Lindsay Morvan (Mouvement pour le Progrès de Roche-Bois) :« 30 ans, une célébration pour l’avenir »

En marge des 30 ans du Mouvement pour le Progrès de Roche-Bois (MPRB), Lindsay Morvan, son président, réitère sa confiance dans la jeunesse et la relève. Sensible aux besoins et aux aspirations des jeunes de Roche-Bois et des quartiers avoisinants, il estime qu’il est grand temps « de passer le flambeau à cette jeunesse ». D’où le thème : “Enn selebrasion pou l’avenir.”

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Dans cette optique, le MPRB a initié une étude sociologique dirigée par le sociologue Ibrahim Koodoruth et son équipe sur la situation et les attentes des jeunes du quartier de Roche-Bois et des environs. Le but : développer un plan d’action approprié pour leurs actions futures sur le terrain. Ayant reçu le rapport récemment, le MPRB, dans le cadre de la célébration de ses 30 ans, compte réajuster sa stratégie d’intégration sociale et de combat contre la pauvreté.

Trente ans d’existence pour le Mouvement pour le Progrès de Roche-Bois. Quel est le bilan à ce jour ?

D’abord, il faut reconnaître que 30 ans dans la vie d’une organisation, née d’un mouvement spontané de quartier, c’est quand même un parcours très honorable. Quand nous avons créé le Mouvement pour le progrès de Roche-Bois, en 1993, nous étions dans un contexte de ras-le-bol et de frustration des habitants du quartier vis-à-vis des autorités.
Roche-Bois abritait un dépotoir qui, chaque soir, arrosait le quartier incluant l’autoroute du nord avec des nuées de fumée provenant de déchets en feu ; la quarantaine nous parfumait avec l’odeur des animaux et leurs matières fécales qui couvraient même le parfum de nos sautés de poisson salé dans nos maisons. La municipalité de Port-Louis avait décidé de remplacer un espace vert, un jardin d’enfants, une école maternelle et un terrain de basket par un garage municipal. La drogue et la prostitution régnaient dans le quartier !
Nous avions même invité le Premier ministre d’alors, sir Anerood Jugnauth, à une cérémonie durant laquelle, en présence du public et de la presse, je lui avais remis une liste de noms des trafiquants de drogue présumés ainsi que ceux impliqués dans le trafic de jeunes filles pour la prostitution.

D’un mouvement de protestation, nous sommes ensuite passés à un mouvement de propositions et d’actions. Nous avons essayé de concentrer nos actions sur l’éducation et la formation comme moyens d’intégration sociale et de combat contre la pauvreté. Ces actions visaient et visent toujours les enfants, les adolescents aussi bien que les parents.
Quand nous jetons un coup d’œil dans le rétroviseur et que nous constatons que nous avons aidé à produire des Role Models, comme Rony Busviah, lauréat 2017, Adriano Dinally et Stevenson Édouard, champions internationaux de kickboxing et Big Frankii parmi tant d’autres. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Le MPRB a pris naissance pour être la voix des habitants de Roche-Bois. Parlez-nous des lacunes qui existaient au point que le mouvement est aujourd’hui au cœur des actions ?

D’abord, il faut reconnaître qu’à l’époque, même si les habitants se plaignaient entre eux, beaucoup n’osaient pas élever la voix après l’installation par les autorités de la quarantaine et du dépotoir. En plus, la drogue et la prostitution faisaient ravage. L’installation du garage municipal a créé le déclic.

Je dois avouer qu’au départ, beaucoup prédisaient que notre démarche était identique à celle de Don Quichotte et que c’était une bataille perdue d’avance. Depuis, il y a eu une prise de conscience, et il y a eu beaucoup d’autres organisations aussi bien sociales que sportives qui ont émergé.

Comme nous l’avons toujours affirmé, le MPRB ne prétend pas être le seul interlocuteur pour les habitants de Roche-Bois. Mais nous avons quand même initié et continuons à initier des actions pour l’autonomisation socio-économique des habitants du quartier et des alentours.

À qui revient l’idée de cette mise en place du Mouvement du Progrès de Roche-Bois ?

À un groupe de femmes engagées au sein de la paroisse de Roche-Bois, dont Edwige Dukhie et Edwige Sivance. Feu Jean-Claude Augustave, Tatave pour les intimes, et Jean-Claude Lau ainsi que Marcel Poinen avaient animé un atelier de travail avec ces dames sur le thème Femme et Développement, quand le projet de garage municipal commençait à prendre forme. Les deux Jean-Claude avaient encouragé le groupe de femmes à organiser une manifestation contre le projet municipal.

Quant à moi, j’étais surtout engagé avec le club de foot du Roche-Bois Boy Scouts comme PRO. J’avais surtout la responsabilité de trouver des sponsors. Ce club a permis aux jeunes comme Kersley Appou, Tony François, Kersley Auguste et autres de fouler le stade George V comme juniors avant de briller en seniors de la première division nationale de football et même en sélection nationale.

À l’époque, les clubs de la première division comme Fire Brigade, Cadets Club, Scouts Club et autres puisaient leurs juniors des collèges qui participaient aux tournois intercollèges. Le Roche-Bois Boy Scouts a permis aux jeunes qui ne fréquentaient pas de collège de pouvoir jouer parmi l’élite du football national.

Je me rappelle que Tatave m’avait demandé ce que je pensais des travaux qui avaient démarré sur le site. Je pensais que c’était un espace omnisports pour les habitants. C’est à ce moment-là qu’il m’a informé que c’était un garage municipal et qu’une manifestation allait être organisée. J’ai donc été invité à me joindre à cette manifestation qui avait réuni une dizaine de manifestants, cinq chiens et… 50 policiers !

Après la manifestation l’association a été créée avec comme parrain, Jean-Claude Lau, qui avait choisi ce nom, Mouvement pour le Progrès de Roche-Bois avec un esprit de positivité plutôt que contestataire.

L’intégration sociale est un mot qui revient en force, sans parler du combat contre la pauvreté, la drogue… Avec autant de problèmes à régler, comment le MPRB s’est positionné pour donner une aura à la localité ?

Avant le MPRB, le Mouvement scout de Roche-Bois était déjà très actif en terme d’encadrement des jeunes sans pour autant être directement impliqué dans des actions sociales à Roche-Bois, et ce depuis 1972, sous la férule de feu Lindsay Savournaden, encouragé à l’époque par le père Giraud avec d’autres curés de la paroisse s’engageant activement pour assurer la relève. Le Roche-Bois Scout Group demeure, d’ailleurs, un de nos partenaires privilégiés.

Par ailleurs, nous avons toujours considéré qu’il nous fallait travailler avec tout le monde pour avoir un réel impact sur les multiples problèmes auxquels faisaient et font toujours face, aussi bien les jeunes que les moins jeunes du quartier et des quartiers avoisinants.
Nous pensons que travailler avec les enfants et les jeunes seulement ne suffit pas. C’est pour cela que depuis 1998, nous avons créé une école de parents avec le soutien de Shyam Reedha pour assurer le suivi et la prise de conscience de l’importance à l’éducation de leurs enfants. Je dois aussi préciser que c’est dans la lignée de ce combat contre la pauvreté et la drogue que Marcel Poinen et moi avions approché José Thérèse, qui était aussi scout de Roche-Bois et avait même joué au foot en première division nationale au sein du Roche-Bois Boys Scouts Club, pour créer l’atelier de musique Mo’Zar.

À l’époque, on constatait beaucoup d’échecs en fin d’études primaires et il n’y avait pas encore de Pre-Voc ou de Nine Year Schooling. Ceux ayant échoué au CPE, à l’âge de 12 ans, ne pouvaient ni intégrer un collège ni prendre un emploi.

L’atelier de musique accueillait ces jeunes qui avaient échoué mais qui prouvaient leur talent musical et qui arrivaient surtout à réussir aux examens de la Royal School of Music de Londres après des cours de musique assidus dispensés par José et d’autres amis, dont Rajni Lallah et feu Noël Jean.

Aujourd’hui, sous la direction de Philippe Thomas et Valérie Lemaire, Mo’Zar a franchi un autre palier mais la collaboration avec le MPRB demeure quand l’occasion le permet.

Éliminer la stigmatisation et la discrimination auxquelles sont confrontés les jeunes de Roche-Bois est un autre point fort du combat du MPRB. D’où cet accès à l’information, la formation et le développement des compétences. Cette initiative s’est-elle révélée payante ?

Un des premiers objectifs du MPRB a été d’essayer d’éliminer la stigmatisation et la discrimination contre le quartier de Roche-Bois et ses habitants. Je mentionne le quartier d’abord car dans l’esprit de beaucoup de gens, et même dans certains médias, Roche-Bois est un endroit qui ne mérite pas le même regard que les autres quartiers de la république.
Et encore moins ses habitants, bien que nous ayons eu des équipes de foot comme le Roche-Bois Boys Scouts, