Satish Purmessur :  « L’avenir de la canne est très prometteur »

Dans un entretien accordé à Le-Mauricien cette semaine, Satish Purmessur, président de la Mauritius Cane Industry Authority (MCIA) qui avait présidé le Framework Implementation Committee dans le cadre de la préparation du National Biomass Framework, fait le point sur l’industrie cannière et sur la production énergétique. Il se dit confiant quant à l’avenir de l’industrie cannière à Maurice qui est très prometteur.

- Publicité -

En tant que CEO de la Mauritius Cane Industry Authority, pouvez-vous faire un état des lieux de l’industrie sucrière à Maurice ?
Je dois d’emblée vous dire que la situation en 2023 n’est pas comparable à celle qu’on a connue en 2017-2018, qui ont été des années difficiles. À cette époque, beaucoup d’observateurs prévoyaient le pire et appréhendaient la fin de l’industrie cannière à Maurice.

Plusieurs événements ont secoué l’industrie sucrière. Il y avait eu la fin du Protocole-Sucre qui avait forcé le pays à entrer en compétition avec d’autres producteurs performants sur le marché mondial. Or le prix du sucre durant cette période était très bas au point que les producteurs n’arrivaient pas à couvrir les frais de leurs productions. C’était la catastrophe. Le résultat est que beaucoup de planteurs ont commencé à délaisser leurs champs. Certains avaient abandonné carrément leurs plantations. On craignait le pire pour cette industrie.

Le gouvernement est intervenu pour soutenir les petits planteurs en introduisant un prix garanti de Rs 25 000 par tonne de sucre. Les gros planteurs ont été plus résilients. Ils ont gardé leurs champs, leurs usines. Les planteurs corporatifs ont contracté des prêts et ont poursuivi leurs activités malgré le fait qu’ils enregistrent des pertes. Le rapport de la Banque mondiale avait constaté que l’industrie sucrière enregistrait des pertes de Rs 1,5 milliard par an.

Est-ce que les recommandations contenues dans le rapport de la Banque mondiale ont été mises en œuvre ?
La Banque mondiale avait fait des recommandations aussi bien à court terme qu’à long terme dont la mise en œuvre devait débuter immédiatement afin d’empêcher la disparition de l’industrie cannière.

Parmi les mesures préconisées figurait la nécessité de mettre l’accent sur les sucres spéciaux à haute valeur ajoutée qui étaient plus rémunérateurs sur le marché international. Les prix en général étaient le double de ceux obtenus des sucres spéciaux. Il fallait pouvoir pallier au problème de la main-d’œuvre. Pour cela, la mécanisation à outrance était recommandée. Il a aussi fallu aussi prendre des mesures pour faciliter l’accès des petits planteurs à la mécanisation.

Les recommandations de la Banque mondiale comprennent également la création d’un State of the Art Warehouse près du port pour entreposer les sucres spéciaux. À ce propos, un Land Lease Agreement a été conclu entre la MCIA et Landscope Ltd concernant l’octroi d’un terrain de 16 arpents dans la région de Jin Fei, à Riche-Terre, à notre disposition pour la construction d’un entrepôt pour le stockage de 150 000 tonnes de sucres spéciaux en sacs. Le volume de production des sucres spéciaux a augmenté sensiblement et dispose d’un marché niche.

Ce projet nécessitera des investissements de l’ordre de Rs 250 millions. Comme nous l’avons déjà expliqué, le but de ce projet est de relocaliser l’entrepôt de sucres qui se trouve actuellement à Caudan et de libérer le terrain qui sera utilisé par Landscope pour des projets de développement dans la région portuaire.

Après 2019, nous avons constaté une reprise au niveau des prix sur le marché international. Le prix est passé de Rs 8 700 la tonne en 2017 à Rs 14 000 la tonne en 2019, puis à Rs 16 700 en 2019. En 2023, le prix du sucre est passé à Rs 25 544 la tonne. À la suite des recommandations de la BM de rémunérer la bagasse à sa juste valeur pour la production de l’électricité, le gouvernement a introduit des mesures afin d’augmenter le prix de la bagasse de Rs 150 la tonne à Rs 3 300 par tonne de sucre. À cela s’ajoute un montant de Rs 2 000 pour la mélasse. Ce qui porte les revenus sucriers à Rs 30 000 par tonne de sucre. Ce qui a permis aux producteurs de sortir la tête de l’eau.

Quid du rôle de la MCIA dans tout cela ?
Au niveau de la MCIA, nous sommes en train d’appliquer toutes les mesures annoncées par le gouvernement. Les petits planteurs disposent d’un prix garanti de Rs 27 500 la tonne. De plus, dans le cadre de l’Agricultural Land Management Scheme, le gouvernement a prévu un budget de Rs 75 millions pour la replantation de la canne après sept ans. Une subvention de 50% est accordée sur les prix des fertilisants pour lesquels un budget de Rs 125 millions a été prévu. Et les petits planteurs ne paient ni la prime d’assurance et la CESS. En plus, le gouvernement a fait l’acquisition de deux Harvestors au prix de Rs 15 millions qui ont été mis à la disposition de la Mauritius Cooperative Agricultural Federation qui les loue aux planteurs à un prix raisonnable.

Concernant les gros planteurs, le gouvernement a décidé de les aider dans le cadre de la replantation de leur champ à travers un subside de Rs 200 millions géré par la Banque de Développement. Le montant de ce subside est passé à Rs 500 millions cette année. Ce plan a démarré dès le début de l’année et à ce jour quelque 8 000 arpents de terrain sont sous plantation. La MCIA agit comme interface entre le demandeur et la Banque de Développement. Dans le cadre de ce projet, la DBM accorde un prêt de Rs 50 000 par arpent aux planteurs. Ce prêt est remboursable à un taux d’intérêt de 2% par an, sous réserve que l’emprunteur se conforme à toutes les conditions générales de la banque.

Cette année-ci, la MCIA a eu la responsabilité de préparer le National Biomass Framework qui, au terme de plusieurs mois de travail, a été approuvé par le gouvernement le 26 mai dernier. Les travaux de préparation ont bénéficié du soutien de toutes les parties prenantes du secteur sucrier. Business Mauritius et la Chambre d’Agriculture y ont également participé.

Pouvez-vous nous parler davantage du National Biomass Framework ?
Ce rapport comprend deux volets. En premier lieu, une série de mesures sont proposées pour augmenter la productivité de la canne. Nous travaillerons avec des variétés ayant beaucoup plus de fibres sans compromettre le taux d’extraction de sucre. Nous avons recommandé la sécurisation d’une superficie de 45 000 hectares de terre sous canne. Les petits et les gros planteurs procèdent actuellement à la replantation de leur champ. Ce qui devrait garantir une production de 3,8 millions de tonnes de canne, moyennant une production de 80 000 tonnes. Et devrait permettre une production de 538 GWh d’électricité d’ici à 2030.

À cela s’ajoute le Woody Biomass avec un potentiel de production de 235 GWh, portant la production d’électricité à 773 GWh, représentant 22% de mix énergétique équivalent à 491 000 tonnes de charbon. L’année dernière, le secteur sucrier avait produit 177 GWh. La production devrait passer de 230 à 235 GWh cette année. En plus de la bagasse, les pailles de canne seront aussi utilisées et une rémunération est prévue à cet égard.
En plus de la bagasse, il y a aura désormais du Woody Biomass ainsi que la paille de canne. Des projets pilotes ont déjà été lancés pour la mise en terre de certaines variétés d’eucalyptus qui sont très prometteuses. Le projet devrait arriver à terme dans trois ou quatre ans. On commencera alors la récolte. Ces arbres seront plantés sur des terres marginales.

Quelque 3 500 hectares de terres marginales avec un rendement sucrier très faible ont été identifiés pour la plantation d’arbres qui pourront générer l’équivalent de 50G Wh d’électricité. Les propriétés sucrières participent pleinement au projet. Un plan d’attestation est actuellement proposé aux intéressés. Ils pourront bénéficier d’un prêt de Rs 150 000 par hectare de production de la biomasse. Nous travaillons également avec les services des Bois et forêts ainsi qu’avec les propriétaires des forêts privées. Ils viendront avec des projets. Nous comptons également planter des espèces qui pourront être récupérées sans compromettre la forêt naturelle de Maurice.

Pendant une période de transition, on compte importer des Wood Pellets du Canada. L’île de La-Réunion dispose déjà d’une centrale à 100% Wood Pellets. D’ailleurs, une délégation mauricienne compte se rendre à l’île sœur au début du mois prochain. Dans le cadre du National Biomass Framework, la création des PME est encouragée pour collecter des Woody Wastes de sources industrielles ou domestiques. Des prêts de l’ordre de Rs 30 millions sont proposés pour l’achat des équipements remboursables sur une durée de quatre ans. Nous pensons que ce projet peut produire jusqu’à 80 GWh.

Malgré tout cela, nous avons l’impression que les petits planteurs tardent à reprendre la culture de la canne. Pourquoi ?
C’était vrai l’année dernière. Mais cette année, nous avons reçu des demandes pour la replantation d’une superficie de 1 800 hectares de la part des petits planteurs. Il y a aussi des terres abandonnées qui sont reprises en main, compte tenu du fait que le prix du sucre a grimpé et qu’il y a de l’avenir pour l’industrie cannière à Maurice.

Quid de la main-d’œuvre qui, semble-t-il, fait défaut ?
C’est vrai que c’est une préoccupation. C’est pourquoi presque tous les projets de replantation ont recours à la mécanisation. C’est-à-dire que les champs sont préparés afin de faciliter la replantation. Nous avons déjà deux Harvesters et envisageons de faire l’acquisition de deux autres afin que chaque région de l’île en dispose d’une.

Est-ce que l’importation de la main-d’œuvre est envisagée?
C’est envisagé. On dit qu’il y a suffisamment de main-d’œuvre sur le marché local. En réalité, il n’y a pas de main-d’œuvre disponible et disposée à travailler dans les champs. Nous travaillons actuellement sur un plan concernant les travailleurs étrangers. Nous travaillons sur un modèle susceptible de permettre aux petits planteurs qui le souhaitent de puiser dans un pool de travailleurs. Nous travaillons ainsi avec les parties concernées et ferons les recommandations nécessaires.

