Sarita Boodhoo (Ex-présidente de la Bhojpuri Speaking Union) : « Je reprends mon bâton de pèlerin en faveur du bhojpuri à l’école »

Dans une interview accordée à Le-Mauricien cette semaine, Sarita Boodhoo, ex-présidente de la Bhojpuri Speaking Union (BSU), parle de l’organisation du pèlerinage du Maha Shivaratree et se réjouit que le pèlerinage se soit déroulé dans la discipline. Elle évoque aussi sa récente tournée en Inde, durant laquelle elle a reçu le Pravasi Bharatya Samman Award, une des plus hautes distinctions accordées aux membres de la diaspora indienne dans le monde. Elle évoque aussi sa participation au pèlerinage de Kumbh Mela en Inde. Elle plaide par ailleurs pour que le département de bhojpuri au Mahatma Gandhi Institute (MGI) retrouve son dynamisme et son éclat. Tout en annonçant son intention de reprendre son bâton de pèlerin pour s’assurer que le bhojpuri puisse entrer dans les écoles.

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Comment s’est passé le pèlerinage de Maha Shivaratree pour vous cette année ? 

Le président du Shri Vishwanath Mandir, de Vallée-des-Prêtres, Devraj Sookun, m’a fait l’honneur de m’inviter à la cérémonie de prières dans la soirée de Maha Shivaratree, le 26 février. Il voulait me féliciter pour le prestigieux Pravasi Bharatiya Samman Award qui m’a été décerné par le gouvernement indien à l’occasion de la 18e édition du Pravasi Bharatiya Divas. Les dirigeants avaient maintenu l’organisation de la cérémonie malgré l’avertissement du cyclone de classe III et sont venus me chercher chez moi. J’ai été très touchée par la ferveur, la piété et la dévotion des nombreux dévots qui s’étaient rassemblés dans un temple nouvellement rénové. Ils ont fait leur offrande dans la discipline. Les jeunes filles prépa raient avec dévouement le Bael Patra cueilli dans la forêt de Vallée des-Prêtres pour offrir à Shiva. D’après le Bhagavat Gita, le Bael Patra est une plante sacrée qui a une grande signification dans la mythologie médicale et scientifique. J’ai beaucoup apprécié les kanwals, fruits de l’imagination et de l’art des dévots, et confection née conformément aux consignes des autorités. Cette mesure de sécurité a été bien accueillie par tous les pèlerins, en particulier les jeunes. Il est bon de souligner que les milliers de pèlerins, qui se sont rendus au Ganga Ta lao, ont manifesté un acte de foi et de recueillement. La sagesse a primé sur le spectacle.

On parle beaucoup des célébrations du Maha Shivaratree dans le passé. Quel souvenir en gardez-vous ?

À l’âge de 9 ans, le guru de baitka, qui était un disciple de Basdeo Bissoondoyal et ami de mon père, m’avait appris à faire un discours sur le Maha Shivaratree au Maheswarnath Mandir de Triolet. Ce fut une grande expérience pour moi. Cela m’a sans doute inspirée pour ma carrière dans le service social. Dans le mouvement de Seva Shivir, nous avons fait le tour de l’île pour distribuer des livrets de bhajan et kirtan aux pèlerins. Je pense que cela re présente un manque pour le pèlerinage aujourd’hui.

Il aurait été bon que les dirigeants des sociétés distribuent et enseignent aux pèlerins bien avant le pèlerinage, en particulier aux jeunes, ces satsangs, qu’ils auraient récités tout le long de leur parcours jusqu’au Ganga Talao, au lieu de diffuser de la musique remix, qui ne facilite pas le recueillement. Le gouvernement indien aurait pu apporter une contribution dans ce sens en envoyant des kirtankars pour former ces jeunes et les équiper, notamment à travers les organisations socioculturelles. Ce qui aurait contribué à la chaleur spi rituelle. Nous avons également aidé l’Hindu Maha Sabha à réaliser son magazine pour la célébration de son centenaire. J’ai eu l’occasion d’apporter une contribution pour parler de la discipline qui prévalait à l’époque lors des pro cessions, qui utilisaient l’ancienne route avant la construction de la nouvelle. Je suis heureuse de constater que la discipline a prévalu sur les routes cette année.

