Satish Boolell, médecin et politicien : « Nous opérons dans une opacité totale en ce qui concerne le Covid »

Alors que la Chine procède ce week-end à la levée de ses restrictions sanitaires concernant le Covid-19, le Dr Satish Boolell, médecin légiste qui opère actuellement comme consultant au niveau local et international, et que Le-Mauricien a rencontré au milieu de cette semaine, s’étonne que le gouvernement fasse comme s’il n’était pas au courant de ce qui se passait en Chine. Il déplore « l’opacité totale dans laquelle opère le ministère de la Santé » concernant le Covid-19, et en particulier son variant Omicron. 90% des personnes affectées ont plus de 65 ans, rappelle-t-il, et elles devraient donc être, selon lui, « encouragées à faire le vaccin de rappel ». Toujours au niveau de la santé, il se prononce en faveur de la création d’un comité d’éthique indépendant pour se pencher sur les cas de médecins responsables de négligence médicale. Il propose aussi la création d’un poste d’Ombudsperson pour les personnes âgées « afin de veiller qu’elles ne soient pas victimes d’exploitation ».

- Publicité -

À partir de ce week-end, la Chine procède à la levée des restrictions sanitaires concernant le Covid. Comment avez-vous accueilli ce nouveau développement et quelles conséquences pour Maurice ?
Regardons les choses dans le contexte mauricien. Nous sommes au courant de la présence à Maurice d’un variant du Covid connu comme Omicron. Nous n’avons pas suffisamment d’informations sur les dégâts causés par ce variant. De temps en temps, nous apprenons que des personnes sont admises à l’hôpital ENT et après nous apprenons qu’il y a eu des décès. Nous opérons dans une opacité totale. Les informations ne sont pas disséminées. Nous ne réalisons pas ce qui se passe. Nous ne suivons plus aucun protocole.
Je ne dis pas qu’il faut revoir certaines décisions déjà prises, mais la population a droit à l’information. À la lumière des informations que nous recevons au niveau international, nous observons que 90% des décès causés par le Covid sont des personnes au-dessus de 65 ans. Donc, il est important de promouvoir la politique de vaccination des personnes tombant dans cette tranche d’âge, tout en les rassurant en ce qui concerne la qualité des vaccins.
En tant que médecin, je suis assailli de questions concernant les vaccins qui sont utilisés. Est-ce que c’est un vaccin périmé ? Les dates d’expiration sur un médicament ou un vaccin ne sont pas le fruit du hasard. Ceux qui les ont fixées ne sont pas des imbéciles et ne s’attendent pas que les autorités mauriciennes modifient cette date parce qu’elles ont fait l’acquisition d’un stock conséquent de vaccins et parce qu’elles ont introduit un prélèvement sur l’essence pour l’acquisition de vaccins. Un consommateur éclairé souhaite avoir une réponse. En tant que médecin, j’ai moi-même effectué des démarches. En vain.
Concernant l’ouverture de la Chine, je me demande si les autorités mauriciennes sont au courant que des restrictions ont déjà été introduites dans plusieurs pays dans le monde concernant les passagers en provenance de ce pays. D’ailleurs, nous avons l’impression que tous les systèmes de contrôle à l’aéroport ont déjà été abandonnés, alors qu’un minimum de vigilance aurait dû être maintenu en guise de prévention afin que les autorités ne soient pas taxées de négligence.

Nous savons que beaucoup de Mauriciens attendent l’occasion de se rendre en Chine. Vous êtes donc en faveur de l’introduction de restrictions, comme c’est le cas dans des pays européens, en Inde et ailleurs ?
Le gouvernement doit informer la population sur ce qu’il compte faire. Il est impérieux que le ministère de la Santé diffuse chaque semaine un communiqué pour expliquer clairement la situation concernant le Covid et en donnant des détails sur les variants, l’hospitalisation des malades, le statut vaccinal des malades… Une année après l’introduction du troisième vaccin, on s’attend que le gouvernement intensifie sa campagne en faveur d’un vaccin de rappel, surtout pour les personnes vulnérables.

