Sheila Bappoo : « Si quelqu’un a fauté, il doit présenter des excuses inconditionnelles à Arvin Boolell »

Dans une interview accordée à Le-Mauricien cette semaine, Sheila Bappoo, membre de la Parliamentary Democratic Foundation, commente à chaud la levée en Cour suprême vendredi de la suspension d’Arvin Boolell décrétée par le Speaker, Sooroojdev Phokeer, mardi. « Si quelqu’un a fauté, il doit présenter des excuses inconditionnelles à Arvin Boolell », a-t-elle estimé. Sheila Bappoo évoque aussi la rencontre d’une délégation de sa fondation avec le commissaire électoral, Irfan Raman, la semaine dernière. Ce dernier aurait ainsi laissé entendre que si beaucoup de personnes sont contre l’existence d’une Computer Room, une décision sera prise en conséquence. L’ancienne ministre plaide également pour que des mesures soient prises afin que les femmes soient mieux représentées au Parlement dans le cadre d’un projet de réforme électorale. Elle souhaite également que les élections générales soient organisées « au plus vite ».

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La semaine dernière, vous avez rencontré le commissaire électoral, Irfan Rahman, à la tête d’une délégation d’anciens parlementaires. Qu’est ce qui a motivé cette rencontre ?
La Parliamentary Democratic Foundation est composée d’anciens parlementaires venus de tous les horizons politiques. L’idée de sa création fait suite à un constat que la démocratie, que ce soit au niveau du Parlement et dans la société en général, s’ébranle de jour en jour.
Après mûre réflexion entre des amis, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il était nécessaire de créer un mouvement au sein duquel nous partagerions l’expérience que nous avons connue comme parlementaires ou ministres. Personnellement, j’ai servi comme ministre et parlementaire pendant 22 ans.
J’ai participé à plusieurs élections et connu plusieurs Speakers au sein de l’hémicycle. C’est la première fois que je suis témoin d’une situation où les parlementaires ne peuvent s’exprimer librement, où ils sont insultés et expulsés du Parlement à tout bout de champ. Nous avons pensé qu’il serait bon de mettre l’expérience que nous avons acquise à la disposition de la population et, en particulier, les jeunes qui doivent se préparer à prendre la relève.
L’organisation des élections a été un des premiers sujets qui nous a interpellés. Nous avons observé que plusieurs personnes n’étaient pas d’accord avec la manière dont les dernières élections législatives se sont déroulées. On a parlé de fraude, de l’existence d’une Computer Room dont la raison d’être n’était pas comprise. Il y a eu des pétitions en Cour suprême pour contester les résultats des élections dans différentes circonscriptions. Il est vrai que plusieurs pétitions sont tombées mais toujours est-il que le doute s’est installé dans la tête de la population.
Sur la base de ce que nous avons entendu et lu, nous avons préparé un document que nous avons intitulé « Les dispositions nécessaires pour empêcher les pratiques frauduleuses lors des élections à Maurice », qui a été remis au commissaire électoral. Nous lui avons demandé de nous rencontrer afin de discuter du contenu. Il a accepté et nous a rencontrés la semaine dernière.

Comment s’est déroulée cette rencontre ?
Nous avons eu une discussion très franche. Il y a des choses avec lesquelles il n’est pas d’accord et nous l’avons fait savoir. Par exemple, il a été question de la fameuse Computer Room. Il a nous fait comprendre qu’elle n’a pas été introduite avec l’idée d’intervenir dans les résultats des élections comme cela a été suggéré de part et d’autre. C’était uniquement un outil de travail afin d’aider à compter. Nous l’avons interrogé sur les rumeurs concernant l’existence d’un serveur lié aux ordinateurs et lui avons dit que beaucoup d’amis candidats ignoraient totalement l’existence de cette Computer Room. Lorsqu’ils ont réalisé que cette salle existait, l’accès leur a été interdit.
Irfan Rahman nous a fait comprendre que s’il voit que beaucoup de personnes sont contre cette salle, une décision sera prise en conséquence. Nous avons parlé de la possibilité d’effectuer le dépouillement des bulletins le même jour afin d’éviter les doutes qui existent concernant le transport des boîtes, entre autres. Il a dit qu’il est d’accord car aujourd’hui il y a de l’électricité dans tout le pays et les salles sont bien éclairées.
S’agissant du recrutement du personnel travaillant dans les centres de vote, il nous a rassurés que cela se fait par la Commission électorale. Nous avons aussi cherché des éclaircissements concernant l’impression des bulletins par des imprimeries privées. Il nous a donné la garantie que tous les bulletins sont imprimés par l’Imprimerie du Gouvernement.  Les discussions ne sont pas terminées. Une nouvelle rencontre est prévue ultérieurement pour poursuivre les discussions.
Tout cela fait partie de la mission que nous nous sommes donné de surveiller la démocratie. Nous prenons très au sérieux la remarque de V-Dem, qui considère que la démocratie se tient à un brin de fil. Contrairement à l’impression créée par le Premier ministre, ce n’est pas nous qui le disons mais le rapport de V-Dem, une organisation internationale respectée.

