Tantôt crédule, tantôt calculateur, l’animal politique a ceci d’étonnant qu’il tend trop souvent à s’accrocher à des vérités d’autres temps sous le seul leitmotiv de placer leur éclairage au zénith de ses propres convictions. En d’autres termes, tout argument extérieur est systématiquement mis en avant, pourvu bien sûr qu’il soit exploitable et vienne étayer l’argumentaire développé. Quant aux avis contraires, il lui suffit simplement de les ignorer. Le politicien, c’est connu, n’aime pas faire machine arrière, et encore moins reconnaître ses erreurs. Non seulement ces changements de cap le blesseraient dans son ego, mais ils équivaudraient en outre à un désaveu politique dont il ne veut assurément pas.
Ainsi pouvons-nous nous poser la question de la pertinence de développer chez nous une centrale pourvue de turbines tournant au gaz naturel liquéfié (GNL), et ce en prenant soin de faire abstraction de toute considération politique ainsi que des actuelles velléités échangées entre le leader de l’opposition et le ministre de l’Énergie autour d’une rhétorique purement bureaucratique. Pour Ivan Collendavelloo, la chose paraît en effet entendue : son gouvernement « a toujours mis l’accent sur les énergies propres » et le GNL, justement, « est » une énergie propre. Eh bien désolé de vous contredire M. Collendavelloo, mais vous avez tort !
Du fait de la lutte contre le réchauffement climatique et des accords signés, à l’instar de celui de Paris en 2015, il est vrai que le discours de l’industrie pétrogazière a quelque peu changé. Désormais en effet, face au pétrole et au charbon se pose une alternative pour le moins séduisante car vendue comme étant deux fois moins émettrice de gaz à effet de serre que le charbon, en l’occurrence le gaz « naturel » (appellation, il faut le reconnaître, très poétique d’une ressource pourtant d’origine fossile). Pour les producteurs, la chose est entendue : le gaz naturel est « La » clé de la transition énergétique. Faux, archifaux !
Il faut en effet savoir que cette présentation « eco-friendly » altère quelque peu les faits, et ce en particulier concernant le gaz de schiste. Le problème, ici, n’est évidemment pas le dioxyde de carbone, mais le méthane. Car la production et le transport de cet hydrocarbure non conventionnel (surexploité aux États-Unis et exporté sous forme de GNL) engendrent de très importantes fuites de méthane. Or, ce gaz est pas moins de… 25 à 30 fois plus « réchauffant » que le CO2, augmentant ainsi considérablement notre empreinte carbone. Et cette constatation n’est bien sûr pas le fait d’illuminés ou de militants écologistes. Non, elle émane entre autres des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Ainsi, selon leurs observations, pour pouvoir respecter l’accord de Paris et atteindre nos objectifs (déjà grotesques) à l’échelle planétaire – soit de limiter à 2°C la hausse de la température moyenne du globe par rapport à l’ère préindustrielle –, l’on se doit de laisser dans le sol 80% des réserves fossiles déjà connues. Ce qui comprend évidemment le gaz.
N’en déplaise à nos décideurs, le GNL est certes une solution alternative en termes de production électrique, mais il n’est aucunement « propre ». Les chercheurs du Climate Action Tracker insistent d’ailleurs eux aussi de leur côté sur cet aspect, ces derniers rappelant dans un récent rapport, portant sur les différentes politiques de réductions des émissions de gaz à effet de serre, les risques liés aux investissements dans de nouvelles infrastructures gazières. Selon eux, soit on en fait une utilisation intensive, et donc dangereuse pour le climat, soit il y a sous-utilisation, et ce serait cette fois le portefeuille des investisseurs qui trinquerait. En d’autres termes, toujours selon eux, l’opération ne peut être rentable qu’en produisant beaucoup, et donc en favorisant les émissions de ce méthane si nocif pour notre planète.
Se décarboner est loin d’être chose facile. Pourtant, Maurice (on ne cessera de le répéter) a depuis toujours, du fait de son insularité et de son positionnement géographique, à sa disposition quelques cadeaux livrés gratuitement par Dame Nature, et dont nombre de pays aimeraient disposer, à savoir le vent, le soleil et l’eau. Ces trois éléments, à eux seuls, pourraient nous garantir une indispensable autosuffisance énergétique. Pour peu, évidemment, que l’on mette très rapidement en place une véritable politique environnementale, et pas seulement de sporadiques dons de panneaux solaires ou l’érection de micro-fermes éoliennes.
Quoi qu’il en soit, la « clé » de notre avenir énergétique n’est assurément plus dans les énergies fossiles. Toute idée d’approvisionnement énergétique puisant sa source dans les tréfonds de la Terre n’a plus sa place aujourd’hui, alors que le monde se rapproche davantage chaque jour de ce point de basculement où le climat s’emballera. Maurice comptant parmi les pays les plus exposés, l’on pourrait penser que nos politiques auraient au moins compris cela !
Michel Jourdan