très menaçants envers les membres du public.
Ce qui a été formidable, c’est que les spectateurs sont sortis calmement sans aucune provocation. S’il y en avait eu, cela serait parti complètement en vrille. La police a très bien agi en déployant un cordon de sécurité pour permettre l’évacuation.
Notre sécurité a pris la très bonne décision de ne pas interagir avec les intrus. Ils ont fait en sorte que le public sorte très rapidement. À savoir que l’entrée était très étroite et qu’il y avait beaucoup de barrières. Ils ont aiguillé le public et il y avait une chaîne humaine de la police et la sécurité pour que les gens s’en aillent dans le calme. Il s’est avéré qu’il n’y a eu pratiquement aucun contact entre le public et ces gens-là, à part deux ou trois personnes qui ont réagi dans le public. Du coup, il y a eu réaction des intrus.
Y a-t-il eu des bousculades ?
Il y en a eu, car 1 500 personnes sont sorties en deux minutes.
Une fois les lieux vidés, le groupe hostile a-t-il quitté les lieux ?
Ce groupe est parti alors qu’il restait environ 200 personnes à l’intérieur. Les intrus se sont dirigés vers le parking de La-Citadelle en chantant. Nous avons alors eu très peur, parce que cette zone est sous contrôle de la police et nous ne savions pas ce qui pouvait s’y passer. D’autant que le public se rendait également à cet endroit. Des voitures ont été secouées par ces gens-là. Il n’y a pas eu de contact physique, mais des membres du public ont eu très peur. La police a été déployée en nombre, de même que des membres de la sécurité. Ils ont pu calmer les choses.
Vous êtes-vous rendus à la police pour une plainte ?
Nous avons attendu devant La-Citadelle jusqu’à minuit, le temps que les dernières personnes quittent les lieux. Il y avait beaucoup de policiers et nous nous demandions si le groupe campait dans les parages. Une dizaine de spectateurs ont logé des plaintes au poste de police de Trou-Fanfaron. Des gens très bien, dont un avocat, qui nous ont parlé longuement de leur rôle de citoyens. Cela leur tenait à cœur de dire que ce qui s’était passé était scandaleux. Ce qui faisait plaisir, c’est que les gens n’étaient pas en colère avec l’événement, mais trouvaient triste que le concert se termine de cette manière, alors que tout s’était déroulé de façon très pacifique jusque-là. De notre côté, nous n’avons pas fait de déposition le soir même. Nous en avons par la suite fait une conjointe avec Attitude pour relater les faits.
Avez-vous eu des retours concernant la cellule d’aide psychologique mise en place par Attitude pour soutenir ceux affectés par ces incidents ?
Ça, c’était formidable ! L’initiative a été lancée dès le lendemain. Attitude et La Isla ont créé une sorte de cellule de crise. Attitude a lancé cette aide psychologique et a reçu à hier matin une trentaine de demandes de soutien. La ligne est toujours ouverte.
Le festival La Isla 2068, que vous organisez, s’était vu refuser le permis d’alcool pour des raisons inconnues à la dernière minute en mai. Cette fois, c’est un nouveau coup dur. Quel sentiment vous anime ?
Bien que les deux événements n’aient aucun rapport, nous sommes hypertristes de la situation. Nous sommes forcément, à chaud, dégoûtés, puisque nous avions déjà des bâtons dans les roues pour d’autres domaines qui nécessitent des autorisations, dont de vente d’alcool. Mais nous n’allons pas tout mélanger.
Ce samedi, pour la première fois que nous organisions un événement qui finissait aussi tôt, où il n’y avait pas d’alcool, et qui était 100% solidaires, nous nous sommes retrouvés avec des personnes qui nous ont attaqués et qui s’en sont prises au public. Alors que c’est exactement l’inverse de la démarche. Nous étions tous dans l’incompréhension. Nous savions que La Citadelle était un lieu particulièrement sensible et c’était justement pour cette raison que nous y avons tenu un concert solidaire. Nous voulions créer une unité. Nous ne nous imaginions pas que ce genre d’incidents allait éclater.
Avez-vous un message pour les autorités ?
Nous avons un message très clair. C’est très bien que des choses se passent. Au niveau politique, nous avons reçu des soutiens unanimes de différents bords. Nous sentons une unité nationale. En tant qu’organisateur d’événements, nous nous sentons considérés. Toutefois, nous espérons que dans les prochains mois, voire dans un an, quand nous organiserons La Isla 2068, qu’ils seront présents pour faire en sorte que nous ayons le droit de tenir ces événements, et ce, en sécurité, pour que nous puissions rassembler un public cosmopolite sans avoir à se demander si, à la veille de l’événement, la police débarquera pour nous dire que nous n’avons pas le droit de le tenir. Alors que nous aurons déjà engagé des dépenses très importantes. Il faut que cela change et nous espérons que les autorités seront sensibles aux problèmes des acteurs de l’événementiel et des artistes. Que nous ayons cette liberté de pouvoir rassembler les gens, surtout quand c’est pour une bonne cause !
Avez-vous été en contact avec le ministère des Arts ou le ministre de tutelle, Avinash Teeluck, en personne ?
Non, et c’est très étonnant. Nous n’avons vu et entendu aucune réaction, qu’elle soit personnelle ou publique, du ministère des Arts et de la Culture. Nous ne comprenons pas pourquoi, car le ministre de la Culture est censé être la première personne à soutenir les organisateurs d’événements culturels. Il devrait être notre premier soutien et support quand nous rencontrons des problèmes. Dans ce cas, ce sont des incidents très graves. Mais même quand nous avons des soucis plus mineurs, comme de l’ordre des autorisations, nous souhaitons compter sur le ministère de la Culture, puisque nous permettons à la culture de rayonner. Ce ministère devrait être notre partenaire. Nous sommes déçus de cela.
Pensez-vous que cet incident aura un impact sur la réputation de Maurice à l’international ?
J’espère que non. Cet incident aura un impact sur notre réputation s’il ne se passe rien. En l’occurrence, il se passe beaucoup de choses. L’impact, c’est qu’il y a une unité nationale et que tout le monde condamne ce qui s’est passé. Donc, si à l’étranger ils entendent cela, j’espère qu’ils comprendront que les Mauriciens sont révoltés par ce qui est arrivé et qu’ils veulent être libres de pouvoir organiser des événements. Ce sera certainement le cas à l’avenir. Si à un prochain événement il se passe la même chose, la destination sera moins séduisante.
Propos recueillis par Joël Achille.
À propos de « One Day »
Il s’agit d’une chanson de l’Américain Matthew Paul Miller, alias Matisyahu, sorti en 2008 sur l’album Light. Le titre évoque, selon son auteur, âgé de 44 ans, un hymne à la paix et à l’espoir, remixé d’abord par le chanteur américain Akon, puis par le duo israélien Infected Mushroom. Il s’agit d’une sorte de reggae mêlé à de l’indie pop. Matisyahu s’est notamment fait connaître à travers le globe en 2005 grâce à King Without a Crown.