Stéphanie Anquetil (PTr) : « Children’s Act, rendez-vous raté avec l’histoire »

Dans une interview accordée à Le-Mauricien, Stéphanie Anquetil, backbencher de l’opposition au Parlement et présidente de l’aile féminine du Parti travailliste (Ptr), s’insurge contre le fait que la promulgation tant attendue de la Children’s Act ne s’est pas concrétisée le 14 décembre, comme promis par le gouvernement. « C’est un rendez-vous raté pour la ministre de l’Égalité des genres et du Bien-être de la famille en cette fin d’année », s’écrie-t-elle. Elle affirme attendre avec impatience que le Gender Equality Bill soit débattu au sein de Gender Caucus avant d’être présenté au Parlement. Stéphanie Anquetil parle également de son expérience en tant que parlementaire et considère que l’absence du leader du Ptr, Navin Ramgoolam, au sein de l’hémicycle se fait sérieusement sentir.

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Comment vous êtes-vous engagée dans la politique ?


En fait, j’ai toujours été intéressée par la chose politique. Cela a toujours été un sujet de conversation dans ma famille. On parlait souvent d’Emmanuel Anquetil, de sa lutte pour les travailleurs et la classe syndicale, de son humanisme et de sa droiture. Il était le frère de mon arrière-grand-père.

Je ne l’ai pas connu. Mon père avait encore deux ans lorsqu’il est décédé, en 1946. Mais j’ai toujours été inspirée par son combat. Mes parents racontent qu’il n’a jamais voulu être juge et partie à la fois. C’est pourquoi, il n’a jamais voulu être membre de l’Assemblée nationale et voulait se concentrer sur son travail de syndicaliste, même s’il avait été président du Ptr à partir de 1941.

Sa déportation à Rodrigues par le gouvernement colonial après la grande grève des dockers, en 1937, est restée gravée dans la mémoire de la famille. Emmanuel Anquetil n’a rien laissé comme héritage matériel, mais son action continue d’inspirer des syndicalistes aujourd’hui. À l’époque, le monde syndical avait un impact extraordinaire sur la société.
Malheureusement, aujourd’hui, le monde syndical est trop divisé et trop éparpillé. Certains sont là pour leurs intérêts personnels, contrairement à ce qu’avait fait Emmanuel Anquetil, qui a sacrifié sa famille pour poursuivre la lutte syndicale. Les membres de la famille Anquetil travaillaient essentiellement sur la propriété sucrière et à un moment, ils ont ressenti la pression. Certains ont dû quitter le pays en raison des représailles.

Vous vous êtes donc intéressée à la politique depuis votre très jeune âge ?

J’allais dans les meetings pour savoir ce qui se passait et je suivais les activités du Ptr. Lorsque l’opportunité s’est présentée, je ne me suis pas posée de questions et je me suis engagée en politique. Je ne me suis jamais arrêtée, malgré tout le sacrifice personnel que m’impose cet engagement. Dès le lycée, je me suis toujours intéressée aux métiers qui permettent de s’ouvrir aux autres et de rencontrer les gens.

C’est une des raisons pour lesquelles je me suis tournée vers le tourisme et l’industrie hôtelière pour ma carrière professionnelle. J’ai aussi eu l’occasion d’enseigner à l’institut Escoffier, même si l’enseignement n’était pas mon domaine de prédilection. Mais cela m’a permis de partager mes connaissances acquises durant 20 ans dans l’hôtellerie, et c’était une expérience extraordinaire avec de jeunes étudiants.

À quand remonte votre première candidature à une élection ?

Ma première participation aux élections remonte à 2000, lorsque le Ptr a perdu les élections. On m’avait alors approché pour être candidate et j’avais accepté.

N’avez-vous pas l’impression d’avoir été choisie en raison de votre nom ?

J’espère que ce n’était pas uniquement à cause de mon nom, bien que je reconnaisse que cela ait pu jouer en ma faveur. Je vous raconte une anecdote. Alors que j’étais dans un supermarché récemment, j’ai entendu quelqu’un m’appeler en lançant : Emmanuel. C’était surprenant.

