Sevim Dagdelen, députée du Bundestag en Allemagne, était à Maurice à la fin du moins dernier dans le cadre d’une visite d’information concernant le dossier de l’archipel des Chagos. Elle a eu l’occasion de rencontrer des membres du gouvernement et de l’opposition pour leur faire part de son intérêt concernant les Chagos. Elle se dit également prête à aider Maurice à mieux faire connaître ce dossier en Allemagne et en Europe. Pour elle, la question de souveraineté de Maurice sur les Chagos ne se résume pas seulement à un problème mauricien, mais mondial car elle concerne la décolonisation. À ce chapitre, Maurice peut servir de modèle pour d’autres pays dans le monde, estime-t-elle.
Pourriez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
Je suis membre du Bundestag, le parlement fédéral allemand, depuis 2005. J’en suis à mon cinquième mandat, de quatre ans chacun, soit j’y suis depuis 18 ans déjà. Je suis la présidente du groupe parlementaire du Parti de Die Linke, à la commission des Affaires étrangères, et porte-parole pour la politique internationale et le désarmement.
J’ai milité en faveur de la décolonisation de la politique étrangère allemande. C’est-à-dire que ma mission consiste à permettre à la population de prendre conscience du rôle joué par l’Allemagne comme colonisateur en Namibie, en Tanzanie, au Nigeria… et de s’assurer que le pays n’adopte plus jamais une approche coloniale, notamment sur le continent africain.
J’ai beaucoup plaidé pour une reconnaissance du génocide allemand contre les Héréros et les Nama en Namibie.
Dans quelles circonstances vous êtes-vous intéressée aux Chagos ?
Je me suis intéressée à cette question depuis l’annonce du gouvernement allemand, en 2020, que la frégate allemande Bayern devait faire escale à Diego Garcia, qui fait partie de l’archipel des Chagos, dans le cadre d’un voyage dans la région Indopacifique. J’ai tout de suite réagi en disant Stop . Un navire de guerre allemand n’a pas le droit de débarquer dans un territoire occupé illégalement par les Britanniques en violation des droits internationaux. La souveraineté de cet archipel appartient à Maurice.
J’ai plaidé auprès du gouvernement allemand pour qu’il respecte la souveraineté de Maurice et soutienne la décolonisation des îles Chagos. Une pétition signée par les parlementaires allemands a été adressée au gouvernement. Nous avions fait comprendre que nous sommes solidaires avec Maurice dans sa lutte pour la décolonisation de son territoire.
Depuis cet épisode, je suis en contact avec des membres du parlement mauricien. Malgré le fait que nous siégeons dans l’opposition, nous avons réussi à obtenir que la frégate ne fasse pas escale à Diego Garcia. Nous déplorons l’abstention de l’Allemagne lors de l’adoption de la résolution présentée aux Nations Unies pour porter le dossier des Chagos devant la Cour internationale de Justice. Pourquoi s’être abstenu? Le gouvernement allemand estime que c’est un problème bilatéral entre la Grande-Bretagne et Maurice. Je leur ai fait comprendre que cet argument n’est plus valable aujourd’hui, parce que la Cour internationale de Justice a décrété que ce n’est pas un problème bilatéral. C’est une question qui concerne le droit international. De plus, les Maldives ont changé leur position initiale pour décider de soutenir Maurice.
Nous continuons nos efforts pour amener le gouvernement allemand à changer sa position concernant les Chagos. Nous disons que l’Allemagne est un ancien colonisateur en Afrique et ne peut pas continuer à s’abstenir, alors que nous sommes en train de condamner l’invasion russe en Ukraine en violation des droits internationaux.
Les partenaires de l’Otan, dont la Grande-Bretagne, doivent respecter le droit international. Ils doivent préciser clairement leur position. Nous avions adopté la même position lorsque les Etats-Unis de Bush avaient attaqué l’Irak en violation des droits internationaux. All this show the double standard of western countries. Si un pays qui ne fait pas partie de l’Otan viole le droit international, ils vont le condamner, et si un pays de l’Otan le fait, ils ferment les yeux sur les droits internationaux. Nous devons nous débarrasser du double standard. Nous sommes à un moment historique. Après le jugement de la CIJ, Maurice doit pouvoir exercer sa souveraineté sur les 58 îles de l’archipel des Chagos, y compris Diego. Ce sont des territoires mauriciens.
