Raj Makoond : « Financement des partis politiques : 2025 sera peut-être un tournant » 

Dans une interview accordée à Le-Mauricien, Raj Makoond, ancien directeur du Joint Economic Council et de Business Mauritius, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère, affirmant que les règlements électoraux concernant le financement des partis politiques sont « dépassés, caducs et archaïques.» Quant aux problèmes concernant le dépassement de la limite de dépenses électorales pour les candidats, il considère que ce n’est qu’hypocrisie. « Ce qui se passe est une farce, mais le sujet est trop important pour le limiter à une question d’ordre politique ou de politicaille », dit-il. Il estime par ailleurs que 2025 constituera peut-être un tournant. « Ce sera “now or never” », pense-t-il en ajoutant : « Il y a une volonté politique annoncée dans le programme gouvernemental. De plus, le gouvernement dispose de la majorité absolue pour amender la Constitution et faire adopter une législation concernant la création d’un cadre légal. » Il suggère également que les responsables de la surenchère concernant les salaires et les pensions dans le cadre des campagnes électorales doivent être pris en compte dans le cadre de la Fiscal Responsibility Act.

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Dans le cadre de vos responsabilités, notamment comme directeur du Joint Economic Council, vous aviez alors beaucoup contribué à la réflexion sur le financement des partis politiques. Maintenant que cette question revient sur la table, pouvez-vous nous rappeler comment les débats ont évolué durant des deux dernières décennies ?
En 2001, le Joint Economic Council (JEC) avait créé une commission consacrée à la bonne gouvernance. En 2002, un code de déontologie avait été proposé par le JEC qui, par la suite, a fusionné avec la Mauritius Employers’ Federation (MEF) pour devenir Business Mauritius. Le modèle du code a été élaboré en consultation avec Bertrand de Spéville, ancien commissaire de la Commission indépendante contre la corruption de Hong Kong. Il était question dès le départ de la transparence sur le financement des partis politiques par les entreprises privées. Ainsi, les entreprises privées qui accordent une forme de financement aux partis politiques devaient l’inclure dans leurs comptes annuels.
En 2004, le président du JEC, Gilbert Espitalier-Noël, et moi avions déposé devant le Select Committee, présidé par l’Attorney General, Emmanuel Leung Shing. Le rapport a été publié la même année et nous l’avons commenté officiellement. Nous avions ainsi reconnu que le comité parlementaire avait formulé un éventail très large de recommandations. Toutefois, si certaines de ces recommandations nécessitaient une analyse plus profonde avant leur implémentation, nous avions aussi constaté que le rapport contenait une masse critique de recommandations qui, mises en œuvre, auraient changé le paysage du financement des partis politiques immédiatement. Elles portaient notamment sur la consolidation du rôle de l’Electoral Supervisory Commission et sur le fait que la Commission devait disposer des rapports sur les finances des partis politiques qui pourraient être consultés par le public. Il était question également que les financements privés will be permitted under mandatory procedures for disclosure to ensure transparency; les dons devaient être réglementés, le financement en provenance de l’étranger devait être interdit ainsi que le financement par des organisations religieuses et para-étatiques.
En ce qui concerne les partis politiques, ils devraient maintenir des comptes audités concernant leurs sources de financement, qui devraient être soumis à l’Electoral Supervisory Commission. Les partis politiques devaient être des entités corporatives. De plus, les dépenses pour les candidats indépendants ainsi que pour ceux qui sont membres d’un parti avaient été fixées à Rs 1 million. Aujourd’hui, c’est de l’ordre de Rs 250 000. Une distinction devait être faite entre les dépenses liées à la campagne électorale et celles qui n’y sont pas liées.

Aviez-vous formulé des propositions concrètes ?
En février 2005, dans le cadre d’une réunion gouvernement-secteur privé, nous avions proposé la création d’urgence d’un cadre légal qui soit clair et transparent concernant le financement des partis politiques. Nous insistions alors sur le fait que l’importance de la transparence et la consolidation du rôle de l’ESC constituent des éléments essentiels du mécanisme légal devant être mis en place.
Nous écrivions ceci : « the emphasis on transparency and enhanced role of the ESC are essential elements of the proposed mechanism. This regulatory framework concurs with Section 23 of the JEC’s Code of ethics which invites all companies to finance any political party to declare such ans activity in their books. The establishment of a regulatory framework is urgent, and as such, the select committee’s main recommendations should be implemented now. Such an action will improve transparency in the electoral process in a significant manner. As stated in the report, transparency acts as a powerful guard against corruption and promotes trust and accountability. »
En 2009, le JEC a réitéré la nécessité d’un cadre réglementaire dans sa soumission à la Commission de surveillance électorale dans le cadre de la décision du Conseil privé dans l’affaire Ashok Jugnauth/Raj Ringadoo dans la circonscription de Quartier-Militaire/Moka (No 8), invitant l’Electoral Supervisory Commission (ESC) à rédiger et proposer un code de conduite pour les ministres et les fonctionnaires pour la période suivant la déclaration d’une élection. En 2017, Business Mauritius avait mis en place un groupe de travail sur le financement des partis politiques et a fait des démarches auprès des autorités pour l’établissement d’un cadre réglementaire. En 2019, le projet de loi sur le financement politique avait été présenté à l’Assemblée législative nationale, mais malheureusement, il n’a pas reçu l’appui constitutionnel de l’Assemblée nationale et n’a pas été promulgué.

Quelle est la position aujourd’hui ?
S’il y a 20 ans, la création d’un cadre légal était urgente, aujourd’hui, elle est extrêmement urgente. Au cours de ces 25 dernières années, Maurice a introduit un large éventail de réformes juridiques et réglementaires dans sa lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. Ces réformes ont été motivées à la fois par le contexte international et par les exigences économiques nationales, en particulier la stratégie de Maurice visant à se positionner comme une juridiction fiable et respectée pour les activités commerciales offshore, qui seront plus tard connues comme Global Business.
Des progrès ont été accomplis en ce qui concerne les dispositions juridiques et institutionnelles à Maurice. Il ne faut toutefois pas oublier que dans le cadre du Blacklisting de Maurice par l’Union européenne, il y a quelques années, l’absence d’un cadre réglementaire en ce qui concerne le financement des partis politiques avait été décriée. C’était considéré comme une faiblesse systémique majeure dans les efforts du pays pour lutter contre la corruption et le blanchiment d’argent. À l’heure actuelle, il n’y a toujours pas de transparence ni de responsabilité en ce qui concerne le financement des partis à Maurice.

Le programme gouvernemental 2025-2029 a remis la réforme électorale ainsi que le financement politique sur le tapis. Qu’en pensez-vous ?
Le programme gouvernemental, intitulé A bridge to the future, annonce l’introduction des réformes constitutionnelles et électorales pour consolider la démocratie. Parmi les annonces faites dans ce contexte, nous relevons la Constitutionnal Review Commission, qui sera instituée prochainement, laquelle devra prendre en considération que « to enhance transparency in the political sphere combat corruption and ensure free and fair election, governement will introduce legislation of the funding of political parties. »
Ce qui nous amène à dire que 2025 sera peut-être un tournant. Ce sera Now or Never. Il y a une volonté politique annoncée dans le programme gouvernemental. De plus, le gouvernement dispose de la majorité absolue pour faire adopter des amendements à la Constitution et pour faire adopter une législation concernant la création d’un cadre légal.

Quels devront être les éléments clés d’un texte de loi idéal ?
Un parti politique devra avoir un Locus Standi légal. Il doit être enregistré soit comme une entité légale dans le cadre de la Companies Act, soit comme association enregistrée sous la Registrar of Association Act ou une fondation enregistrée aux termes de la loi. Cela lui donnera un statut légal avec des comptes audités annuellement. Il est fondamental que les partis aient un statut légal, conformément à la loi, avec des comptes audités. Bien entendu, il faut avoir un cadre légal qui explique ce qu’est le financement des partis politiques.
Il est intéressant de noter qu’il y a une différence fondamentale entre le rapport du Select Committee Leung Shing et le rapport Sachs. Le rapport Sachs adopte en effet une position radicale et considère le « State Funding » comme la seule source de financement des partis politiques. Le Select Committee, par contre, considère que « funding could be made mays various stakehalders with the state giving some minimal rembursement ». L’approche de Sachs était exclusive et contrôlée par l’État, tandis que le comité restreint adoptait une approche plus participative et inclusive. Aujourd’hui, l’essentiel des recommandations du Select Committee constitue déjà une bonne base pour établir un cadre légal concernant l’origine des financements, le type de financement, la transparence sur les dépenses et la révision des plafonds autorisés pour les dépenses. Il s’agit de créer un écosystème, un cadre où il y a de la transparence et de la visibilité, avec des comptes audités, et un droit de regard de l’ESC.