 Comment avez-vous accueilli le Pravasi Bharatiya Samman Award qui vous a été décerné par le gou vernement indien cette année ?

C’est la plus importante distinction décernée aux membres de la diaspora indienne, qui est estimée à près de 30 millions dans le monde. J’étais en visite en Inde dès le début du mois de décembre parce que j’avais été invitée par l’All India Bhojpuri Society, en collaboration avec de l’université de Gurapur. J’ai reçu à cette occasion un Life Achieve ment Award.

J’ai été très touchée de rencontrer le Yogi Aditya nath, qui est le Chief Mi nister de l’Uttar Pradesh, et qui se souvient de sa vi site à Maurice. Il m’a par lé de ses préoccupations en vue de l’organisation du Maha Kumbh. Ensuite, j’ai été l’invitée d’honneur à un colloque à Bihar sur la langue maternelle. C’est en prenant le train pour Vaishali que le haut commissaire de l’Inde m’a appris la nouvelle de la dé coration. J’étais très excitée, mais je ne pouvais me confier ou partager le bon heur et la joie de cette nouvelle à personne, vu que je voyageais seule dans le train. À Bhubaneswar, la capitale d’Odisha, j’ai bé néficié d’un accueil protocolaire. Le Liaison Officer m’a fait visiter la région. En compagnie d’autres bénéficiaires du Sam man Award, nous avons rencontré le Premier mi nistre indien, Narendra Modi. Il m’a reconnue et j’ai été très émue lorsqu’il m’a appelée Saritaji. Cette distinction a pour moi une grande signification, car le gouvernement de l’Inde m’a récompensée pour tout le travail communautaire que j’ai accompli durant ma carrière, notamment pour la promotion des langues, dont le bhojpuri et l’hindi, qui font partie intégrante de l’identité mauricienne. Comme je l’ai apprise de mes gurus, Service to humanity is service to God, et j’ai toujours été guidée par la philosophie « work without expectation of reward ». J’ai donc conti nué ma carrière, mais il faut reconnaître que les distinctions sont venues à plusieurs reprises et, cette fois, par la plus haute ins tance du gouvernement indien. C’était donc un grand honneur, non seulement pour moi, mais pour Maurice. Auparavant, cette distinction était décernée aux Premiers ministres et aux présidents. Je suis la première qui vient de la société civile. Je dédie cette distinction à tous les travailleurs sociaux et à Maurice. D’ailleurs, pas moins de 300 Mauriciens étaient présents au PBD cette année, et ils n’ont pas caché leur fierté. Cela fait chaud au cœur, mais le travail continue, mal gré mes 83 ans

 

Vous avez également eu la chance de participer au Kumbh Mela en Inde cette année…

 C’était une expérience extraordinaire. J’ai déjà participé à ce pèlerinage à sept reprises en diffé rentes capacités depuis 1989, et avec la même ferveur, mais c’est la pre mière fois que je le fais de mon propre gré. Après avoir fait des milliers de kilomètres sur les routes de l’Inde en train ou en avion, je suis rentrée à Maurice à la mi-janvier, et je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui manque à mon parcours. J’ai eu le sentiment qu’il fallait que je participe à Kumbh. J’ai donc repris l’avion sans dire à ma famille ce que j’avais l’intention de faire. Cela les aurait inquiétés et m’aurait fatiguée moralement. Pour moi c’était un appel du Gange. Moi qui porte le nom de Sarita, qui veut dire “rivière” en sanskrit, je ne pouvais ne pas répondre à cet appel du Gange. J’ai été témoin de la présence des milliers de personnes et de sages de différentes religions. Les hommes ont fait ce parcours depuis des millénaires, mais cette année, le nombre de 400 millions de pèlerins attendu par les organisateurs a été dépassé pour atteindre 523 millions. J’ai appris que beaucoup de Mauriciens y ont également participé cette année. Il faut savoir que l’eau, c’est la vie. Trois quarts du corps humain est composé d’eau. L’eau occupe aussi les trois quarts de la planète, mais aussi une place importante dans les rituels de toutes les religions, que ce soit la religion musulmane, chrétienne, hindoue, et dans toutes les civilisations. Sans eau, pas de vie.

 Pour moi c’était l’appel de l’infini. Se tremper dans l’sacrée du Gange était comme une invitation à se joindre à la célébra tion de l’humanité. L’eau du Gange coule comme chaque rivière et change à tout moment. Ce n’est pas la même eau, mais cela démontre le changement constant du cosmos. Cependant, la vénéra tion de la rivière sacrée du Gange est constante. C’est la mère divine qui appelle les dévots pour donner sa bénédiction. L’eau de la rivière coule éternellement vers la mer, mais donne l’impression d’être constante. Je suis heu reuse que, malgré toutes les péripéties du voyage, parfois, les unes plus dif ficiles que les autres, par voiture, par train ou en motocyclette, et grâce à l’aide de nombreuses personnes, dont des Mauriciens, j’ai pu accomplir le rituel du bain à Kumbh City. J’ai pleuré tellement j’étais émue.

Vous avez été très occupée depuis votre démission de la Bhoj puri Speaking Union, n’est-ce pas ?

Incroyable. On dirait que le Bon Dieu avait ré servé toutes ses aventures pour moi. Je n’ai ressenti aucun vide.

Vous avez quand même laissé un riche héritage à la Bhojpuri Speaking Union…

J’ai été active pendant 12 ans. C’est le gouvernement de Navin Ramgoolam qui m’avait nommée à la présidence de la BSU en 2011. Il avait demandé à Mukeshwur Choonee de me contacter. Après son départ, j’avais démissionné, mais le gouvernement m’a renommée à ce poste. Cela m’a permis de faire beaucoup de travail et de donner au bhojpuri une grande visibilité, au prix de beaucoup de travail. Il y avait beaucoup de préjugés par rapport à cette langue, et il a fallu beaucoup de travail pour lui redonner sa dignité dans la communauté des langues. J’ai réussi à faire reconnaître le bhojpuri comme patrimoine mon des personnes ayant une formation dial de l’humanité au ni veau de l’Unesco. Dans ce contexte, j’avais travaillé avec l’Université de Maurice comme consultante. Ensuite, j’ai travaillé sur le dossier du séga typique avec Daniella Bastien et d’autres. L’Unesco avait souhaité que cette langue soit introduite à l’école. Le gouvernement travailliste avait fait préparer un projet de loi pour faire entrer le bhojpuri et le kreol dans le cursus scolaire. Mais en 2014, après l’arrivée de Leela Devi Dookun à l’Education, je ne sais pas ce qui s’est passé. Ils ont poursuivi avec le kreol mauricien et je suis heu reux que cette langue soit enseignée au niveau du HSC.

Mais le bhojpuri a piétiné. Si un gouvernement n’accorde pas d’importance à une langue au niveau de l’éducation, quel intérêt porterait-on à cette langue ? Nous avons valorisé le bhojpuri et le ghamat. Nous avons intro duit le Geet Gawai à l’école volontairement. Lorsqu’on a commencé à travailler sur le comité technique en vue de la réintroduction du bhojpuri à l’école, on était arrivé en octobre, et les élections sont arrivées. Maintenant, il faut tout reprendre. Il faut qu’Arnaud reconnaître Carpooran, président de la KSU, a un atout majeur. Il est le doyen des humanités à l’Université de Maurice. Il a formé des élèves qu’il a intégrés dans la KSU. Ils ont bénéficié d’une formation pour faire le français et le kreol. Ils ont fait le BA, le MA, et se sont préparés académiquement. Ils ont créé une académie qui a fait tout le travail. La BSU n’a pas bénéficié des personnes ayant une formation académique.

