Maurice en cale sèche

En 2014, sur les estrades des meetings de l’Alliance Lepep, sir Anerood Jugnauth et ses alliés annonçaient à qui voulait l’entendre qu’en cas de victoire, le stress hydrique que connaît notre pays ne serait bientôt plus que chose du passé. Avec, en guise de conclusion, le tonitruant slogan « dilo 24/7 », qui restera longtemps dans les annales… pour les mauvaises raisons. Car en une décennie de pouvoir, non seulement jamais le problème de l’eau n’aura été résolu, mais l’ancien gouvernement, par le biais du fils du premier nommé, Pravind Jugnauth, se sera même dédouané de toute fausse promesse, ce dernier allant jusqu’à tenter de convaincre que « 24/7 » ne signifiait en rien que les robinets couleraient de manière continue partout à travers le pays.
Le risque d’un déficit accru d’eau de pluies, accentué par une mauvaise gestion de nos ressources en eau potable, est pourtant bien réel. En atteste d’ailleurs un rapport des Nations Unies, dans lequel les auteurs prévoient que Maurice se retrouvera en situation de stress hydrique d’ici… 2025. Cela dit, notre pays n’est évidemment pas le seul à souffrir de cette situation, induite d’ailleurs – doit-on encore le rappeler – par le changement climatique anthropique. Ainsi, l’ONU (toujours elle) vient encore d’annoncer, lors de la récente COP16 sur la désertification, qu’en l’espace de 30 ans à peine, trois quarts des terres mondiales – soit plus de 75% – sont devenues plus sèches.
Un phénomène qui, par ailleurs, pourrait affecter pas moins de cinq milliards de personnes d’ici 2100 si le problème n’est pas pris au sérieux. Ibrahim Thiaw, secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, indiquait à ce propos que « cette crise redéfinit les écosystèmes, les économies et les moyens de subsistance ». Tout en mettant en corrélation l’aggravation de l’aridité et le réchauffement climatique causé par nos émissions de gaz à effet de serre.
Maurice n’échappe pas à la règle, et le pays fait face à une menace permanente de sécheresses prolongées, et ce, du fait d’abord des cycles climatiques globaux. Et contre lesquels, par définition, nous ne pouvons donc pas grand-chose, puisque globaux. En revanche, s’il y a quelque chose sur lequel nous pouvons agir, c’est sur la gestion de nos réserves, facteur déterminant afin d’éviter une crise environnementale, économique et sociale (car attisant les tensions) dans les prochaines années. Or, inutile de rappeler que sur ce point, c’est le statu quo, et que si nous ne prenons pas la mesure du défi, nous courrons à une véritable catastrophe.
Il est ainsi bon de savoir que si la pluviométrie a accusé une baisse de 8% à Maurice ces dernières décennies, le pays reçoit malgré tout encore une moyenne annuelle de deux mètres de pluies. Le souci est donc ailleurs, en l’occurrence dans la rétention d’eau, car celle-ci finit encore en grande partie par retourner à la mer, à s’évaporer ou encore à s’infiltrer dans les nappes phréatiques. Quant à ces dernières justement, l’on pourrait évidemment penser qu’il s’agit de réserves disponibles, ce qui pourrait sembler positif. Sauf que les nappes phréatiques sont surexploitées, représentant environ 70% de l’approvisionnement en eau potable chez nous. Avec pour conséquence, en période de sécheresse, de générer une instabilité géologique.
Il apparaît donc clairement que l’eau devrait être la priorité du gouvernement du jour. Certes, nous avons perdu dix ans sous l’ère des Jugnauth père et fils (et même plus que cela à bien y regarder), mais la cause n’est pas encore perdue, loin de là. Encore faut-il pour cela mettre en place une vraie politique de l’eau, à commencer par la construction de barrages et de bassins de rétention. Ensuite, si le monopole de la CWA reste problématique et matière à débats, il est évident que l’on se doit de remédier rapidement à la vétusté de notre réseau d’acheminement d’eau auprès des foyers, des usines et des entreprises. De même, envisager un stockage d’eau décentralisé, avec de petits réservoirs indépendants dans des régions spécifiques, serait également souhaitable. Sans compter, bien évidemment, le dessalement d’eau de mer ou encore la promotion d’installation de microsystèmes de récupération d’eaux de pluie sur nos toits.
On vient de le voir, Maurice ne manque certainement pas de moyens en ce qui concerne le captage, la rétention et la distribution d’eau, seule la volonté politique faisant encore cruellement défaut. Le véritable développement, n’en déplaise à notre ancien Premier ministre, ne se limite aucunement à de nouvelles infrastructures routières. Si nous ne revoyons pas d’urgence notre gestion en ressources hydriques, nul doute que le navire Maurice finira un jour en cale sèche.

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Michel Jourdan

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