Les accusations de fraudes électorales ne sont pas nouvelles. Comment cela se passait à votre époque ?
Il est très important que les élections soient Free and Fair car c’est le passage obligé pour devenir un député et siéger au Parlement. Il faut que les électeurs soient confiants que l’exercice sera fait de manière respectable. Il est vrai que nous avins toujours entendu parler de fraude électorale. Je me souviens que lors de ma première participation aux élections générales en 1976 dans la circonscription No 18, j’avais contesté les résultats des élections. J’avais perdu les élections par 50 voix. Finalement, lorsqu’on a recompté, cette marge a été réduite à 30.

Quid de la liste électorale. Lors des dernières élections beaucoup de gens n’ont pas pu voter parce que leurs noms n’étaient pas sur la liste ?
Harry Bauluck a fait un beau travail à ce sujet et en a parlé au commissaire électoral. Il semblerait que le nombre d’électeurs augmente normalement par 40 000 tous les cinq ans. Or, lors des élections générales de 2019, le nombre a augmenté par seulement 4 000 par rapport à 2014. Où sont les autres noms ? D’ailleurs beaucoup de personnes n’ont pu voter parce que leurs noms ne figuraient pas sur la liste bien que des officiers soient venus vérifier qu’ils étaient toujours là. C’est pourquoi nous comptons mener une campagne à travers l’île, surtout auprès des jeunes pour leur parler de fraude électorale. Nous avons proposé au commissaire électoral qu’aussitôt la publication du Writ annonçant led calendrier d’organisation d’élections, il faut donner une dizaine de jours aux électeurs pour qu’ils puissent vérifier si leurs noms figurent sur la liste électorale et afin qu’ils puissent se faire enregistrer si besoin est. Nous avons constaté que c’est surtout lorsqu’on annonce l’organisation des élections que les gens s’intéressent à la liste électorale. En dehors des élections, ils y sont plutôt indifférents.

Est-ce vous vous êtes intéressés au financement des partis politiques ?
Nous ne nous sommes pas encore penchés sur la question mais nous croyons comprendre, à la lumière de la déclaration du Premier ministre, que le financement des partis politiques s’inscrit dans le cadre d’une réforme électorale. Or, le financement des partis politiques donnera toujours lieu à des débats interminables, notamment sur le montant que reçoivent les uns et les autres.
Ce qui me tient le plus à cœur dans le cadre d’une réforme est la question d’égalité des genres. À ce propos, je lance un appel au Premier ministre pour que le principe qui existe déjà au niveau des administrations régionales soit introduit pour les élections générales. C’est-à-dire que dans chaque circonscription, on doit élire une personne d’un genre différent. C’est la seule façon de s’assurer qu’au moins un tiers de l’Assemblée nationale est constitué de femmes.
Déjà, nous sommes en retard par rapport à plusieurs pays africains qui, eux, ont déjà introduit la parité au niveau parlementaire. Donnez aux femmes la chance d’être candidates. Personnellement, je ne suis pas en faveur du quota. Je pense que la femme doit se battre pour faire sa place dans la société.

Je suis convaincue qu’une Assemblée nationale avec un bon nombre de femmes devrait permettre de changer l’atmosphère qui prévaut en ce moment, et qu’il y aurait plus de respect et moins de brutalité de langage.