Cela me réjouit qu’Emmanuel Anquetil ait encore une place dans la mémoire des gens en raison de son engagement syndical et politique. Mais moi, je reste Stéphanie. J’ai mon style à moi. Je n’ai jamais voulu imiter personne ou adopter une approche masculine. Je garde ma personnalité. Je suis ce que je suis.

Vous n’aviez pas toujours été active dans la circonscription de Vacoas/Floréal ?

Le leader du parti, Navin Ramgoolam, m’avait demandé de me présenter dans la circonscription de Stanley/Rose Hill en 2014. Je me suis retrouvée du jour au lendemain dans un nouvel environnement, dans un bastion mauve, alors qu’on était en pleine campagne. J’avais comme colistiers Paul Bérenger et Deven Nagalingum. Je reconnais que tout s’est bien passé. J’avais été très bien accueillie, que ce soit au niveau du Ptr ou du MMM. Par la suite, je suis retournée à Vacoas/Floréal, qui est une circonscription mi-urbaine, mi-rurale, où j’ai revu ceux qui m’avaient soutenue à mes débuts. Ils m’ont vu tâtonner. J’aime bien cette circonscription très mélangée et où le Ptr dispose d’une base solide.

C’est une circonscription qui a toujours élu des femmes au Parlement…
C’est une circonscription qui accueille des femmes. Il y a eu Marie-Claude Arouff Parfait, Sheila Bappoo, Marie France Roussety, Françoise Labelle. Actuellement, il y a Joanna Bérenger et moi. Je dois reconnaître que lors des activités politiques, que ce soit sur les camions, dans les réunions, dans les maisons, je ne me suis jamais sentie en danger. Il y a toujours eu un respect mutuel, quelles que soient les circonstances.

Cependant, c’est une circonscription où il faut travailler très dur et maintenir une proximité permanente avec ses mandants. Ce qui n’est chose facile pendant cette période de Covid. Il a fallu se réorganiser afin de maintenir le contact, sans négliger toutefois la dimension sécuritaire. Je reconnais que je ne peux pas procéder comme avant. Nous sommes à mi-mandat, et il faudra maintenant engager une réflexion sur la façon de procéder pour les prochaines campagnes électorales et sur la manière de s’adapter aux nouvelles conditions.

Quel regard jetez-vous sur la société mauricienne aujourd’hui ?

On a la chance de vivre dans un pays qui a autant de valeurs et autant d’atouts. Mais nous avons connu quelques ratés ces derniers temps. La situation est préoccupante. La population est inquiète. Les jeunes n’ont qu’une seule idée en tête : immigrer vers d’autres cieux, dont le Canada. J’ai été chagrinée d’entendre récemment un jeune serveur de restaurant de Curepipe, que je connais depuis longtemps, m’annoncer qu’après avoir entamé des démarches pour le Canada, il quittait le pays bientôt, avant de faire venir sa famille plus tard.

J’ai l’impression que le pays plonge et est confronté à une crise de confiance. D’ailleurs, le succès du défilé pacifique organisé à Port-Louis démontre que le public commence à être dégoûté et commence à descendre dans les rues. C’est bon pour la démocratie. La corruption dans le pays a pris des proportions alarmantes et inquiétantes, lorsqu’on approuve les contrats ou lorsqu’on abuse des Emergency Procurements.

La liste des scandales politico-financiers s’allonge à une vitesse incroyable. Si vous me demandez quels sont les cinq derniers scandales, il me serait difficile de le dire, tellement la liste est longue. Le problème est qu’il y a un laisser-aller.

À mon avis, dès qu’il y a un dérapage ou un signe de corruption, le chef de parti, et encore plus le chef du gouvernement, devrait se manifester. Les jeunes sont inquiets.

Cela fait déjà plus de 20 ans que vous pratiquez la politique active. Vous en êtes à votre deuxième mandat. Pourriez-vous comparer l’actuel mandat avec le précédent ?

Mon premier mandat était de 2010 à 2014. Il n’y a aucune comparaison entre l’actuelle mandature et la précédente. Lors de mon premier mandat, j’étais dans un premier temps backbencher. Ensuite, après la cassure avec le MSM, j’ai été propulsée aux fonctions d’adjointe au Chief Whip. Cette position m’a permis de travailler en étroite collaboration avec le Speaker de l’Assemblée nationale. J’ai connu deux Speakers, Kailash Purryag et Razack Peeroo, et deux Chief Whips. Ce sont deux personnes qui ont une très longue expérience et une grande maîtrise des affaires parlementaires. Ils étaient très cultivés, très courtois mais très fermes.

Ces deux Speakers m’ont au départ prévenue qu’il ne fallait pas que je m’attende à un traitement de faveur de leur part, même si je suis membre de la majorité. Je n’ai jamais demandé cela aussi. Tous les backbenchers étaient traités sur un pied d’égalité. J’ai pu faire mon apprentissage à cette époque. Je regrette que les nouveaux parlementaires du Ptr n’aient pas la même chance.

J’ai aussi travaillé avec Suren Dayal et Rihun Hawoldar comme Chief Whips, qui étaient très ouverts, et que j’ai beaucoup apprécié également. Il faut dire que le niveau des parlementaires et des débats étaient différents, et qu’il y avait beaucoup de retenue. En tant que backbencher de la majorité, j’étais libre de poser les questions que je voulais sans que personne ne me demande à les voir avant.

Le problème s’est posé une fois lors d’une réunion parlementaire, la veille de la séance parlementaire. Un ministre avait fait remarquer au Premier ministre que certaines questions des députés de la majorité dérangeaient notre propre gouvernement. Il se trouve qu’il faisait référence à une de mes questions et il avait affirmé qu’il n’y répondrait pas.
Je croyais que le Premier ministre allait me rappeler à l’ordre. Mais Navin Ramgoolam lui a dit non seulement qu’il fallait répondre à la question, mais qu’il serait là pour écouter la réponse. « Si to pa le gayne kestion, fer to travay », avait-il affirmé. Je dois dire que je suis très surprise par le comportement des nouveaux parlementaires, qui avaient promis de faire la politique autrement. Ce n’est pas cela qu’on voit et je suis même choquée parfois par les remarques faites par certains.

Comment vous entendez-vous avec les membres du groupe parlementaire du Ptr ?


Le Ptr a un très bon groupe parlementaire, très solidaire, dynamique et entreprenant. Nous sommes 12 parlementaires et je suis la seule femme. C’est une superbe équipe où prévaut un esprit de famille. Arvin Boolell est à la hauteur de sa tâche comme chef de file.

Toutefois, je dois reconnaître humblement que l’absence du leader du Parti, Navin Ramgoolam, au Parlement se fait sentir. S’il était là, les choses auraient été différentes. Je dois vous révéler que jusqu’à maintenant, je sollicite ses conseils à n’importe quel moment. Je sais que d’autres le font également.

J’ai aussi une pensée spéciale pour Sheila Bappoo, qui a été pour moi la meilleure ministre femme et qui me soutient énormément. Elle a beaucoup fait pour Empower les femmes, notamment à travers les activités organisées dans les centres des femmes à travers l’île. Beaucoup de ces centres ne sont plus opérationnels ou sont dépassés aujourd’hui. C’est le cas du centre de Floréal. Depuis des mois, on entend parler de création d’un Wellness Center, mais on ne voit rien venir.

Vous êtes également présidente de l’aile féminine du Ptr. Que pensez-vous de la condition des femmes en ces temps de Covid ?

La condition des femmes a reculé dans notre pays. Avant le Covid, la violence domestique dans le pays avait atteint un niveau alarmant. Les chiffres et les statistiques sont alarmants. Je suis tracassée et bouleversée, parce qu’on ne sent pas qu’il y a une volonté ferme de combattre la violence domestique dans le pays. Le 25 novembre dernier signait la Journée internationale de la lutte contre la violence faite aux femmes. Covid oblige, on n’a pas pu se réunir. On fait un Pledge contre la violence. Nous avons mis les hommes et les jeunes On Board.

