La Vie a le goût du bonheur, chantait Gérard Lenorman dans Les Jours heureux. On pourrait en dire autant du nouveau récipiendaire du Chevalier de la Légion d’honneur, le Père Henri Souchon, qui se dit « un homme heureux ». C’est dans sa jolie maison de retraite au Couvent de Bonne-Terre, dans une atmosphère exhalant la vie, parmi les chants d’oiseaux et les jolies fleurs de son jardin que l’ancien curé de l’Immaculée Conception nous a accueilli pour cette interview. En toute bonne humeur. Quand on lui demande ce qu’il est devenu depuis sa retraite en 2010, il nous répond, sur ce ton tranché qu’on lui connaît si bien : « Je n’ai jamais pris de retraite ! » L’événement l’ayant le plus marqué durant son sacerdoce, dit-il, sans conteste, est « quand j’étais en prison », pour avoir manifesté en faveur de la liberté de la presse.
Père Souchon, vous avez été fait Chevalier de la Légion d’honneur et vous vous êtes vu remettre les insignes vendredi. Que représente pour vous cette reconnaissance ? Est-ce la consécration de tout ce que vous avez accompli ?
Forcément. J’ai un lien avec la France. Mes arrière-arrière-grands-parents, qui étaient Français, sont venus à Maurice. J’ai toujours conservé vis-à-vis de la France un sentiment spécial. Et, je suis très honoré que l’Ambassade de France ait pensé à me remettre cette décoration, qui est très prisée.
Qui exactement a décidé de vous conférer cette décoration ?
L’ambassadeur. Il m’avait appelé, il y a déjà très longtemps. Il m’a fait raconter toute ma vie depuis bébé. Et puis, c’en est resté là. Ensuite, j’ai reçu la Légion d’honneur.
L’ambassadeur vous a invité sans vous partager ce qu’il avait, alors, en tête pour vous ?
Il m’a invité à déjeuner, simplement pour causer. Et, on a bavardé pendant des heures… Je ne pensais pas du tout à la Légion d’honneur à ce moment-là. Il n’y a pas beaucoup de personnes qui se voient conférer cette décoration. Il y a eu le Père Goupille.
Qu’est devenu le Père Souchon depuis qu’il a pris sa retraite ?
Je n’ai jamais pris de retraite ! (rires) C’est une fausse retraite parce que tout le temps, il y a des choses. Tout le temps que le bon Dieu donne, il y a des choses ! Je vous donne un exemple. Cette semaine, je suis allé bénir les nouveaux bus de la CNT au garage de la compagnie, à côté. Je suis là depuis trois ans et depuis, je bénis les nouveaux bus de la CNT. Et, je suis le seul catholique à y être.
Votre vie presbytérale à Rue Saint-Georges vous manque-t-elle un peu, beaucoup, pas du tout ?
Je ne dirais pas que ça me manque parce que j’ai tellement d’activités que celles-ci remplacent ce que je faisais là-bas. On me demande beaucoup de choses ici.
Quelles sont ces activités qui vous occupent à Bonne-Terre ?
Ce sont des choses très variées. On me demande, par exemple un baptême, que je vais célébrer dans la petite chapelle d’ici. Je reçois beaucoup de visites. Tous les mercredis matins, je vais à Trou-d’Eau-Douce, chez ma soeur. En chemin, j’achète des gâteaux piments chez un marchand de gâteaux piments, qui est pour moi le meilleur de toute l’île ! Et, je les lui apporte.
Vous allez vous ressourcer chez votre soeur ?
Là-bas, je suis chez moi. Nous étions une fratrie de neuf enfants. J’étais l’aîné des garçons et elle, l’aînée des filles. Alors, nous avions tous deux une petite responsabilité qu’on a partagée. C’est très agréable parce que cela me fait une coupure.
Où en est votre projet de création d’une deuxième école (ndlr : après l’école Oasis de Paix, se trouvant à Rue Saint-Georges, Port-Louis) à Pointe-aux-Sables pour les recalés du CPE ?
L’école aura coûté Rs 55 millions ! Elle est opérationnelle depuis un mois ! Ce ne sont pas seulement les koze, non, c’est fait ! 300 petits qui ne savent ni lire, ni écrire ni compter qui, au bout de trois ans, seront employés par mon grand ami, François Woo, directeur de la CMT. Sur les cent enfants qui finissent le CPE à l’école Oasis de Paix, 66 % décrochent leur CPE et 33 % ne l’ont pas mais ils ont appris à lire, écrire et compter. Et, le directeur de la CMT les prend dans son usine. Ils ont alors un travail et ils sont sauvés de la rue. Autrement, les filles seraient des prostituées et les garçons auraient vendu de la drogue. L’école en bois a été montée en Angleterre et est arrivée par bateau. C’est une première à Maurice. C’est la plus jolie école de toute l’île et probablement de toute l’Afrique. Elle pourrait se comparer aux plus belles écoles d’Europe. Dans un cadre merveilleux, avec sortie sur la plage et la mer… Pas une seule école n’est comme cela dans toute l’île. La plus belle école pour les derniers des derniers des enfants. Et, ça, j’en suis content ! Il y aura la grande ouverture officielle bientôt.
Comment l’école fonctionne-t-elle. Y a-t-il une section pour les enfants autistes ?
Pas une section. J’ai une école pour les autistes ! C’est une école différente, séparée, à côté, avec une vingtaine d’élèves. Toujours dans l’idée de faire quelque chose pour les derniers des derniers.
Est-ce votre plus grand projet ?
Vous voudriez plus grand encore ? (Rires). Mon plus grand projet, c’est mon sacerdoce et cela fait partie de mon sacerdoce. C’est parce que je suis prêtre que je me suis intéressé à tout cela.
D’autres projets en vue ?
Oui. Il y a une chose que je fais sans arrêt : les staff rooms. J’en ai fait pour Rs 100 millions ! J’arrive dans une petite école perdue. J’installe un tapis, une table, des chaises, un frigo, une bouilloire électrique, un divan et j’aménage pour les instituteurs une staff room où ils se retrouvent tous. Avant, ils mangeaient leur pain comme des jako chagrin dans leur salle de classe. Et, maintenant, ils se rendent compte de l’importance d’une staff room. Et, j’ai fait des staff rooms dans plusieurs écoles à travers l’île. L’école primaire, c’est la base. Si le primaire est raté, le reste sera raté.
Quelle est, pour vous, l’importance d’une “staff room” ?
Dans une charrette, c’est le boeuf qui compte. Si les enseignants sont heureux, ils seront efficients et les enfants seront heureux. En soignant les enseignants, cela rejaillit sur les enfants. On ne s’occupe pas suffisamment des enseignants. Ils sont souvent laissés là, dans des conditions impossibles. Si je suis enseignant, que je mange mon pain tristement à midi et puis voilà, et je repars… Mais, si je suis enseignant, que j’ai une belle salle de classe, une belle salle pour les enseignants, ma vie change… et cela se répercute sur les enfants ! Une enseignante qui attend un enfant par exemple, peut aller se reposer sur le divan pendant la récréation.
Quel est l’événement qui vous a le plus marqué dans votre vie de prêtre et dont vous éprouvez aujourd’hui un sentiment d’accomplissement et de fierté ?
(Catégorique) Quand j’étais en prison ! (ndlr : En 1984, alors que le gouvernement avait présenté le Newspaper’s Periodicals Amendment Bill, qui prévoyait l’imposition d’une caution, une sorte de Right to Publish Fee qui aurait tué tous les petits journaux. 44 manifestants dont le Père Souchon et des journalistes furent arrêtés après avoir manifesté devant l’Assemblée nationale). Ça, c’était merveilleux parce que je luttais pour la justice. Je bloquais la Place (ndlr : devant l’Hôtel du Gouvernement) alors que le Parlement siégeait. C’est fou ! (Rires).
L’ambassadeur de France, Jean-François Dobelle, disait de vous, vendredi lors de la remise de votre décoration, que vous n’avez peur de rien…
Non, la peur n’est pas un sentiment qui est le mien. Je crois que je n’ai jamais eu peur. Peut-être petit, j’ai eu peur du loup, je ne sais pas…
C’est donc ce moment en prison pour la liberté de la presse qui vous a le plus marqué…
Ces quelques heures en prison pour la justice m’ont fait énormément plaisir… Mgr Jean Margéot est venu payer notre caution. Et puis, il est venu à l’intérieur. Et, quand il a voulu partir, c’était fermé. Qu’a-t-il dit selon vous ? Beze, ils m’ont enfermé aussi ! (Éclat de rires). Ça, c’était historique !
Quel sentiment vous animait à ce moment précis ?
J’étais enchanté parce que c’est ce que je voulais ! (Plus sérieux) C’était tellement important. Si les journaux sont fermés, il n’y a plus de démocratie ! Qu’est-ce qui permet la démocratie ?, c’est la liberté des journaux. Notre monde moderne ne peut marcher sans les journaux.
Justement, Jean-François Dobelle a relevé vendredi dernier, qu’alors qu’on vous a appris, au noviciat, que « le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit », vous, vous ne vous y êtes jamais vraiment souscrit… Votre commentaire ?
(Rires) Je ne suis pas d’accord avec cela ! On me l’a enseigné mais j’ai pas pris cet enseignement-là pour moi. J’ai laissé cela pour les autres.
Vous êtes un homme des médias et vous avez dit que si aujourd’hui le Christ devait faire son sermon, il ne le ferait plus sur la montagne mais qu’il irait à la radio ou à la télévision… Pourquoi, selon vous, les médias sont-ils importants aujourd’hui ?
La société aujourd’hui est tributaire des médias. Rien qu’à regarder les publicités dans les journaux, y en a pour des millions. Tout le monde sait que sans les journaux, ça ne marcherait pas. Ce qu’on dépense en publicité dans les journaux, c’est énorme ! Dans notre monde moderne, soit vous passez par les médias soit vous ne passez pas…
Et, si vous vous contentiez de faire vos sermons à l’église ?
D’abord, qui vient à l’église ?
Les fidèles.
Les fidèles. Mais, les infidèles ? Il faut aussi s’en occuper…
Comment décririez-vous le Père Souchon ?
(Avec évidence) Un homme heureux !
Autrement, comment revoyez-vous votre parcours ?
J’ai pas fini ! J’ai pas de temps à perdre avec le passé, je vois l’avenir.
Vous êtes connu pour avoir lutté âprement contre le communalisme. Vous avez été le premier prêtre à Maurice à inviter un imam à l’église aux lendemains des bagarres raciales de 1968 entre catholiques et musulmans et vous avez par ailleurs mis un terme aux bancs réservés à l’église Notre Dame de Lourdes, à Rose-Hill. Qu’avez-vous à dire sur le communalisme aujourd’hui ?
Ah, c’est florissant ! Et, les politiciens en savent quelque chose et s’en servent.
Pensez-vous que cela puisse changer un jour ?
Je pense que pour les jeunes, les 15-25 ans, cela n’existe presque pas. Il y a des mariages mixtes.
Vous qui avez toujours jugé important, pour ne pas éloigner les jeunes de l’Église, de vous adapter à eux — vous avez notamment permis des styles de musique plus rock dans votre paroisse quand vous étiez curé, quel avenir entrevoyez-vous pour ce groupe d’âge ?
(Adoptant un ton sérieux) Je suis très inquiet pour eux. Les 15-25 ans vont être adultes demain et vont se marier. Ils auront à élever leurs enfants. Ce sera fini les grandes théories. Il faudra rentrer dans les rangs. Et, ils ne sont pas prêts à cela.
Qu’est-ce qui vous donne ce sentiment qu’ils ne sont pas prêts ?
Leurs centres d’intérêt, c’est bien joli mais demain, ils seront comme tout le monde, papas et mamans. Et, leur centre d’intérêt aura changé.
En quoi sont-ils différents des jeunes d’autrefois ?
