Notre invité de ce dimanche est Shakeel Mohamed, le nouveau ministre des Terres et du Logement. Jeudi dernier, il a répondu à nos questions sur la politique qu’il compte mener et d’autres sujets d’actualité.
l Lorsque vous avez annoncé dans Week-End en octobre dernier que vous alliez être le numéro trois d’un éventuel gouvernement de l’alliance du Changement, vous avez été l’objet d’attaques communalistes. Est-ce que depuis que vous êtes ministre ces attaques ont cessé ?
— Cette annonce, comme vous le savez, a causé des réactions et le gouvernement d’alors a essayé de jouer dessus pour semer le désordre entre les partenaires de l’Alliance, ce qu’il n’a réussi à faire. Non, la campagne communale contre moi n’a pas cessé, mais a pris une autre forme. Certains ont essayé de se servir de moi pour mettre une embrouille entre les communautés hindoue et musulmane, ils ont échoué. Certains ont dit que j’étais trop musulman, d’autres que je ne l’étais pas assez et tout récemment à cause de l’île aux Bénitiers, que j’avais pris pour cible la communauté créole. Malheureusement, à Maurice, tout finit par revenir à une question de communauté et de religion qui servent de paravent de manière assez primaire. Nous avons vécu un moment d’unité très fort quand j’ai chanté l’hymne national au meeting de Port-Louis, mais malheureusement, ces moments sont trop brefs, trop rares.
l Cette manière de mettre la race et la religion en avant est-elle en augmentation ou en régression ?
— Le gouvernement a la volonté de faire diminuer cette attitude, mais ce ne sera pas facile, d’autant que le gouvernement précédent avait utilisé l’émotion et la frayeur. Pas facile parce qu’il y a un fort pourcentage de la population qui réagit ainsi par instinct et que depuis 57 ans, nous avons institutionnalisé, légitimisé la division à Maurice. Beaucoup pensent que c’est la manière de vivre mauricienne. Il faut revoir tout ça.
l Mais est-ce qu’en utilisant des critères politiques qui institutionnalisent la division pour choisir des candidats aux élections et que les ministres sont choisis sur ces mêmes critères, on ne légitimise pas cette manière de penser ?
— Disons-le franchement : pour apporter le changement démocratiquement, il faut prendre le pouvoir, et pour y parvenir, il faut respecter les règles en cours. Nous avons dû nous adapter aux règles pour remporter les élections. Maintenant que nous sommes au pouvoir, nous allons apporter les changements fondamentaux du programme gouvernemental et prendre les mesures qu’il faut.
l Le changement promis et à venir ne prend-il pas trop de temps à se concrétiser, comme cela s’entend de plus en fort à Maurice ?
— Soyons honnêtes : comme tous mes collègues du gouvernement, je voudrais aller plus vite, mais ce n’est pas possible. J’entends souvent dire pourquoi X ou Y ne sont pas en prison, et je réponds que ce n’est pas possible, qu’il faut respecter les lois, sinon il n’y aurait aucune différence entre le gouvernement précédent et nous. Par ailleurs, il faut également veiller à ce que les nouveaux textes de loi sont bien préparés, n’antagonisent pas ceux qui existent et ne puisent pas être contestés en cours.
l Avec un 60/0, on ne peut pas amender ou faire de nouvelles lois pour accélérer les choses ?
— Ailleurs, on peut gouverner par décret présidentiel, ce qui n’est pas le cas à Maurice, où tout doit passer par le Parlement, en respectant les lois, et cela prend du temps. Si on change de système, nous courons le risque de trop nous rapprocher d’un système de gouvernement par décrets où le rôle du Parlement serait diminué et celui du Premier ministre augmenté, et nous savons que le Mauricien n’aime pas la concentration de pouvoirs entre les mains d’une seule personne. De nouvelles lois seront proposées dans un futur très proche pour démocratiser davantage le rôle du public sur les sujets d’importance nationale. Je mesure et je comprends l’impatience dont vous parlez, mais si nous ne respectons pas les lois en cours, nous courrons le risque de sap dan karay, tonb dan dife ! Il ne faut oublier que pendant ses dix ans au pouvoir, le MSM a placé des gens formatés pour qu’ils travaillent d’une certaine façon et ils sont en train de faire de la résistance au nouveau gouvernement et entravent son travail. Non seulement nous faisons du fire fighting, mais nous devons nous battre contre ceux qui sont contre le changement de l’intérieur, tout en suivant les procédures établies pour ne pas basculer dans l’autocratie.
l Vous avez fait détruire les installations illégales de l’île aux Bénitiers. Certains disent que vous avez employé la même méthode que Steeve Obeegadoo contre les réfugiés. Est-ce que, comme certains de votre propre camp politique l’ont demandé, cette opération n’aurait pas pu se faire avec moins d’autoritarisme et plus de concertation ?