Des discussions sont en cours entre Maurice et la Grande-Bretagne à ce sujet en ce moment. Qu’en pensez-vous ?
Je félicite vivement les gouvernements du Royaume-Uni et de Maurice pour avoir accepté de négocier le retour des îles des Chagos. Ces négociations sont importantes et historiques. Ce n’est pas seulement un problème mauricien, c’est un problème mondial, car il concerne la décolonisation, qui servira de modèle pour d’autres parties du monde. Il ne faut pas oublier que le Sahara Occidental est occupé par le Maroc.
J’espère que d’autres pays suivront l’exemple de Maurice. It’s about time for justice. J’attends avec impatience l’échange à Maurice pour en savoir plus sur l’état actuel des pourparlers et explorer les moyens par lesquels l’Allemagne et l’Union européenne pourraient soutenir le peuple mauricien dans sa lutte contre le colonialisme en restaurant la souveraineté sur l’archipel des Chagos.
Est-ce que le dossier des Chagos est suffisamment connu en Allemagne, voire en Europe ?
Vos revendications mauriciennes sur les Chagos ne sont pas très connues, probablement en raison de la distance entre les pays européens et Maurice. En vérité, la question de l’occupation du Sahara Occidental par le Maroc et la lutte menée par le front Polisario sont mieux connues. Je pense que la décision de la Cour internationale de Justice concernant les Chagos doit être mieux ventilée. Mauritius must lobby more and advocate more.
Il ne faut pas oublier que nous avons besoin des voix des membres de l’Union européenne pour vous soutenir. La France s’est abstenue en raison de sa propre situation coloniale. Il nous faut arriver à transformer les abstentions pour un vote en faveur de la position mauricienne, parce que ce qui se passe est une honte, que ce soit sur le plan historique, moral ou politique.
Ce qui explique ma visite à Maurice. Je veux mieux comprendre la situation. Comment les négociations avancent, comment se présente la situation aujourd’hui. Comment se présente la participation de la population et quelle est son implication. Est-ce que le Parlement est impliqué ? Est-ce que l’opposition est impliquée ? Est-ce la société civile est impliquée ? Est-ce que les membres de la communauté chagossienne sont impliqués dans les négociations ?
Je sais qu’en Namibie, le gouvernement de ce pays avait toujours parlé de négociations d’Etat à Etat. Toutefois, la Constitution namibienne et les résolutions parlementaires adoptées au Parlement namibien au sujet du génocide stipulent que les autorités namibiennes doivent impliquer et inclure les communautés victimes du génocide. Aujourd’hui, ils se plaignent de n’avoir pas été impliqués dans les négociations. Ils n’acceptent pas les résultats des négociations et demandent la réouverture de ces négociations.
L’Allemagne refuse parce qu’elle ne souhaite pas payer des compensations à nouveau. Le gouvernement namibien est dans un dilemme. Encore une fois, la situation s’apparente au colonialisme, parce que les anciens colonisateurs sont en train de dicter comment mener les négociations. C’est la raison pour laquelle j’étais intéressée de savoir comment cela passait à Maurice et voir à quel point le public est impliqué dans le débat ou si les négociations se déroulent en secret. Il est important d’éviter qu’un ancien colonisateur utilise son pouvoir pour des négociations déséquilibrées et créer un problème dans le pays qui était une de leurs colonies dans le passé. Il y a toujours un risque qu’il y ait une division entre le pouvoir en place et la population. Une façon de divide and rule. Il faut tout faire pour éviter une attitude néocoloniale et une façon coloniale de négocier.
Le Groupe Réfugiés Chagos ainsi que l’opposition demandent que les Chagossiens soient impliqués dans les négociations. Avez-vous rencontré Olivier Bancoult ?
