Le 21 juillet, le conseiller Narainsamy du village de La Flora et proche du MSM, a été élu président du conseil de district de Savanne, en remplacement de Ravin Jugurnauth qui était candidat à sa propre succession. Ce dernier avait été révoqué en juillet dernier après une motion de blâme d’un groupe de 11 conseillers. Le Mauricien l’a rencontré.
Vous avez été président du district de Grand-Port pour la période 1993-94, 1997-98, 2000-2001, 2012-2014 et de décembre 2022 jusqu’à juillet 2023. Cela fait trente ans que vous avez évolué dans ce milieu. Pouvez-vous nous retracer votre parcours jusque-là ?
J’ai commencé dans le social très jeune comme président d’un club du village de Chemin-Grenier où j’habite. J’ai fréquenté le collège Eden de Curepipe à cette époque. J’avais eu la chance d’avoir comme enseignant Jérôme Boulle, Harry Booluck, Ramduth Jaddoo. Ils étaient proches du Mouvement Militant Mauricien (MMM) et aimaient parler politique. Des élèves prenaient plaisir à les écouter pour essayer de comprendre les grands enjeux sur le plan local et international.
Le 20 mai 1975, quelque 20 000 jeunes de différents collèges sont descendus dans la rue pour crier leur mécontentement face au système éducatif qui prévalait et j’en faisais partie. La grogne gagnait d’autres établissements. Il y avait beaucoup de problèmes à cette époque même si la scolarité était payante. La plupart des bourses allaient à ceux qui avaient les moyens. Le 20 mai 1975 a laissé beaucoup de traces, cette date reste toujours vivante dans ma mémoire.
En 1991, toujours animé par cet esprit de militantisme, j’ai croisé sur mon chemin Alan Ganoo qui à cette époque épousait l’idéologie trotskiste. J’étais très emballé et impressionné par la sincérité et le combat mené par Alan Ganoo. Notre relation grandissait chaque jour et j’ai fini par être son agent principal à Savanne/Rivière-Noire No 14).
Quelque temps après, j’ai choisi de me porter candidat pour représenter le village de Surinam aux élections villageoises et j’ai été élu en tête de liste cinq fois de suite. En 2014, Alan Ganoo annonce sa démission du MMM et avance comme raison que son ancien parti a dévié et a oublié ses valeurs et principes. Il critique le leadership de Paul Bérenger.
Ganoo m’avait invité à le rejoindre au sein de son nouveau parti. J’ai senti cela comme une grande trahison de sa part, j’ai refusé catégoriquement. Mo dir Ganoo ki mo pou touzour res fidel avek bolom-la (Paul Bérenger) ziska kot mo kapav. Et Paul Bérenger m’a confié ensuite la responsabilité du No 14.
D’où la décision des élus du gouvernement de vous révoquer en juillet dernier et vous faire remplacer par Narainsamy du village de La Flora et proche du MSM ?
Je sentais cela venir. Mais pas de cette manière.
Vous attendiez-vous à ce que cela se passe de manière plus cool ?
Effectivement. D’autant plus que je connais presque tous les conseillers et que je les ai côtoyés pendant de nombreuses années. Je ne m’attendais pas qu’un beau matin je sois informé par la Chief Executive Officer du conseil de district de Savanne que je n’occupe plus le poste du président du conseil de ce district. Et Narainsamy a été élu par 14 voix contre 4 et une abstention.
Je vous rappelle que deux motions de blâme ont été déposées contre moi en l’espace d’une semaine. Cette situation avait provoqué une grande confusion au sein de cette instance des collectivités locales. La deuxième motion qui a été présentée n’a pas été votée. À la suite de l’imbroglio lié aux élections, j’ai souhaité solliciter un avis légal. J’ai attendu en vain. Aucun conseil légal n’était présent. Deux jours après, la Chief Executive avait convoqué tous les conseillers à une réunion spéciale, qui avait eu lieu un vendredi pour élire un nouveau président. J’étais accompagné de quelques conseillers dans un restaurant pour déjeuner lorsque j’ai appris que Narainsamy a été élu en tant que président du conseil de district de Savanne.
Quelle a été votre première réaction ?
Déçu. C’est pour cette raison je vous ai dit que cela aurait bien pu se passer autrement. Mais une chose est certaine : tous les conseillers qui ont voté pour élire le nouveau président ne l’ont pas fait de gaieté de cœur. Ils y ont été contraints. Ils ont eu peur des représailles. Très peur même, je dirais.
Je n’ai aucune rancune pour les conseillers qui ont voté pour le nouveau président. De toute façon, un militant n’abandonne jamais. Je sais que nous n’allons pas rester dans l’opposition pour longtemps encore.
Lorsque vous étiez président du conseil, étiez-vous privé de moyens ? Vous aviez dit que la situation financière virait au rouge à tel point que vous avez été contraint d’acheter du jus, des badia et des gâteaux aux piments pour les réunions…
Oui, j’étais obligé de serrer la ceinture tous les jours pour gérer le budget du conseil. J’ai été obligé de réallouer les fonds, qui étaient disponibles dans les réserves pour compléter certains projets que nous avions démarrés.
Était-ce de la mesquinerie de la part de l’Etat ou la situation financière qui vous contraignait à faire de tels sacrifices ?
J’ai l’impression que certaines personnes mettaient des bâtons dans les roues pour nous empêcher de faire avancer certains projets, la caisse du conseil était vide. Nous étions arrivés à un point où nous n’avions plus d’argent pour acheter des ampoules, du mazout pour mes véhicules.
Je n’avais pas de voiture de fonction pour me véhiculer car je devais trouver la somme de Rs 521 pour réparer la voiture qui était en panne, j’ai dû rester au bureau. Je n’aurais jamais pensé que certains pouvaient aller aussi loin pour bloquer des projets pour des raisons politiques.
Aviez-vous considéré cela comme une humiliation ?
Bien sûr. Mais certaines personnes qui croyaient dans ma façon de gérer m’ont encouragé. Mais j’avais toujours en tête qu’un conseiller allait déposer tôt ou tard une motion de blâme contre moi à n’importe quel moment. C’est bien ce qui s’est passé en juillet dernier.
Quels sont les projets qui vous étaient chers et que vous n’avez pas eu le temps de réaliser ?
Aujourd’hui, il est tout à fait possible de produire de l’électricité soi-même pour devenir autonome. J’avais donc fait une proposition aux conseillers du district de Savanne pour un système photovoltaïque. Ce qui, à mon avis, nous aurait permis de réduire drastiquement notre facture d’électricité. J’avais aussi pensé faire installer des panneaux photovoltaïques sur le terrain, sur les toits des conseils de village, des marchés se trouvant dans les régions tombant sous la juridiction du conseil de district. On aurait pu revendre le surplus d’électricité et en sortir gagnant.
Pour réaliser tout ça, je crois que nous devons former des jeunes qui ambitionnent de trouver des emplois dans ce secteur. Pour qu’il y ait un surplus d’argent dans la caisse de tous les conseils de district, je voulais faire une suggestion : demander à l’Etat de verser 2 à 3% aux conseils de district de la somme récupérée sur la TVA sur une voiture.
Les jeunes de la région de Savane et de Rivière-des-Anguilles se plaignent souvent du fait qu’ils ne disposent pas d’un stade. Y avez-vous pensé lorsque vous occupiez le poste de président du conseil de district ?
J’ai déjà fait une proposition dans ce sens, effectivement. Il ne faut oublier que le football reste encore dans cette partie de l’île le sport le plus pratiqué. Cette région a fourni de bons éléments aux clubs de première division et à la sélection nationale. Je trouve dommage que nous n’accordons pas attention à cela.