— On ne peut pas comparer les réfugiés vivant des situations difficiles chassés des endroits où ils vivaient par Obeegadoo avec les personnes qui « travaillaient » sur l’île aux Bénitiers. Depuis 25 ans, il existe des rapports sur la situation à l’île aux Bénitiers, situation qui a dégénéré au cours des cinq dernières années avec des constructions en béton et une prolifération de rats. Joanna Bérenger et Fabrice David y sont allés et nous dit que la situation était pire que nous le pensions. J’ai eu des rapports indiquant qu’il y avait des transactions de drogue qui se déroulaient sur l’île aux Bénitiers et d’autres îlots, et qu’il fallait une décision immédiate pendant qu’il était encore temps. Il y avait sur l’île 178 structures en bois et ferraille sur des bases de béton allant jusque dans la mer ! Mon choix était clair : do something or do nothing.
l Ceux qui « opéraient » sur l’île avaient-ils un permis quelconque ?
— Non. Personne n’a soumis une demande pour un permis aux autorités concernées. Le cabinet a institué un comité interministériel qui a décidé de faire nettoyer l’île et d’enlever les structures illégales pour doter l’île d’aménagements nécessaires pour permettre à des opérateurs en règle d’opérer. Je n’avais pas besoin de consultation pour connaître la situation sur l’île, le nombre et l’identité de ceux qui y travaillaient, des réguliers à ceux qui venaient une fois de temps en temps. Je savais aussi qu’il y avait de petites plantations de drogue sur l’île qui ont été défalquées. Si consultation cela veut dire faire les choses selon le calendrier de ceux qui « travaillaient » sur l’île, cela veut dire leur demander permission, et ce n’est pas correct. Nous les avons informés de ce que nous allions faire des semaines à l’avance et des notices ont été servies.
l Que va-t-il se passer après l’opération nettoyage ?
— Quand le nettoyage — qui n’est pas une mince affaire parce tout cela se passe sur un îlot — sera terminé, il faudra trouver un système de gardiennage, un autre de nettoyage et ce n’est qu’après que les Mauriciens auront à nouveau accès à l’île aux Bénitiers rénovée avec quelques aménagements et améliorations, et j’espère que cela se fera dans les meilleurs délais.
l Mais il n’y a pas des constructions illégales que sur l’île aux Bénitiers. Vous allez faire le même travail de nettoyage, de remise en état sur tous les îlots entourant Maurice ?
— Il existe 52 îlots ou îlettes autour de Maurice qui relèvent de la compétence de mon ministère. Certains d’entre eux ont été confiés au ministère de l’Agro-Industrie pour y faire des réserves naturelles. D’autres sont loués au secteur privé. Le précédent gouvernement avait même loué des îlots faisant partie des réserves naturelles pour y ouvrir des restaurants ! Certains des îlots sont « exploités » un peu comme cela se passait à l’île aux Bénitiers et nous allons mettre de l’ordre et réfléchir sur les moyens de créer les structures nécessaires pour les protéger et de les préserver dans le cadre d’une politique concernant tous les îlots et de toutes les plages.
l La question de privatiser des îlots pour mieux les protéger et les préserver s’est-elle posée ?
— Il y a une école de pensée qui dit que c’est logique. Une autre école suggère que l’accès aux îlots soit payant, ce qui nous donnerait les moyens financiers dont nous avons besoin. Nous sommes en train de réfléchir sur les possibilités.
l Mais il n’y a pas de constructions illégales que sur les îles. Certains quartiers de nos villes et de nos villages ont été « colonisés » par des squatters. Est-ce que vous allez répéter ce que vous venez de faire à l’île aux Bénitiers ailleurs dans le pays, et je vous cite l’exemple des squatters qui ont construit sur les hauteurs des montagnes qui entourent Port-Louis ou Le Morne…
— La loi dit bien que toutes les terres appartenant à l’État relèvent de mon ministère. Il y a des squatters sur les terres de l’État et d’autres sur les terres privées. Il y a plein de quartiers à Port-Louis et ailleurs où il y a des squatters. La politique cours est de ne pas donner des terres aux squatters s’ils ne sont pas enregistrés. Nous sommes en train de réfléchir sur les moyens de mettre de l’ordre dans ce secteur. Je veux mettre de l’ordre, mais je veux aussi proposer des solutions à ce problème national.
