Mahé de La Bourdonnais, un gouverneur d’exception

Georges Toussaint

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Au début du XVIIIe siècle, la France est à la recherche d’un port sur la Route des Indes. Il n’existe pas de bon havre naturel à Bourbon (La Réunion). La Bourdonnais propose donc d’en créer un au nord-ouest, à l’Isle de France (Maurice). Il est nommé gouverneur des Iles Mascareignes pour le compte de la Compagnie des Indes en 1734 dans ce but. Lorsqu’il arrive dans les îles, il découvre une situation précaire : L’Isle Bourbon compte 6 000 habitants dont 4 200 esclaves, et l’Isle de France ne réunit que 838 habitants dont 648 esclaves. Il manque d’ingénieurs et d’encadrement. Visionnaire et travailleur infatigable, il œuvre dans toutes les directions. En 10 ans, Port-Louis devient une base navale et une plateforme commerciale et Saint-Denis, la capitale d’une île agricole prospère.

La mise en valeur des îles (1735-1745)

À l’Isle de France, La Bourdonnais crée le Port-Louis et en fait le siège du gouvernement des Mascareignes. À Bourbon, il fait de Saint-Denis sa capitale, fonde des villes, développe les infrastructures et encourage l’agriculture. Il a recours aux esclaves acquis auprès des Arabes en Afrique et de chefs locaux à Madagascar et participe aux trafics internationaux en particulier avec les Portugais qui sont présents à Goa, en Angola et au Brésil.

La Bourdonnais fait venir de France quelques 400 artisans spécialisés, notamment des charpentiers de marine, et une centaine d’artisans indiens. Les esclaves sont alors initiés au travail du bois, de la pierre, de la maçonnerie, aux métiers de la marine, et au maniement des armes. Baptisés, ils participent à la construction d’églises et d’édifices religieux.

-Il entreprend de grands travaux. Et ce, afin d’aménager des routes et des chemins en imposant des corvées comme cela se pratique sous l’Ancien Régime.  À l’Isle de France, il fait creuser le Port Louis et fait baliser le chenal. Il entreprend des travaux de défense, des fortifications, dont deux fortins pour garder l’entrée du Port-Louis. Il procède à la construction des casernes, des manufactures, des bâtiments administratifs, des magasins. De belles demeures coloniales sont construites sur le modèle de celles de Pondichéry. Un arsenal est aménagé en vue de réparer et construire des bateaux pour la navigation à destination de Madagascar, des ports d’Afrique orientale et de l’Inde en utilisant des bois locaux. À Bourbon, il procède à la fabrication d’un ingénieux pont volant à Saint-Denis pour charger et décharger les navires.

-Il veille à la santé de la population et des hommes d’équipage. Il encourage sur les habitations la culture du maïs et du manioc, qu’il a ramené du Brésil pour nourrir les esclaves et la population.

À l’Isle de France, l’adduction d’eau est primordiale. Il prévoit un barrage pour amener au port par une tranchée l’eau d’un cours d’eau voisin, et lance la construction d’un aqueduc. Il fait construire des hôpitaux dont un grand hôpital de 250 à 300 lits à Port-Louis pour soigner les malades du scorbut.

-Dans le même temps, il s’attèle au développement de l’agriculture. Il passe en moyenne trois mois par an à Bourbon. La Bourdonnais assure, par exemple, la bonne conservation du café destiné à l’exportation, en faisant bien sécher les grains.  Passionné d’agriculture, il encourage les cultures de blé, de riz, de haricot. Les colons se lancent dans le coton, l’indigo et des fruits exotiques. Cependant, entre les mois de décembre et avril, les cyclones peuvent ruiner les plantations et provoquer des disettes.

-Il s’applique à trouver de nouveaux débouchés commerciaux. La Bourdonnais s’inscrit dans le commerce entre la côte d’Afrique et les îles pour son propre compte et pour celui de la Compagnie et cherche de nouveaux débouchés pour le café bourbon en Asie.

Son action est momentanément freinée en 1738

En 1738, après la perte de son épouse et de deux enfants en trois mois, Mahé de La Bourdonnais rentre en mère patrie. La Compagnie lui reproche ses dépenses. Mais il s’en explique. Mahé de La Bourdonnais obtient du contrôleur général des finances, ministre de tutelle de la Compagnie, une certaine liberté commerciale aux îles au profit des colons. Il profite de son séjour pour présenter des projets ambitieux pour les îles Mascareignes.

Il propose d’organiser au Port-Louis un vaste entrepôt pour les marchandises orientales et d’utiliser les navires de l’Asie pour transporter les marchandises à faible coût. Les navires venus d’Europe les embarqueraient au port de l’Isle de France et n’auraient pas besoin d’aller jusqu’aux Indes.

Les directeurs de la Compagnie des Indes n’y sont pas favorables.

Il place les fonds dont il dispose dans le commerce local et reprend ses chantiers. La Bourdonnais surveille l’activité des compagnies hollandaise et anglaise. En 5 ans, il parvient à créer une escale commode sur la route commerciale entre l’Europe et l’Asie-Orientale. Au recensement de 1740 la population est passée à 11 500 habitants dont 8 400 esclaves à Bourbon, et à 2 981 habitants dont 2 612 esclaves à l’Isle de France. Elle a triplé en 5 ans.

Les ambitions militaires de La Bourdonnais

En 1740, il rentre en métropole pour confier son fils à l’oncle de La Franquerie et faire un nouveau mariage.

Il remet à Monsieur de Maurepas, secrétaire d’État de la Marine, un plan de guerre pour donner aux Français la supériorité navale en Mer des Indes.

Malgré l’avis défavorable de la Compagnie, il obtient d’armer en guerre une escadre pour aller en course aux Indes afin de ruiner le commerce des Anglais et s’en prendre à leurs colonies.

Élevé au grade de capitaine de frégate de la marine royale, il reçoit le commandement de 5 navires portant 1 200 matelots et 500 soldats pour un départ en avril 1741.

Lors de ce voyage, il récupère à nouveau au Brésil des plantes et de la canne à sucre.

Opérations militaires dans les Indes

En août 1741, quinze jours après son arrivée à l’Isle de France, l’escadre appareille à destination de l’Inde où les établissements français sont menacés par des bandes.

Il contribue à rétablir l’ordre dans le sud de la péninsule en sauvant les comptoirs de Pondichéry et de Mahé. En remerciement, le Mogol confère au gouverneur de Pondichéry le titre de Nabab, la plus haute distinction de l’empire Mogol.

De retour au Port-Louis, La Bourdonnais veut conserver à l’Isle de France cette escadre qui serait utile en cas de guerre avec l’Angleterre. Mais, sur ordre de la Compagnie, il doit la renvoyer en France.

Après s’être exécuté, La Bourdonnais adresse une lettre de démission au ministre Fleury. Mais celle-ci est refusée et l’autorité du gouverneur est confirmée.

Ses initiatives lors de la Guerre de Succession d’Autriche

Comme il le craignait, dès la déclaration de guerre à la Grande-Bretagne le 15 mars 1744, les Anglais s’emparent des bateaux de commerce de la Compagnie. La Bourdonnais forme alors une escadre de fortune à l’Isle de France, où sont enrôlés des esclaves. Il sera fier de leur engagement. Il obtient une victoire navale à Nagatapam, puis fait le siège de Madras qu’il prend en septembre 1946.

Dénouement dramatique de sa carrière

À la suite d’un désaccord avec Dupleix, gouverneur de Pondichéry, sur les conditions de reddition de la ville de Madras, il est démis de ses fonctions et doit se rendre en France pour s’expliquer… Sa réussite personnelle et ses démêlés avec la Compagnie lui ont valu des calomnies à la Cour du Roi.

Mahé de La Bourdonnais est embastillé en 1748. Il défend son honneur avec méthode et acharnement. Voltaire prend officiellement sa défense. Il obtient enfin son retour en grâce en 1751.

Mais, épuisé et malade, il décède le 10 novembre 1753.

En conclusion

Aux iles Mascareignes, Mahé de La Bourdonnais aura œuvré à la création du Port-Louis, à l’Isle de France ; largement contribué à l’essor de Bourbon ; conforté la place de la France dans les Indes au prix d’actions peu communes. Il aura su mobiliser les hommes malgré les difficultés rencontrées, sans parler des revers climatiques.

Les îles de la Mer des Indes doivent beaucoup à cette grande figure malouine qui avait de l’ambition pour La France…

Sources : voir lemauricien.com

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