Vous êtes donc toujours intéressé par la question de l’égalité des genres. Est-ce pour cela que vous vous apprêtez à lancer une nouvelle organisation ?
C’est vrai que nous nous apprêtons à lancer la Gender Equality Foundation. Je tiens à préciser toutefois que ce ne sera pas une affaire de femmes. Cette organisation concerne aussi bien les hommes que les femmes. La fondation sera dirigée par Mohini Bali, qui a pris sa retraite du gouvernement. Elle était responsable du département de l’égalité des Genres et est considérée comme une experte dans le domaine.
Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir dans ce secteur. Voilà deux ans qu’on réclame la présentation d’un Gender Bill. Le texte de loi est toujours à l’étude au niveau du Parquet. Les élections arrivent sans qu’on ait présenté ce texte de loi. Cette loi devrait constituer un encadrement légal pour que l’égalité des genres soit respectée dans la société, que ce soit au niveau du secteur public ou du secteur privé, mais aussi au niveau de la famille, parce que l’inégalité commence au niveau familial.
Mme Bali a voulu poursuivre le travail qu’elle a commencé au niveau d’une fondation. Tout est prêt pour le lancement de la fondation le 16 mai prochain, qui sera parrainée par l’ambassadeur de l’Union européenne, François Degert. Un de nos projets consistera à lancer des Gender Champions parmi les hommes qui ont aidé à casser la masculinité de l’esprit. Nous travaillerons également avec les familles.

Avez-vous pris connaissance du dernier rapport de l’Ombudsperson ?
Tout à fait. Elle maîtrise parfaitement tout ce qui concerne la Convention des droits de l’enfant. Elle a constaté beaucoup de maldonnes et a fait des propositions. Malheureusement, rien ne change. Lorsqu’elle a rendu son rapport public, je pense que le ministère concerné aurait dû s’y intéresser et étudier les différentes recommandations qui peuvent être mises en application.
Avec la promulgation de la Children’s Act, nous aurions dû avoir une meilleure protection de l’enfant. Les enfants qui ne peuvent vivre dans leurs familles respectives pour de multiples raisons auraient dû pouvoir bénéficier d’une protection du gouvernement. Malheureusement, le travail ne se fait pas comme il le faudrait. Stéphanie Anquetil se démène au Parlement pour dénoncer les problèmes qui sont inacceptables, et la seule solution trouvée par le gouvernement est de transférer les Shelters aux Ong. C’est une façon pour le ministère de se laver les mains, parce qu’il ne sait pas comment faire. Regardez comment le rapport des Nations Unies est sévère vis-à-vis de Maurice par rapport aux enfants. Cela fait honte. Le rapport considère qu’on ne peut mettre les enfants dans un Shelter comme dans un dortoir. On aurait dû regrouper les enfants derrière des Carers qualifiés, qui auraient assuré que les enfants se rendent à l’école.
Aujourd’hui, pour un oui ou pour un non, les enfants sont envoyés à Brown Sequard. Or, du moment qu’ils sont envoyés à Brown Sequard, ils ne peuvent se rendre à l’école. Désormais, non seulement les Shelters sont surpeuplés, mais les Carers ne sont pas formés comme ils devraient l’être. D’autre part, avec la privatisation des Shelters, la protection des enfants devient un business, comme le démontre le Shelter de Bonne-Terre.