S’il fallait faire un état des lieux de la situation dans le secteur de la santé à Maurice, que diriez-vous ?
Au début, lorsqu’on a commencé à soigner le Covid, tous les autres traitements ont été négligés. Le résultat est que la liste d’attente dans tous les autres services de santé s’est allongée considérablement. Or, l’allongement des listes d’attente dans les hôpitaux force les patients à se tourner vers le secteur privé. Ce qui peut correspondre à une forme de corruption. Le recours au service privé ne devrait pas dépendre de la longueur de la liste d’attente dans le service public. C’est la raison pour laquelle il est important de savoir exactement quelle est la situation en matière des listes d’attente dans le service public, quels sont les services concernés et quelles sont les dispositions qui sont prises pour remédier à la situation.
Nous savons souvent que ce sont les mêmes spécialistes du secteur public qui interviennent dans le privé. Souvent, les patients ne sont pas satisfaits et réclament une contre-expertise à la suite du décès d’un malade. Ce qui, comme vous le savez, coûte très cher dans le privé. Avec pour résultat qu’il existe des cas de négligence pour lesquels aucune suite n’est donnée. Les gens n’ont généralement pas d’autres recours que les médias pour évoquer leurs problèmes et chercher une opinion.

Pourtant, de grands projets d’infrastructures dans le domaine de la santé sont annoncés régulièrement, que ce soit pour le cancer ou d’autres traitements…
Maurice est, comme vous le savez, un musée de bonnes intentions. Si cela suffisait pour guérir les malades, nus aurions été loin. Toutefois, les services offerts laissent à désirer. Le service d’accueil dans les établissements publics est inexistant. Il n’y a pas de services d’information. Les familles doivent être mises au courant des risques qui se présentent lorsqu’un de leurs parents doit subir une intervention chirurgicale. C’est qu’on appelle le consentement informé. Il y a eu beaucoup de médecins formés à travers le monde et, une fois qu’ils ont satisfait les critères requis, ils ont été promus spécialistes. Malheureusement, souvent, ils n’ont pas l’expérience requise, avec le risque d’erreurs médicales.

Quid de leur formation ?
Le ministère exige, il est vrai, des cours de Continuous Medical Education. Malheureusement, il existe des médecins qui suivent des cours uniquement pour obtenir des points. La formation est une démarche tout à fait différente. Pour avoir une compétence, le médecin devrait être mis à l’épreuve. Laissez-moi vous dire que dans le passé, quel que soit le gouvernement, Rodrigues a été utilisée à des fins médicales. Des généralistes avaient été envoyés dans l’île pour se faire la main et pour devenir ensuite des spécialistes. Certains sont devenus de brillants spécialistes après leur période de rodage à Rodrigues. Cette question de formation doit être prise avec beaucoup plus de sérieux.
Pour en revenir aux infrastructures, chaque ministre a essayé d’innover. Certains ont créé des Community Health Centers, d’autres des dispensaires, etc. Mais souvent, ces centres de santé ne font qu’assurer le transport des malades vers les hôpitaux. Il y a encore tout un travail à faire pour que ces centres opèrent de manière efficiente, avec le personnel médical approprié et de manière continue.

Malgré ces infrastructures publiques, nous observons une multiplication des cliniques privées. Comment expliquez-vous cela ?
C’est vrai. Nous assistons à l’ouverture de cliniques privées à travers l’île. Certaines sont très bonnes, dans le sens où elles offrent un service complémentaire à celui du service public dans certains secteurs. Je ne vois pas pourquoi un hôpital ne pourrait pas s’améliorer afin d’offrir un service aussi compétent. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire que l’hôpital est bon parce qu’il a accueilli un million de patients. C’est une déclaration dénuée de bon sens. Ce qu’on ne dit pas, c’est que ces mêmes personnes font le tour des hôpitaux.
Pour assurer l’efficience, il faut contrôler le nombre en s’assurant que le dossier de chaque patient soit traité et suivi comme il le faut. Or, voilà des années que chaque ministre promet l’informatisation des services de santé. Je sais que ce n’est pas une tâche facile. Mais il faut trouver un moyen permettant d’avoir accès au dossier d’un malade à travers l’île. Savez vous le parcours du combattant qu’il faut faire pour trouver le dossier d’un malade ? Tout cela est indicatif du gaspillage qui prévaut dans le système. Et je ne parle pas des médicaments à l’hôpital. Chaque personne qui se rend à l’hôpital rentre chez lui avec une cargaison de paracétamol pour sa famille. La mauvaise gestion des médicaments fait qu’il y a beaucoup de médicaments indispensables qui font défaut dans les hôpitaux. Un autre problème est que les hôpitaux ne sont pas équipés pour traiter les personnes âgées…