l Vous savez que c’est une question très sensible au niveau politique et électoral…
— Si nous pensons en termes de si “je veux être réélu, il ne faut pas que je fasse ça, que je prenne cette mesure”, nous n’allons rien faire. Nous demandons aux squatters de s’enregistrer pour essayer de leur offrir quelque chose de mieux que leur situation illégale actuelle. En ce faisant, nous leur offrons la possibilité d’entrer dans la liste des personnes susceptibles d’avoir un logement. Il y a dans certaines régions de l’île une densité de squatters qui est en train de créer un problème au niveau du law and order en sus des problèmes de drogue, de prostitution et de promiscuité. Il faut trouver des solutions durables pour ces problèmes et ces catégories de Mauriciens. Ce ne sera pas facile puisque ces solutions coûteront de l’argent et que le gouvernement ne peut pas se permettre de s’endetter davantage à cause de l’incompétence du précédent gouvernement. Je suis à la recherche de solutions pour construire plus de logements sociaux sans augmenter le fardeau de la dette nationale.
l Vous êtes au centre d’une polémique — une autre ! — concernant les logements sociaux. Vous affirmez que le gouvernement précédent n’en a construit que 38, alors que le rapport de l’Audit avance le chiffre de 738 logements sociaux livrés. Which is which ?
— Seulement 38 maisons ont été livrées. Il reste 700 maisons construites mais qui n’ont pas été livrées parce qu’elles ne sont pas habitables, puisque non raccordées à l’eau courante, au tout-à-l’égout et aux drains, d’autant qu‘elles ont été construites dans des régions inondables. Nous allons compléter les travaux avant de faire la livraison.
l Allez-vous poursuivre le plan du gouvernement précédent qui prévoyait la construction de 8 000 logements sociaux ?
— Oui, mais en l’améliorant en incluant par exemple les équipements solaires, en agrandissant les jardins d’enfants et terrains de jeu qui sont minimalistes, en prévoyant de petits centres d’infirmerie et des commerces dans chaque lotissement. Nous avons fait la demande aux grands supermarchés qui, pour le moment, ne semblent pas intéressés.
l 8 000 logements sociaux ne vont pas suffire à résoudre le problème du logement à Maurice…
— Vous avez raison : en ne comptant que les personnes enregistrées pour les low cost housing, nous avons plus de 48 000 demandes et elles sont en augmentation. Il y a dans ce chiffre plusieurs catégories en sus de ceux qui sont éligibles à une maison NHDC puisqu’ils ne touchent que Rs 40 000 — montant qui doit être revu avec le salaire minimum. Il y a aussi ceux qui sont trop pauvres et ceux qui sont trop « riches » et qui ne sont pas éligibles. Il faut revoir les barèmes et le critère du logement en général, et penser à ceux qui touchent un salaire supérieur aux normes. Il faut aussi revoir le concept de l’achat d’un appartement au profit d’un plan de location à vie. Il faudrait aussi envisager des collaborations avec le secteur privé. Nous avons encore des terrains de l’État ou ce genre de projets pourraient être développés.
l En parlant de terrains de l’État, est-ce que, comme promis pendant la campagne électorale, vous envisagez de reprendre les terres distribuées aux parents, copains, copines et autres agents politiques, par le gouvernement précédent ?
— S’il y a eu fraude dans l’allocation de ces terrains de l‘État, nous pouvons légalement les reprendre. Si toutes les procédures ont été suivies les bénéficiaires, même si ce sont des copines et des copains, sont protégés par la loi. Il ne faut pas oublier que le précédent gouvernement avait repris des terrains de l’État, que leurs propriétaires sont allés en justice gagner leur affaire et ont été compensés par des millions de roupies puisées dans les caisses publiques !
l Est-ce que, comme après chaque élection, il y aura une distribution des terres de l’État en guise de récompense pour services politiques rendus ?
— Il n’y aura pas de politique de distribution de terres aux copains et copines, mais nous allons faire du State Land Management. Je me rends compte qu’obtenir un terrain de l’État est un véritable parcours du combattant pour le citoyen ordinaire. Pour commencer, il faut savoir où sont les terres disponibles. Je suis en train de réfléchir à la création d’un database des terres de l’État dans le cadre du freedom of information promis. Une banque de données à laquelle le public aura accès puisqu’il s’agit du bien commun des Mauriciens. L’accès sera payant, car il coûtera de l’argent pour créer cette banque de données. Cela ne veut pas dire que les terres seront allouées sans suivre des procédures. Cette database sera un outil qui va nous permettre de faire de la planification urbaine et de l’aménagement du territoire dans la transparence.
l Si je résume ce que vous venez de dire, vous êtes en train de travailler sur une véritable révolution dans le domaine du logement et de la gestion des terres de l’État…
— J‘espère que j’arriverai au bout de cette démarche, Inch Allah.
l Rodrigues sera-t-elle intégrée dans cette banque de données ?
— Je vais faire attention à ne pas empiéter sur les prérogatives de l’Assemblée régionale de Rodrigues, mais il y aura une forme de collaboration avec elle dans le cadre de ce projet.
l Pendant la campagne électorale, l’Alliance du Changement a dénoncé les nominations des proches à des postes de responsabilité par le précédent gouvernement et promis que si vous remportiez les élections, les nominations seraient faites en respectant la méritocratie. Quelle est votre réaction au fait que dans les récentes nominations, on retrouve quatre membres d’une même famille, les Glover, et la belle-soeur du Premier ministre adjoint. Ce qui nous ramène aux pratiques d’un passé récent que vous avez dénoncé avec virulence !
— Ne comparons pas ce qui n’est pas comparable. Quand Jugnauth nommait ses cousins et autres proches, ses critères de base n’étaient pas la qualité ou l’expérience de la personne, mais sa proximité familiale ou politique. Les personnes choisies étaient des exécutants de la politique personnelle de Jugnauth. Cela a été le cas quand la cousine de la femme de l’ex-Premier ministre a été nommée partout comme avouée. En ce qui concerne les nominations auxquelles vous faites référence, qui peut pointer du doigt les qualités et l’expérience de Gavin, Michael et Brian Glover, et de Danny Perrier, qui a été parlementaire, Junior Minister ? Ce sont des personnes qui ont des capacités et l’expérience nécessaires pour les postes où elles ont été nommées. C’est le cas de Rama Sithanen, comparé à l’ancien gouvernement de la Banque de Maurice. Nous avons besoin de personnes qui vont avoir un rôle à jouer dans la reconstruction de l’économie nationale, c’est pour cette raison que nous faisons attention aux nominations, que nous ne faisons pas comme ceux d’avant qui nommaient les personnes d’abord en raison de leurs liens de parenté ou de leur allégeance politique.
l Vous avez été de ceux qui ont dénoncé le précédent Premier ministre qui avait refusé de révéler les détails de l’accord avec l’Inde sur Agaléga. Or, il y a quelques jours, l’actuel Premier ministre a pris la même position sur cette question…
— Je rappelle qu’Agaléga fait partie de la circonscription Numéro 3, dont de je suis un des élus. Effectivement, j’avais interpellé l’ancien Premier ministre sur cette question et lui avait suggéré de montrer aux parlementaires le traité, ce qu’il avait refusé. Aujourd’hui, le Premier ministre et le Premier ministre adjoint ont consulté le traité et m’ont rassuré sur le fait que Maurice allait garder sa souveraineté, qu’il n’y aura pas de base militaire sur Agaléga et que nous allons récupérer toutes les installations construites. La clause de confidentialité existe et en tant que gouvernement responsable, nous allons la respecter. Avec le Premier ministre adjoint, je vais me rendre la semaine prochaine à Agaléga pour préparer un plan d’ensemble d’urbanisation des deux îles et prendre possession des installations construites par l’Inde.
l Poussons plus loin dans l’océan Indien pour arriver aux Chagos et terminer cette interview. Où en sont les négociations sur Diego Garcia qui, théoriquement, relèvent de votre ministère ?
— Comme le Premier ministre l’a dit et répété, c’est d’abord et avant tout une question de souveraineté. Des négociations au niveau gouvernemental sont en cours. En ce qui me concerne, une fois l’accord conclu et en tant que ministre de la République, j’agirai selon les paramètres de cet accord.
l Quatre mois après les 60/0, comment se porte l’Alliance du Changement ?
— L’alliance du Changement se porte très bien au gouvernement et la meilleure preuve en est que nous allons ensemble aux élections municipales, tout naturellement. Nous n’avons pas le temps de nous concentrer sur d’éventuels problèmes d’ego ou de chasse gardée. Nous fonctionnons comme une équipe dont les membres partagent les informations dont ils disposent afin de prendre les meilleures décisions pour l’avenir du pays et de ses habitants.