L’exclusion des femmes à une réception organisée par l’amicale Maurice-Arabie Saoudite en honneur du ministre de l’intérieur du gouvernement saoudien, le prince Al Saoud, a provoqué quelques remous médiatiques cette semaine. On ne sait si cette mesure somme toute discriminatoire, qui n’a pas épargné deux ministres, dont la vice-Première ministre, fait suite aux instructions formelles données par nos invités d’honneur ou si elles découlent d’un excès de zèle de la part des organisateurs du dîner. Il est vrai toutefois qu’à l’instar de certains chefs d’Etat, le prince était entouré d’une impressionnante équipe de sécurité, qui avait d’ailleurs envahi le bureau du Premier ministre au moment de la signature d’un important accord bilatéral concernant le financement de la construction d’un hôpital à Flacq.
Ces remous et protestations, qui semblent énerver les dirigeants gouvernementaux, ne doivent pas être balayés d’un revers de la main, même si on ne voudrait pas qu’ils entachent une visite qui a son pesant d’or et qui illustre bien la place qu’occupe Maurice dans la géopolitique de la région de l’océan Indien. On veut bien croire que les membres de la délégation saoudienne ont coutume de faire une prière avant de passer à table et que la présence féminine n’est pas souhaitée à ce moment précis. Les organisateurs auraient cependant bien pu prévoir un espace à l’hôtel pour cela avant que nos visiteurs de marque se joignent aux autres invités, comprenant des femmes. Le prince Mohammed bin Salman a fait cette année une tournée en Europe, dont la France, et il n’a pas été rapporté que des femmes aient été exclues aux banquets organisés en son honneur. Les organisateurs auraient dû s’être inspirés de Mahmood Cheeroo, de la Sunni Razvi Society, qui avait su, dans un passé récent, régler avec tact et élégance la question de la présence d’une femme, en l’occurrence la mairesse de la cité de Port-Louis, à la célébration annuelle organisée pour la fête Eid. Il avait fait comprendre à tous les réfractaires que cette cérémonie n’avait rien de religieux et était une fonction sociale.
Mais le malaise créé par l’exclusion des femmes à ce fameux dîner à l’hôtel Intercontinental est d’un tout autre ordre. Alors que nous célébrons les 50 ans de notre accession du pays à l’indépendance, qui est intervenu après quelque 250 ans de colonisation française et britannique, les Mauriciens sont exaspérés à l’idée qu’un pays, serait-ce le plus riche du monde, puisse se comporter comme des colonisateurs. Et qu’un pays ose nous imposer sa politique, ses pratiques religieuses ou ses coutumes parce que nous avons besoin de son aide, aussi précieuse soit-elle.
Cette révulsion ne s’applique pas uniquement aux Saoudiens, mais aussi à tous les pays partenaires avec qui nous entretenons des relations fraternelles et d’amitié mais qui peuvent donner l’impression d’abuser de notre bonté. Ce sentiment surgit lorsqu’on a l’impression, justifiée ou pas, que l’Inde chercherait à créer une base à Agaléga, ou encore lorsqu’une compagnie chinoise, dont la bonne réputation n’a pas été démontrée, veut s’imposer pour la réalisation d’un projet immobilier, ou lorsque les navires européens épuisent nos ressources en poissons alors que nous en avons besoin pour nos industries, voire lorsque des étrangers peuvent se payer la citoyenneté mauricienne en raison de leur fortune. Les Mauriciens n’acceptent pas qu’un pays comme la Grande-Bretagne puisse continuer à occuper illégalement les Chagos, qui font partie de notre territoire. Ils sont fiers de leur indépendance, de la souveraineté de leur pays et de leur dignité. Ils veulent également que leur identité, qui repose sur la tolérance, l’égalité des genres et l’interculturalité, soit respectée.