Pouvez-vous nous en parler ?
Il est malheureux de voir le nombre de personnes âgées qui passent leur journée à l’hôpital après avoir obtenu de rendez-vous. Beaucoup arrivent avec raison pour déjeuner. Or, le passage des personnes âgées à l’hôpital doit se faire en douceur. Il faut prendre les dispositions afin qu’elles bénéficient d’une priorité.
Nous ne pouvons pas comparer Maurice avec le National Health Service (NHS) britannique, où il y a beaucoup de problèmes, contrairement à ce que nous pensons. Je voudrais savoir si les entreprises qui réfèrent les travailleurs étrangers qu’ils emploient à l’hôpital encourent les frais de traitement de leurs travailleurs.
Est-ce normal qu’alors que les travailleurs étrangers, qui permettent à des entreprises ou supermarchés de réaliser des profits, soient traités gratuitement dans nos hôpitaux ? Il revient à ces entreprises de contribuer à un système d’assurance pour assurer la bonne santé de leurs employés. Je constate que le service de santé publique à Maurice périclite sans que personne ne tire la sonnette d’alarme.

Le nombre de cas de négligences médicales se multiplie… Qu’en pensez-vous ?
La négligence médicale intervient lorsque la qualité des soins est en-dessous du niveau que vous attendez. Lorsque la qualité du service baisse et qu’il y a des décès, cela devient un cas de négligence médicale. Avez-vous déjà réalisé que pour un cas de négligence médicale, cela prend au moins dix ans avant d’aller en Cour ?
De plus, lorsqu’il y a un cas de négligence dans le service public, c’est le ministère qui s’assure de l’enquête. Lorsqu’il voit un problème, le cas est référé au Medical Council. Or, dans le privé, le cas de négligence est référé directement au Medical Council. Malheureusement, malgré la présence de personnes de bonne volonté au sein de ce conseil, il n’a aucun pouvoir. C’est un bouledogue sans dents.
C’est la raison pour laquelle je préconise la création d’une institution indépendante, du ministère ou du Medical Council, pouvant se concentrer sur la formation et l’examen des médecins et des spécialistes. Cette institution peut prendre la forme d’un comité d’éthique composé de médecins expérimentés et respectés à Maurice, et d’un certain nombre de médecins étrangers. Ce comité pourrait se prononcer sur la compétence des médecins et des spécialistes pratiquant à Maurice. Maurice est devenue une terre d’accueil pour les médecins qui ne peuvent même pas pratiquer dans les pays où ils ont été formés.
Au-delà de la politique, la santé est l’affaire de tous, nous devons être conscients que nous avons une population vieillissante. Le gouvernement ne doit pas s’arrêter à l’octroi de la pension de vieillesse. Elle doit s’occuper de sa qualité de vie. C’est pourquoi je suis en faveur de la création d’un poste d’Ombudsperson pour les vieilles personnes. Il aurait pour tâche de s’assurer que la qualité de service aux personnes âgées soit assurée, que nos aînés ne soient pas exploités par qui que ce soit. Cela peut être ses proches, mais cela peut également être par les maisons de retraites, privées ou bénévoles. Un contrôle de ces maisons de retraite s’impose d’ailleurs.
Un grand nombre de cas de féminicides et de criminalité a été enregistré l’année dernière. Comment cela vous interpelle-t-il ?
Deux choses m’interpellent : le temps qu’on prend avant que l’affaire soit portée en Cour, d’une part, et ensuite la Provisional Charge. Maurice est le seul pays au monde qui pratique la Provisional Charge. Ainsi, une personne reste en détention provisoire pendant des semaines ou des mois jusqu’à ce que le magistrat affirme que si aucune charge n’est introduite en Cour, la personne sera relâchée. Ce n’est pas normal.
Je suis convaincu après l’arrestation d’une personne, un délai doit être fixé pour qu’une accusation soit portée contre lui. Il est temps qu’une institution ou un sociologue fasse une étude sur les raisons pour lesquelles les affaires tardent en cour. À mon avis, il y a un abus de la Provisional Charge. Il y a trop souvent absence de témoins.
Il existe des cas où, en attendant que l’affaire soit entendue, le magistrat a été promu et tout doit recommencer. Si on ne règle pas tout cela, la justice risque de devenir une affaire de riches. Maintenant, lorsqu’une personne est condamnée, on peut s’interroger sur l’efficience du système de réforme. On peut également s’interroger sur la Community Sentencing. Je crains que même au niveau de la justice, il y ait une certaine inégalité dans le pays.

