Ce mois de février a été marqué par le lancement du livre Olivier Bancoult. A cry for freedom. Story of Chagos, signé Ibrahim Alladin, par le Premier ministre, Navin Ramgoolam, en présence du Premier ministre adjoint, Paul Bérenger, du cardinal Maurice E. Piat et de l’évêque de Port-Louis, Monseigneur Jean-Michael Durhône, ainsi que de l’ex-Premier ministre, Pravind Jugnauth, au Centre communautaire des Chagossiens Marie Lisette Talate à Pointe-aux-Sables.
À travers la vie d’Olivier Bancoult et de figures clés de cette communauté déracinée à la veille de l’indépendance, en pleine guerre froide entre l’ex-URSS et les États-Unis, le lecteur les suit dans leur lutte pour leur droit de retour au pays natal, leur association avec l’État mauricien dans sa lutte pour la reconnaissance de sa souveraineté sur cet archipel illégalement démantelé, jusqu’à fin 2024, avec l’annonce de la conclusion d’un accord entre les gouvernements britanniques et mauriciens, qui semble de bon augure pour les natifs des Chagos et l’État mauricien.
Olivier Bancoult. A cry for freedom. Story of Chagos n’est pas la biographie d’un seul homme, mais celle d’une communauté dans cette lutte qui a démarré avant même que ses membres ne foulent le sol mauricien. Dans un témoignage poignant de Liseby Elysé sur le racisme, et auquel elle a eu à faire face aux côtés des siens, et publié à la page 131 de l’ouvrage, elle affirme : « When we reached Mauritius, we refused to disembark. For three days we went on hunger strike, refusing to land in Mauritius. The police came and pushed us out of the ship. We had nowhere to go. We were taken to some remote place… » Les Chagossiens embarqués de force sur des bateaux la nuit, « pour qu’ils ne sachent pas où ils étaient conduits », s’étaient vite rendus compte qu’ils ne retourneront plus chez eux. Et à Maurice, leurs premières demeures furent des écuries de cabris. « We slept on grass and manure (p132) », raconte-t-elle.
L’ouvrage, riche de 160 pages, est un condensé des moments forts de cette lutte. Il comprend huit chapitres. Le titre en lui-même est évocateur ainsi que la première de couverture. Tricolore, aux couleurs du drapeau chagossien, elle rappelle, selon Olivier Bancoult, son symbolisme : l’orange représente le soleil couchant, le moment où ils ont embarqué pour partir; le noir, l’expérience douloureuse vécue depuis ce temps-là; et le bleu, la couleur des eaux entourant leur pays natal souligne l’espoir d’y retourner un jour.
Dans l’avant-propos signé Jeremy Corbyn, parlementaire britannique, ami de la communauté, l’histoire d’Olivier Bancoult et de celle des Chagossiens pour la liberté démontre « the power of hope over apparently immovable forces.»
Au cours du premier chapitre, l’auteur situe l’histoire de Maurice, avec « l’apogée » du colonialisme mais aussi le statut de dépendance de l’archipel cédé par les Français, selon le Traité de Paris, en 1814; et l’existence des Chagossiens avec une culture mixte avec des influences africaines, indiennes et malaisiennes, une langue créole et une cuisine, propre à eux, ainsi que leurs religions. Il rend aussi hommage aux premières braves Chagossiennes qui ont démarré cette lutte dans les rues de Port-Louis à Charlesia Alexis, Lisette Talatte, Veronique Elphesia et Ravinia Alexandre. Un combat dans lequel était impliquée la mère d’Olivier Bancoult, Rita Bancoult, avant qu’il ne le reprenne, à l’âge de 18 ans.
De chapitre en chapitre, le lecteur pénètre dans l’intimité de cette communauté meurtrie, que certains ne connaissaient pas, alors que d’autres les regardaient d’en haut. Cela se fait d’abord par le récit de vie d’Olivier Bancoult, par des interviews diverses accordées aux journaux à Maurice et à l’étranger, dont aux États-Unis, dans le cadre de la campagne de sensibilisation du monde face au drame chagossien, et ensuite par le témoignage d’autres Chagossiens ou encore par les discours historiques des chefs d’Etats mauricien en faveur de la communauté chagossienne et pour revendiquer la souveraineté mauricienne.
Le lecteur peut lire l’intervention de feu sir Anerood Jugnauth devant les Nations Unies en 2016, et la réponse de l’ONU et celui de Pravind Jugnauth en 2022. L’intérêt que portent les partis politiques à ce combat est mis en avant, avec notamment le Mouvement Militant Mauricien (MMM) qui fut le premier à s’y engager : « The MMM brought to the public’s attention the way the Chagossians were treated. It was the first time that a political party took up their fight. The MMM brought some hope », peut-on lire à la page 23.
L’ouvrage note aussi le rôle prépondérant de Navin Ramgoolam qui fut « le premier à prendre des actions légales contre l’occupation des Chagos », en 2005, alors qu’il était Premier ministre du pays, et sensibiliser l’Afrique à cette cause en invitant Olivier Bancoult à participer à la rencontre de l’Union africaine en 2011. Les temps forts sont relevés avec dates et photos à l’appui, dont la visite effectuée par un groupe de Chagossiens en 2009 ou encore les rencontres de Bancoult avec les grands de ce monde.
L’auteur met en perspective les différentes phases de cette lutte. Le lecteur prend aussi connaissance du vocabulaire dénigrant à l’instar de ceux utilisés dans un échange de « câbles » entre les autorités britanniques et américaines pour parler des Chagossiens, en 1966 – few Tarzan’s or Men Fridays whose origins are obscure. Alors que toute la république mauricienne célèbre l’indépendance le 12 mars, le leader élu du GRC, Olivier Bancoultn affirme : « March 12, 1968, is a day of mourning for Chagossians. While Mauritians celebrate their freedom, we lament the loss of our home and livelihood (p31). » Et devant la Cour internationale de justice à La Haye, SAJ devait évoquer la pression exercée par Londres sur Maurice pour lui accorder son indépendance : « The choice we faced was no choice at all: it was independence with detachment [of the Chagos archipelago] or no independence with detachment anyway (p116). » La lutte continue et, comme le dit Navin Ramgoolam : « The Chagos issue goes beyond partisan politics. It is dear to every Mauritian (p103). »
Olivier Bancoult. A cry for freedom. Story of Chagos est un ouvrage poignant, richement documenté de sources primaires et secondaires avec une liste de références à la fin, qui permet à ceux qui s’y intéresseraient d’approfondir leurs recherches. Edité chez BM Bookcentre Co Ltd, le livre est disponible en librairie.