 Or, nous avons un département de bhojpuri au MGI depuis 1982. Nous aurions pensé qu’un gros travail académique est accompli, mais ils n’ont rien pu faire, faute de moyens. L’autre problème, c’est que toutes les langues sont enseignées à l’école, sauf le bhojpuri. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond et qui frise la violation des droits de l’homme. J’ai l’intention de reprendre mon bâton de pèlerin afin que la langue bhojpuri puisse entrer à l’école. Je lance un appel au gouvernement de Navin Ramgoolam pour que cette question soit remise sur la table. Il faut créer un BA Course pour le bhojpuri. Le MGI pourrait le faire avec l’aide du gouvernement indien.

Quelle en est la posi tion actuelle ?

 Laissez-moi vous dire que beaucoup de monde parle le bhojpuri à Mau rice. Et puis la langue kreol comprend énormément de mots en bhojpuri. Pour n’en citer que quelques-uns : dife dan lanka, boukou douk. Même pendant la cam pagne électorale, d’autres mots ont été popularisés, dont chatwa, betwa, maja karo, djaide, gopia, piaw ou baya, qui font désormais partie de la culture mauricienne. On parle même de chatwaisme. On chante et on danse sur des airs de musique et des paroles en bhojpuri. Sans compter la nourriture, dont les puris, les dholl puris. Il y a 300 mots bhojpuri qui circulent tous les jours à Maurice. Ce n’est pas une langue morte. Il faut lui donner sa dignité. Il faut reconnaître que tout le monde soutient la langue kreol, mais qui soutient le bhojpuri, à l’exception de Sarita Boodhoo ? Or, ce n’est pas ma propriété personnelle, car cette langue appartient à toute la nation. Elle a toute sa contribution dans la vie économique, sociale et politique. Les termes chatwa et betwa  ont renversé un gouvernement. Il faut que les jeunes viennent de l’avant et continuent de faire des recherches. On a déjà écrit des livres. Pendant quatre ans, j’ai proposé un cours à l’Université de Maurice. On n’a pu aller de l’avant. Je demande que le Bhojpuri Department du MGI retrouve sa dignité. Il ne dispose en effet ni de personnel, ni des finances nécessaires. Pourtant, ce n’est pas le matériel qui manque. Nous avons déjà une quinzaine d’auteurs que nous avons préparés dans le cadre de la BSU. Il ne manque que la volonté politique. Je me demande si le MGI ne devrait pas devenir une université afin qu’il obtienne son autonomie et ne dépende pas uniquement du gouvernement.

 Comment avez-vous accueilli la nouvelle de la présence de Narendra Modi pour la fête nationale le 12 mars prochain ?

 Je suis très heureuse. D’ailleurs, je l’ai rencontré récemment en Inde. Dans les moments les plus difficiles, durant le Covid, l’Inde était la pharmacie de Maurice. Nous avons avec l’Inde une histoire et une culture partagées. Nous sommes deux pays démocratiques. L’Inde a une grande influence dans le monde aujourd’hui. Du fait que Maurice est un grand pays océanique, nous partageons aussi l’océan Indien avec l’Inde. Cette dernière nous aide à assurer la sécurité mari time, à combattre le trafic de drogue, à combattre la pêche illégale, à nous protéger contre les pirates… Elle peut nous aider aussi pour le développement portuaire. L’Inde est une puissance maritime depuis des millénaires. Modi a aussi réussi à faire l’Union africaine de venir membre du G20. La prochaine visite officielle de Modi à Maurice aura donc une résonance sur le continent africain. Dans son discours pro noncé au PBD, il a proposé la création d’une banque de données pour la com munauté des girmitya. Ainsi, chacun aurait pu identifier le village et l’endroit d’où il est originaire en Inde. De plus, on aurait pu savoir comment les girmitiyas répandus à tra vers le monde « has turned challenges into opportunities » aujourd’hui. Le Premier ministre indien a dit que l’histoire de l’héritage des girmityas pourrait faire l’objet de recherches et de publications. Il propose une conférence internationale des girmityas. J’espère que tout cela n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. À l’occasion de son passage à Maurice, qui comprend une majorité de girmityas, toutes ces questions pourront être évoquées.

 

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