Comment résoudre ce fléau qu’est le féminicide ?
C’est un fléau parce que chaque crime qui se produit à Maurice mérite une étude sociologique poussée. En premier lieu, lorsqu’il y a des problèmes entre les membres d’un couple, il faut un réseau de système de conseil, discret et confidentiel. Il faut également qu’il y ait un Fast Track.
Il est impensable qu’une personne qui a tué sa femme devant témoin attende cinq ans pour comparaître en Cour. Après cinq ans, beaucoup de données changent. La solution ne réside pas dans l’organisation des marches publiques, qui peuvent attirer l’attention du public. Il faut que le judiciaire demande au commissaire de police de compléter l’enquête le plus vite possible, dans un mois s’il le faut, et de condamner le coupable sans tarder, alors que les faits sont encore frais dans la tête des gens. Tout le monde doit savoir que le meurtrier qui a tué sa femme a été condamné.

Pensez-vous que les officiers de police méritent une meilleure formation ?
Je n’ai pas de problème avec la formation des officiers de police. Le problème réside dans le fait que, souvent, les officiers recrutés se dégoûtent de leur métier très vite.
Savez-vous que beaucoup de ces jeunes recrues ont leur diplôme, et elles sont en train de surveiller le métro, les carrefours… Souvent, il y a deux officiers à tour de rôle. On me dit que dans certains endroits, il faut un troisième pour surveiller les rails…
Je peux vous dire que ces officiers sont frustrés. S’il fallait vraiment surveiller, il aurait fallu créer un grade de Traffic Warden, qui ne nécessite pas de diplôme ou de HSC. Ils pourraient également surveiller les résidences ministérielles.

Vous êtes également politicien. Le PM a annoncé que les élections n’auront pas lieu avant 2024. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai que les élections doivent être organisées tous les cinq ans. Cependant, quelquefois, la situation est telle qu’il n’est pas possible de faire autrement. Même SAJ a eu à faire autrement. La population n’est pas agressive, mais elle n’est pas amorphe non plus. Il y a un profond silence au niveau des votants. Ce pays mérite mieux. Il faut cesser de politiser toutes les choses. Dans ce pays, nou tou fami. Pena kominote. Pena Cast System. Ena kass system. Larzan fer ou gagn partner.

Vous avez dans le passé été associé au sport et au football. Comment avez-vous accueilli la mort de Pelé ?
Pour moi, Pelé n’est pas qu’un symbole du football. Enfants, nous avons grandi avec la victoire du Brésil et de Pelé à la Coupe du Monde. Il n’y avait même pas de télévision en couleur à l’époque. Pelé a le mérite d’un pauvre pouvant aspirer à devenir grand par la force de ses pieds. Je le place au Panthéon des athlètes de haut niveau, à l’instar de Mohamed Ali. Il est devenu un ambassadeur international pour son pays.
Je vois que la FIFA a souhaité que chaque pays donne le nom de Pelé à un stade. C’est ridicule. J’aurais préféré voir la FIFA encourager la création d’une bourse sport-étude portant le nom Pelé dans chaque pays afin de permettre qu’un joueur pauvre et doué puisse bénéficier d’une formation complète dans un centre afin de devenir un bon footballeur.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -