Les remous créés par les amendements apportés à l’ICT Act par le gouvernement, et qui sont entrés en vigueur après que le président par intérim ait donné son assentiment, auront eu l’effet d’une pierre dans la mare auprès de l’opinion publique, et ce même si, pour certains, les réactions se sont manifestées trop tard. Ce qui aurait pu donner une impression de « après la mort, la tisane ». C’était principalement dû au fait que cette législation faisait partie d’un « omnibus bill », le Judicial and Legal Provisions Bill, et que l’attention, dans un premier temps, avait surtout été attirée par l’amendement à la Law Review Commission, que certains considéraient comme un empiétement sur les fonctions du judiciaire.
Une fois que les membres du public et les internautes ont pris conscience de ce qui s’est passé, une vague de protestations s’est littéralement levée à tous les niveaux, que ce soit parmi les hommes politiques de l’opposition, les légistes et le public en général. Les amendements sont en effet très subtils et ont pu échapper aux profanes. Ainsi, le terme « télécommunication » a désormais une définition très large et couvre désormais « any message » au lieu de « signs, signals, writing, images, sounds ».
Une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans est ainsi préconisée pour tous ceux reconnus coupables d’avoir utilisé des équipements de télécommunications pour envoyer un message obscène, indécent, abusif, menaçant, faux ou erroné. Voire même trompeur ou susceptible de causer ou de causer de la gêne (“annoyance”), des humiliations, de la détresse ou de l’anxiété à toute personne. Le gouvernement, dont le ministre de la Justice, soutient que la démarche vise à protéger les personnes vulnérables, dont les femmes et les enfants, mais aussi ceux qui sont impuissants à réagir lorsqu’ils sont confrontés à une telle situation, qu’il s’agisse d’actes d’intimidations ou de harcèlement, à travers des courriels et des messages sur la toile. À première vue, la démarche du gouvernement paraît bien intentionnée. Mais en vérité, il s’agit d’un piège à rats et personne n’est dupe.
Les circonstances dans lesquelles ce texte de loi a été introduit créent la perception que les autorités pourraient avoir d’autres objectifs en tête et que la mise en œuvre de ces provisions peut constituer une menace pour la liberté d’expression. Un premier constat est que le gouvernement est sur la défensive alors que le pays est déjà entré dans une précampagne en vue des prochaines élections générales, le Parlement devant se dissoudre dans un an. Les scandales qui ont secoué le pays ainsi que la mauvaise gestion des services gouvernementaux, les problèmes associés aux projets Metro Express, de même que la négligence administrative dans les hôpitaux – comme démontré lors de la PNQ du leader de l’opposition, ou encore l’entretien du bâtiment abritant le Parlement – qui a été forcé de suspendre ses travaux jusqu’à mercredi prochain en raison de fuites – ont provoqué un déchaînement de commentaires négatifs contre le gouvernement sur les réseaux sociaux. Difficile d’empêcher la population de ne pas soupçonner que ces amendements visent à endiguer ces commentaires négatifs alors que le Premier ministre, lui, ne lésine pas sur les moyens pour présenter une image positive de son gouvernement à travers une utilisation quotidienne de la télévision. L’introduction de ces amendements à l’ICT Act est donc perçue comme une démarche bassement politique plus qu’autre chose. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est sans aucun doute la sévérité exagérée de la peine prévue en cas de violation de cette loi. Ainsi, pour avoir créé un “annoyance” ou une “humiliation” à un facebookeur, ou qui que ce soit qui utilise la toile, peut ainsi se retrouver en prison pour plusieurs années. Ram Seegobin, dans une interview accordée au Mauricien, estime que cette démarche est symptomatique de la propension de l’actuel gouvernement à utiliser la répression contre tous les problèmes, y compris la violation du code de la route. Le problème n’est pas de savoir si les juges de la Cour suprême infligeront ou non une peine d’emprisonnement de dix ans pour une faute mineure, mais tout le martyr par lequel devrait traverser toute personne soupçonnée de violer l’ICT Act avant que la cour ne se prononce sur son cas. Le fait est que ceux qui encouragent ce type de législation, parce qu’ils sont au pouvoir, peuvent se retrouver dans l’opposition demain… Espérons que la Cour suprême, qui a été saisie de l’affaire par Yatin Varma, ex-Attorney General, nous donne un éclairage sur ce sujet, qui est suivi attentivement par les observateurs étrangers.