Neermala Luckeenarain se décrit comme une féministe…mais elle est avant tout une artiste. Elle a reçu en 2010 le titre de citoyenne d’honneur de Curepipe pour son engagement dans l’art auprès des enfants des cités de la ville. Cette enseignante au Mahatma Gandhi Institute a récemment participé à l’exposition Art in the forest organisée par l’association pARTAGE. Ses oeuvres, explique-t-elle, ne sont pas une finalité puisque chaque croquis symbolise le début d’une nouvelle direction dans sa vie d’artiste.
Au Mahatma Gandhi Institute (MGI), les travaux de Neermala Luckeenarain reflètent sa personnalité. S’initiant à divers procédés graphiques comme la gravure sur bois, la lithographie, l’aquatinte et la pointe sèche en association avec le collage, l’artiste utilise chaque technique de manière originale.
L’enseignante des beaux-arts parvient à transmettre ses émotions à ses élèves. La nature, son thème de prédilection, l’amène à utiliser dans son art des textures naturelles comme les fibres des feuilles ou encore la planche en bois. Il lui suffit alors d’utiliser des couleurs à plat pour refléter l’éclat du rayonnement du monde qui l’entoure.
Décrivant son art, Neermala Luckeenarain explique : « Dans certaines de mes oeuvres, j’ai recours à la méthode ancienne. J’ai utilisé des techniques voulant démontrer, comme dans des photos d’époque, des couleurs jaunies et pâties, s’approchant des couleurs terre de Sienne et sépia. Dans d’autres oeuvres, j’ai essayé de projeter l’idée que tous les personnages et objets sont reliés, où il n’existe aucune figure centrale, mais où règne l’égalité et la justice. La liberté, le thème dominant de mes travaux, est en équilibre avec les méditations philosophiques sur le temps et l’espace. »
Liberté d’expression
En osmose avec les matières qu’elle travaille, Neermala Luckeenarain aime surtout cette notion de liberté…Elle a cette capacité de voguer d’un style à un autre. « L’art n’a pas de frontières », précise l’enseignante. Sa passion lui a d’ailleurs permis de voyager. Elle ne compte plus les pays où elle a transmis son savoir-faire : Mumbai, Indonésie, Londres, Paris…
L’artiste arrive à donner un autre souffle au plus petit détail insignifiant en gravure. Quand elle n’utilise pas le pinceau, c’est le burin qui devient son outil de travail. Ce petit instrument lui permet de donner à ses gravures la précision et les contours qu’elle recherche. Dans ces oeuvres, on note non seulement son habileté à réaliser des figures surprenantes mais aussi une certaine harmonie et un juste équilibre, deux qualités inhérentes de son art.
Neermala Luckeenarain s’inspire surtout de la société pluriculturelle que représente Maurice. Au MGI, elle travaille sur une immense robe en patchwork, qui reflète le style de la renaissance. Son oeuvre sera présentée le 14 octobre à l’Institut français de Maurice. « Cette robe que je confectionne représente la liberté de la femme mauricienne et a nécessité 5 mètres de tissu en largeur et un peu plus de 3 mètres en hauteur. »
L’enseignante n’hésite pas à exprimer ses désirs, sa joie, sa colère… Femme de tête mais aussi de coeur, Neermala Luckeenarain se souvient du jour où sa mère lui avait donné des goyages de Chine ; au lieu de tous les manger, elle avait gardé les plus beaux pour en faire un dessin. « Je dois mon parcours à ma mère, qui a aujourd’hui 81 ans. Elle a été la première à m’encourager à persévérer dans cette voie. »
À Moka, où elle a grandi, l’artiste a fait ses études au Couvent Lorette de Rose-Hill. Sa rencontre avec le professeur de dessin de feu Serge Constantin, Jacqueline Morin, a été un déclic. « Elle m’a transmis le goût de sa passion tout en me répétant que j’avais du talent. » Des études en Inde confirmeront les prédispositions de Neermala Luckeenarain pour le dessin. Sur 250 postulants pour une dizaine de places par discipline à l’école des Beaux-Arts de Mumbai, elle parvient à se faire accepter. Elle a alors 20 ans et choisit de se spécialiser dans la gravure. Sa spécialité est la mezzotinte, aussi appelée manière noire, une technique assez pointue. « Les dessins sont travaillés sur le métal de zinc. Au lieu de dessiner directement dans la plaquette, on la noircit d’abord. Une fois la plaquette noircie, on essaie à l’aide d’une aiguille de trouver des formes, différentes finalités pour donner de la substance à l’oeuvre qu’on souhaite réaliser. Il y a aussi une autre technique appelée la taille-douce, qui consiste à travailler dans du métal, du cuivre ou du zinc. Sur le métal fabriqué, on y ajoute du goudron, de la résine et de la cire d’abeille. Après le séchage, il suffit de prendre une aiguille et de dessiner dans la pâte nouvellement constituée. La partie qu’on enlèvera sera mélangée à de l’acide. »
Métamorphose
Ce qu’elle privilégie avant tout dans ces créations repose sur cette liberté d’expression. Ses travaux sont ciselés dans différentes matières : bois, vinyle, etc… Avec Neermala Luckeenarain, chaque oeuvre est comme une métamorphose. On part de découverte en découverte tout en se laissant surprendre.
Un livre miniature retient notre attention… Il représente les croquis de la société mauricienne multiculturelle. Une fois déroulé, cet ouvrage donne l’impression qu’on tient un accordéon en main. L’artiste a été primée à Mumbai en 1980 lors d’une exposition de peinture et de sculpture de dessin à l’école Maharaspra. Elle a d’ailleurs reçu la médaille de bronze. Pour l’exposition en forêt avec l’association pARTAGE, elle a choisi pour thème les sous-vêtements et vêtements féminins. « Il y a trop de violence contre les femmes, trop de viols, d’inceste… Habiller la forêt de sous-vêtements féminins, c’est pour montrer que cet espace a aussi une vie et mérite le respect. »
Un de ses regrets est qu’il n’existe à Maurice aucune structure appropriée pour véhiculer la notion de l’art à tout un chacun. « Il faudrait mettre en place un musée d’art, une sorte de galerie permanente… En 1952, Malcom de Chazal a dit qu’on était en retard dans ce domaine. Cette phrase a été prononcée il y a 59 ans… Je souhaite qu’on n’attende pas encore 59 ans pour se décider ! »
Se décrivant comme une professionnelle, Neermala Luckeenarain raconte qu’elle s’organise « tous les jours pour mettre quatre oeufs dans quatre paniers différents tout en gardant l’équilibre. Je suis à la fois mère, épouse, professionnelle et un bon prof d’art. Enfant, je me souviens que l’art m’a toujours fascinée. En hiver, je peignais sur les vitres où il y avaient des buées. J’aimais aussi l’effet des bulles et de splash que j’entendais quand je jouais avec l’eau. C’est l’univers d’un artiste… rester proche de la nature et des êtres ». De plus, elle prépare actuellement un doctorat sur les artistes mauriciennes méconnues des années 50 à ce jour.
Citoyenne d’honneur de la ville de Curepipe, Neermala Luckeenarain s’engage énormément auprès des enfants. « Au début, il n’y avait qu’une vingtaine de jeunes, maintenant ils sont 250. Je leur enseigne les différentes techniques de l’art pendant les vacances scolaires. C’est terrible quand on voit un enfant vous dire Holiday is a murder. Il faut encadrer les tout-petits et leur proposer des activités pour qu’ils ne restent pas constamment devant la télévision ou l’ordinateur… »
RENCONTRE: Il faudrait un musée d’art à Maurice, déclare Neermala Luckeenarain
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