(Pesant ses mots) Ils sont totalement différents. Premièrement, la religion ne les intéresse pas. D’autre part, ils ont leur code de conduite, leur façon de faire, leur façon de s’amuser. Ils sont une autre nation. Je crains qu’on ne fasse pas grand chose pour eux, qu’on les laisse se débrouiller. Disons les choses comme elles sont : l’Église a perdu les 15-25 ans. Du reste, il n’y a plus autant de vocations. Il faudrait que l’Église se rajeunisse, qu’on aille voir un peu ce que sont leurs centres d’intérêt, ce qu’on a à leur offrir… S’il n’y a plus de vocations de prêtre, il n’y a plus de vocations de religieuses. Il faut tout revoir. Les choses d’autrefois ne payent plus, ne marchent plus.
Si les jeunes devaient s’inspirer du Père Souchon, quel trait de son caractère leur conseilleriez-vous ?
Écoutez, les jeunes se fichent de moi. Je suis un vieux Schtroumpf.
Si un jeune s’intéressait à vous…
J’ai aidé beaucoup de jeunes pour leurs vocations de prêtre ou de religieuse. Mais, comme j’ai dit, l’Église a perdu la jeunesse et si j’étais en charge de l’Église, je dirais que les 15-25 ans seraient le point principal de mon apostolat parce que l’Église va fermer ses portes si les 15-25 ans n’y viennent plus. C’est pas à l’âge de 50 ans qu’ils vont retourner.
Quand vous quitterez un jour cette terre, que souhaiteriez-vous qu’on perpétue dans ce que vous avez déjà entrepris ?
Je me suis assuré que l’école (ndlr : celle de Pointe-aux-Sables) sera là. Mais, après, qui je suis, je ne sais pas qui cela inspirera…
Voyez-vous toujours vos clochards les dimanches au Centre social Marie Reine de la Paix ?
J’ai un groupe d’une trentaine de jeunes admirables, qui viennent tous les dimanches. Et là, j’attends que le gouvernement me donne la vieille usine de Roche-Bois dans laquelle je recevrais cent clochards à dîner tous les jours : soit 36 500 dîners par an ! Et, je connais quelqu’un depuis sa première communion et qui serait prêt à quitter sa belle maison, sa femme et ses trois enfants pour habiter la vieille usine de Roche-Bois, qu’on me donnerait, et il recevrait une centaine de clochards tous les soirs. Le jour où cela se réalise — il faudrait que le gouvernement m’accorde cette usine — je pourrais partir, car mes clochards auraient à manger.
Ils comptent beaucoup pour vous, vos clochards ?
Tous les dimanches, c’est mon amusement. 52 dimanches sur 52, je suis là. Et, la trentaine de jeunes qui vient est remarquable.
Avez-vous un mot pour vos paroissiens de l’Immaculée Conception où vous avez passé des décennies en tant que curé ?
Je ne voudrais pas m’immiscer dans ce qui ne me regarde plus aujourd’hui.
Un mot à ajouter ?
(Après un temps de réflexion). Ah oui, écoutez, c’est important. À ma mort, je veux un cercueil en bois comme on donne pour les cadavres ramassés dans la rue et on peut en trouver à l’hôpital Jeetoo, à Port-Louis. Je veux ce cercueil en bois. Je ne veux pas de corbillard mais d’un camion parce que j’ai connu ces cercueils en bois. J’ai béni des corps dans de tels cercueils. Et, qu’on m’emmène à Bois-Marchand, on met une croix et rien d’autre… Une tombe ordinaire comme on en voit là-bas, avec mes clochards. Quand je monterai au ciel, peut-être un clochard m’aidera-t-il à entrer…
Vous serez loin de vos proches défunts.
Ma famille pourra venir se recueillir sur ma tombe mais elle devra venir là-bas.
Votre santé ?
Dieu merci, le Bon Dieu me donne la santé et je continue et mon école de Pointe-aux-Sables fait ma joie. À ma rentrée, en septembre, je prends encore cent garçons et filles. Ils y restent trois ans et chaque année, 100 partent.
PÈRE HENRI SOUCHON (CHEVALIER DE LA LÉGION D’HONNEUR) : « Je n’ai jamais pris de retraite »
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