Oui. Il m’a fait comprendre que le Premier ministre le consulte. Je ne souhaite toutefois pas commenter les affaires intérieures de Maurice. Sur un plan général, j’estime qu’il est important qu’il y ait une décolonisation. Pour cela il faut que les négociations se déroulent sur un pied d’égalité, on an equal playing ground .
Personne ne doit exercer de pressions sur son interlocuteur. C’est important. L’ancien colonisateur doit agir conformément aux lois internationales et les instructions de la Cour internationale de Justice. Or, la Cour internationale est à 100% en faveur de la position mauricienne. Vous avez donc la justice internationale de votre côté. Après le vote obtenu au niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies, vous avez la communauté internationale très clairement de votre côté. Vous avez tous les pouvoirs nécessaires durant cette période cruciale. Il est important que Maurice utilise cette position de pouvoir dont elle dispose.
Avez-vous pris connaissance du rapport de Human Right Watch, publié récemment, concernant les Chagos ?
Very supporting as well. Maurice pourrait aller à nouveau devant les Nations Unies, car les Anglais ne coopèrent pas suffisamment.
Tout en réclamant l’exercice de la souveraineté sur toutes les îles de l’archipel, le gouvernement mauricien a accepté que les Etats-Unis maintiennent leur base militaire à Diego Garcia. Qu’en pensez-vous ?
Encore une fois, c’est une question de décolonisation. Si vous voulez avoir des négociations sur une base d’égalité, personne ne peut vous dire qu’elle va négocier, à condition que vous disiez oui ou non à ceci ou cela.
L’indépendance de Maurice a été obtenue sur cette base…
Je peux comprendre la position d’un pays qui décide de commenter sur la question de la souveraineté et puis toutes les autres questions suivront. It is a smart attitude qui consiste à avancer pas à pas.
Il ne faut pas oublier que Maurice a signé le traité de Pelindaba, dont l’objectif est de créer une zone exempte d’armes nucléaires en Afrique (ZEANA). Ce traité signé en Afrique du Sud, sous l’égide de l’Union africaine, est entré en vigueur depuis le 15 juillet 2009. Si la base est maintenue, je me demande si Maurice sera conforme à ce traité, car nous savons qu’il y a des armes nucléaires sur l’île.
En vérité, nous ne savons pas ce qui se déroule sur cette île. Certains rapports font mention du fait que les Etats-Unis ont violé la loi internationale en utilisant Diego pour des Rendition Flights , pour la détention et les interrogatoires de prisonniers, etc. Is Mauritius ok with having with a military base on their own soil from where drone killing and rendition flights or other actions illegals are taking place? Je ne sais pas.
Nous avons un problème similaire à Ramstein, en Allemagne, où des armes nucléaires sont stockées. De cet aéroport, des attaques militaires sont organisées vers d’autres pays. Nous ne l’acceptons pas. Une résolution a été adoptée au Bundestag interdisant les bombes nucléaires sur cet aéroport. Jusqu’à maintenant, les Américains n’ont pas été enlevés. Avec la guerre sur le continent européen, l’escalade augmente tous les jours parce que l’Ouest continue à verser de l’huile sur le feu en fournissant davantage d’armes, alors qu’il n’y a aucune négociation nette en faveur de la paix. Maintenant, ils parlent de la fourniture d’avions de combat, et pourquoi pas des missiles à longue portée ou l’envoi de troupes au sol…
On parle de victoire et de défaite, mais pas de négociations. Si nous avons une escalade contre une puissance nucléaire comme la Russie, la plus grande force nucléaire au monde, il est dangereux pour nous d’avoir des armes nucléaires ou une base militaire dans notre pays, parce que nous risquons d’être la cible des Russes. C’est la raison pour laquelle je milite pour la démilitarisation et la dénucléarisation. Des pays comme Maurice doivent pouvoir choisir leur propre chemin, et non pas être partie prenante d’un bloc. Nous avons besoin de « peace lovers and freedom lovers » comme Maurice pour avoir la paix dans la région et dans le monde. C’est la raison pour laquelle Maurice devrait pouvoir réexaminer sa décision d’avoir une base militaire sur son territoire.