Cependant, on attend toujours que la nouvelle ministre de l’Égalité des Genres et du Bien-être de la famille présente des amendements à la loi sur la violence domestique pour la renforcer. De plus, il y a un manque d’hébergement pour les conjoints victimes de violence. On lui a demandé l’introduction de bracelets sur une base pilote et une formation plus appropriée des officiers de police, hommes et femmes, pour traiter les problèmes de violence domestique. On n’a pas encore eu de réponse à ce sujet.

En Inde, on a créé des postes de police uniquement pour les femmes. On a demandé qu’il y ait au moins un service spécial pour les femmes à Maurice dans les postes. Il faut aussi un plan pour le traitement des agresseurs. Mais cela ne semble pas intéresser la ministre. La priorité pour elle est l’application Lespwar. Le problème, avec cette application, c’est qu’il faut avoir un smartphone sophistiqué. Or, la majorité des femmes ne peuvent même pas avoir accès à un smartphone, ni même à l’Internet. Il faudrait un système plus simple, qui touche toutes les femmes de toutes les couches sociales. Je sais qu’en France, c’est le parquet qui, lorsqu’il réalise qu’une femme ou un homme court un grand danger, met un portable à sa disposition. Les portables sont rendus à l’État une fois que le problème est réglé. En plein Covid, les femmes ont été tabassées chez elles à Maurice. Cela a été terrible pour elles et pour leurs enfants. Mon plus grand problème actuellement, c’est ce qui se passe dans certains Shelters.

Vous avez beaucoup évoqué ce problème au Parlement. Quel est le problème ?

La vie d’un enfant placé n’est pas simple. Aucun enfant ne demande à être mis dans un Shelter. Or, beaucoup d’enfants sont retirés de leur famille en raison de la violence permanente. Dans certains cas, ils sont enlevés sur la base d’un simple soupçon. Je ne suis pas d’accord. J’estime qu’avant de prendre un enfant, il faut une étude en profondeur. Actuellement, les Shelters sont débordés et, alors qu’on enlève des enfants à leur famille pour les protéger, ils y sont maltraités. Ce qui est contradictoire. Pourtant, il y a des Shelters où les conditions sont excellentes.

Mon rôle, en tant que parlementaire, est de dénoncer les failles. Sur ce plan, j’ai reçu des doléances troublantes concernant certains Shelters. J’ai essayé en vain d’en parler au directeur de l’ICAC. En revanche, je dois dire que l’Ombudsperson for Children, Rita Venkatasamy, fait un excellent travail. Je lui ai demandé de mener une enquête sur ce qui se pratique dans certains centres d’hébergement et je sais qu’elle va le faire. En vérité, il faut une grande réforme au niveau des Shelters à Maurice.

On attend toujours la promulgation de la Children’s Act…
Il y a eu consensus sur la Children’s Act au Parlement. L’opposition a fait des propositions et certaines ont été retenues. On était très excité d’apprendre par le biais du Cabinet que la législation devait être promulguée le 14 décembre. Quelle déception d’apprendre que la législation n’est pas entrée en vigueur comme prévu.

La ministre de l’Égalité des genres, Kalpana Koonjoo Shah, a raté dramatiquement son rendez-vous avec l’histoire en cette fin d’année. Le pire, c’est qu’elle n’a pas encore eu le courage de donner des explications sur la raison de ce retard dans la promulgation. Lorsqu’on a pris une certaine responsabilité, il faut au moins travailler dans la transparence et expliquer quels sont les blocages. On se demande maintenant quel sort sera réservé au Gender Equality Bill qui, j’espère, sera débattu au sein du Gender Caucus avant d’être présenté au Parlement afin de s’assurer que le texte est bien “gender sensitive”.

À la veille de Noël, quel est votre vœu pour les enfants et pour les femmes ?

Cela a été une année difficile. J’aurais une pensée et une prière spéciale pour tous ceux qui ont perdu leurs proches en raison du Covid. J’espère que l’année prochaine nous permettra de sortir du tunnel dans lequel on se trouve, que ce soit en ce qui concerne la situation générale dans le pays qu’au niveau politique et économique, mais aussi de la situation des femmes, des enfants vulnérables dans les Shelters… J’espère qu’on trouvera une solution pour le Covid et qu’on pourra enfin voir la lumière au bout du tunnel…

 

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