En tant qu’ancien ministre et parlementaire, quel regard jetez-vous sur le Parlement ?
Il faut reconnaître que la façon dont fonctionne le Parlement n’est pas normale. J’ai l’impression que certains Rulings du Speaker sont teintés de partialité et ne sont pas conformes aux Standing Orders. Ce qui s’est passé dans le cas de Jasmine Toulouse est significatif de la mentalité qui prévaut au Parlement. Alors que le Premier ministre était en train de répondre à une interpellation concernant le trafic de drogue, dans le but d’attaquer son adversaire politique, à savoir le MMM, il n’a pas hésité à brandir une photo de Jasmine Toulouse prise il y a une dizaine d’années. Or, Mme Toulouse ne siège pas au Parlement. On ne peut donc citer à tort et à travers son nom dans l’hémicycle. Cependant, d’après ce qu’on a vu au Parlement, c’est Alan Ganoo qui a donné cette photo au Premier ministre. Ce n’est pas correct de discréditer une femme et une mère de famille. Cela ne se fait pas. Je condamne Pravind Jugnauth et Alan Ganoo pour cette façon de faire. Ce dernier a oublié que Jasmine Toulouse l’avait soutenu pendant plusieurs campagnes électorales.
Lors de l’exercice de la PNQ mardi dernier, lorsque le ministre de la Justice s’est retrouvé au pied du mur, il a lancé « time is over ». On ne peut pas dire que le comportement du Speaker au Parlement soit digne. On se demande pourquoi le Leader of the House ne fait rien pour le ramener à l’ordre. La démocratie parlementaire n’existe plus. Jamais auparavant un parlementaire n’avait été suspendu du Parlement pour avoir critiqué le Speaker en dehors du Parlement. Je suis contente d’apprendre que la Cour suprême, qui constitue un rempart contre toute forme de dictature, a remis les pendules à l’heure en considérant que Arvin Boolell doit reprendre son siège. Maintenant, j’espère que ceux qui ont fauté présenteront des excuses inconditionnelles à Arvin Boolell au Parlement mardi.
D’autre part, ce que je trouve encore plus déroutant, c’est qu’après qu’un parlementaire ait été Named, il y a normalement un Break. A la reprise, une motion est présentée pour la suspension du parlementaire ou des parlementaires concernés. Cette motion doit normalement être présentée par le Premier ministre. Or, comme il n’est pas au Parlement, c’est généralement le Premier ministre adjoint qui le fait. Je me demande comment une personne comme Steven Obeegadoo doit se sentir en tant qu’humain d’avoir à faire voter une motion de suspension contre ses anciens collègues et amis, que ce soit Bhagwan, Bérenger et les autres. Ce n’est pas agréable à voir. En fin de compte, le Parlement, qui aurait dû être le temple de la démocratie et un exemple en la matière, glisse graduellement vers une dictature.

Quel regard jetez-vous sur l’avenir ?
Nous avons parlé de la situation au Parlement, de la situation des enfants en difficulté. On aurait aussi pu parler des scandales qui se succèdent, dont la Stag Party, les achats de médicaments durant la période de Covid-19, la vie de tous les jours des Mauriciens, qui devient plus en plus difficile avec la hausse des prix des commodités. La classe moyenne se paupérise et s’appauvrit. On a beaucoup parlé de l’augmentation de la pension, mais tout cet argent va dans l’achat de médicaments qui coûtent de plus en plus cher, tout comme les autres dépenses courantes. La population tombe dans la misère. Nous sommes convaincus que dans le cas de la Stag Party, si SAJ était là, il aurait tranché dans le vif.
Ensuite, il y trop de communalisme. Il y a toutes sortes de problèmes de société, dont la drogue et la corruption. Il y a un manque de direction. Il est évident que pour redresser la situation, il faut un changement. Donnez-nous les élections… ! Pourquoi attendre 2024 ? Cependant, en plus de l’opposition parlementaire traditionnelle, il y a une série d’autres groupes qui se présentent comme des groupes d’opposition extraparlementaires.
Ce qui perturbe, c’est que les votes de l’opposition dans le cadre des élections seront divisés. Cela fait le jeu du MSM. Ce sera le cas aussi longtemps que l’opposition ne se présentera pas comme un seul bloc. S’il faut conclure une alliance entre différents partis de l’opposition parlementaire ou extraparlementaire, il faut la conclure une fois pour toutes. Comme ça, tout le monde verra l’alternative et ne restera pas dans l’expectative. Il faut que la situation soit claire. D’ailleurs, en attendant l’annonce de la date des élections, les membres de l’opposition doivent être en permanence sur le terrain.

 

 

ACCROCHES
« Il est très important que les élections soient “free and fair”, car c’est le passage obligé pour devenir un député et siéger au Parlement. Il faut que les électeurs soient confiants que l’exercice soit fait de manière respectable et équitable. »

« Nous avons proposé au Commissaire électoral, aussitôt la publication du Writ annonçant l’organisation d’élections, de donner une dizaine de jours aux électeurs afin qu’ils puissent vérifier si leur nom figure sur la liste électorale et qu’ils puissent, le cas échéant, se faire enregistrer. »

« En plus de l’opposition parlementaire traditionnelle, il y a une série d’autres groupes qui se présentent comme des groupes de l’opposition extraparlementaire. Ce qui me perturbe, c’est que les votes de l’opposition dans le cadre des élections seront divisés. Cela fait le jeu du MSM. Ce sera le cas aussi longtemps que l’opposition ne se présente pas comme un seul bloc. »

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