Le dépassement des dépenses par certains candidats donne lieu à des contestations actuellement. Votre avis sur la question ?
Tout ce qu’on voit n’est qu’hypocrisie. Pure et simple encore. Ce qui se passe est une farce, mais le sujet est trop important pour le limiter à une question d’ordre politique ou de politicaille. Il ne faut pas que les dépassements dans les dépenses électorales viennent noyer les débats sérieux sur le financement des partis politiques. Dans une île Maurice ayant l’ambition d’être une démocratie « mature» et exemplaire, il est tout à fait ridicule de constater ce genre de débats. Personne ne peut affirmer sincèrement avoir respecté les paramètres définis. Nous avons un paysage dépassé, caduc et archaïque en ce qui concerne le financement des partis. Plus que jamais Maurice a besoin d’un cadre légal en ce qui concerne le financement des partis politiques, et ce, dès cette année. C’est indéniable. Maurice, en tant que centre financier respecté, n’a pas le droit de ne pas disposer d’une loi sur le financement des partis politiques.

Les exigences concernant les « sources of funding » ne risquent-elles pas de décourager les donateurs qui souhaitent garder l’anonymat ?
Si tout le monde indique ses sources de revenus, je ne vois pas le problème. Mais il faut que le parti ait un statut juridique, qui l’obligera à se conformer à la loi, que ce soit la Company Act ou celle concernant le Registrar of Association. D’ailleurs, après le passage de Maurice sur la liste grise de l’Union européenne, les législations ont été renforcées pour prévoir les Sources of Funding  même pour les associations. Du moment qu’il y a un cadre légal et que les plafonds sur les dépenses sont fixés, qu’il y a de la transparence et que l’ESC a le droit de superviser ces dépenses, je ne vois pas où serait le problème. Ensuite, il faudrait qu’il y ait un plafond concernant les dons effectués par les compagnies ou tout individu.
Par contre, je voudrais ajouter un nouveau composant. Nous avons vu les surenchères pratiquées par certains partis politiques lors de la campagne électorale en termes de pensions ou d’augmentation des salaires. Le plus grave, c’est que l’Employment Relations Act a été amendée en décembre pour dire que le ministre a le pouvoir « d’édicter les règlements nécessaires pour effectuer le paiement des rémunérations complémentaires, pour revoir le salaire minimum national, même pour les travailleurs qui ne sont pas couverts par les Remuneration Orders ». Un tel pouvoir dans une année électorale peut entraîner une surenchère grave. Dans un cadre légal concernant les financements des partis, cette surenchère sur les salaires et la pension devrait être revue avec attention. Même au niveau de la Fiscal Responsibility Act, cette question devrait être prise en compte.
Les années 2024 et 2025 sont des années uniques en termes des résultats des élections et de programmes en tenant en compte le travail qui a été abattu durant ces 20 dernières années.

ACCROCHES
« S’il y a 20 ans la création d’un cadre légal était urgente, aujourd’hui, elle est extrêmement urgente »

« Un parti politique devra avoir un locus standi légal. Il devra être enregistré soit comme une compagnie dans le cadre de la Companies Act, soit comme une association enregistrée sous la loi Registrar of Association ou une fondation enregistrée aux termes de la loi. Cela lui donnera un statut légal avec des comptes audités annuellement »

« Dans un cadre légal concernant les financements des partis, les surenchères sur les salaires et la pension devraient être revues avec attention. Même au niveau de la Fiscal Responsibility Act, cette question devrait être prise en compte. Les responsables doivent être sanctionnés »

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