La production sucrière, cette année, est encore très basse. Quel est le problème ?
Il y a eu plusieurs facteurs qui ont affecté la production cannière. Il y a eu l’aspect climatique. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu le Covid ainsi que d’autres problèmes. Toutefois, avec le programme de replantation, les choses devraient s’améliorer. Nous sommes confiants de pouvoir dépasser les 300 000 tonnes de sucre d’ici quelque temps.

Donc, si on comprend bien, l’industrie sucrière reprend du poil de la bête…
L’industrie est multifonctionnelle. Elle concerne tous les secteurs de l’économie, ainsi que l’environnement et le développement du pays en général. Les piliers économiques du pays ont bénéficié des investissements venus de l’industrie sucrière. L’avenir pour le développement de la canne est très prometteur.

Nous parlons beaucoup de production d’énergie durable mais où en sommes-nous avec la production du bio fuel ?
Aujourd’hui, tout l’éthanol produit par Omnicane est destiné à l’exportation. Nous cherchons toujours le soutien technique nécessaire et de l’expertise. Nous viendrons bientôt avec un projet, avec le soutien technique nécessaire pour redynamiser le projet Ethanol Framework. Nous verrons alors quel modèle est plus adapté à Maurice.

Est-ce que le projet de mélanger l’éthanol à l’essence tient toujours la route ?
La question de E-10 ou E-5 est toujours d’actualité. Toutefois, il sera difficile d’aller directement vers E-10 ; nous pensons plutôt à E-5, c’est-à-dire 5% d’éthanol dans l’essence pour les voitures. En Inde, ils sont déjà très loin avec E-20.

Nous déplorons souvent que les terres sous canne soient rongées par les smart cities…
C’est qu’il y a d’un côté le développement économique et, de l’autre, l’industrie cannière. Comme souligné plus haut, si nous sécurisons 45 000 hectares sous canne, nous pouvons aller très loin. Si on dispose de terres fertiles, de l’eau et du soleil, la production va définitivement augmenter.

Comment intéresser davantage de jeunes à se tourner vers l’agriculture ?
Avec la mécanisation, il faut avoir davantage d’opérateurs formés techniquement pour opérer les nouvelles machines comme les Harvesters qui utilisent la technologie informatique, le GPS ou l’intelligence artificielle. Nous utilisons également les drones sur une base pilote pour répandre les mûrisseurs. Ce qui a permis d’augmenter le taux d’extraction de 1% et c’est beaucoup. Son utilisation augmentera dans les années à venir. Il faut disposer des ressources humaines nécessaires.

Il est vrai qu’il y a des planteurs qui ne souhaitent pas que leurs enfants s’engagent dans le business de la canne. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui avec le Smart Farming, les agriculteurs peuvent suivre la progression de leur plantation à travers un laptop. C’est la raison pour laquelle beaucoup de professionnels comme des avocats ou des médecins continuent à s’occuper de leurs plantations tout en s’occupant de leurs activités premières.

Est-ce que la MCIA tient également en considération la question de sécurité alimentaire dans le cadre de ses activités ?
Ce sont des sujets qui font partie de la stratégie de développement des compagnies sucrières. Médine et Omnicane sont engagées dans la production vivrière et de pomme de terre. Elles travaillent avec le ministère de l’Agro-industrie, en collaboration avec la Chambre d’agriculture et le FAREI. Il y a beaucoup de travail à accomplir pour satisfaire la demande locale. Par contre, la production interlignes est devenue plus difficile avec la mécanisation. Il y a des paramètres à respecter.

Vous êtes donc confiant pour l’avenir ?
Tous les efforts que nous faisons actuellement devraient donner des résultats très intéressants à l’avenir. Les cannes qui sont actuellement replantées ne seront pas remplacées avant sept ans. Sur le plan international, le Syndicat des Sucres est toujours très vigilant afin de saisir de nouvelles opportunités pour nos sucres. Actuellement, nous produisons déjà 23 variétés de sucres uniques au monde.

Êtes-vous planteur ?
Non, je ne le suis pas mais mes parents sont planteurs. Nous connaissons la canne très bien. Je suis ingénieur de formation et c’est le management qui m’intéresse le plus.

 

« On a recommandé la sécurisation d’une superficie de 45 000 hectares de terre sous canne. Les petits et les gros planteurs procèdent actuellement à la replantation de leur champ. Ce qui devrait garantir une production de 3,8 millions de tonnes de canne, moyennant une production de 80 000 tonnes. Ce qui devrait permettre une production de 538 GWh d’électricité d’ici 2030 »

« L’industrie est multifonctionnelle. Elle concerne tous les secteurs de l’économie, ainsi que l’environnement et le développement du pays en général. Les piliers économiques du pays ont bénéficié des investissements venus de l’industrie sucrière »

« Avec le programme de replantation, les choses devraient s’améliorer. Nous sommes confiants de pouvoir dépasser les 300 000 tonnes de sucre d’ici quelque temps »

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -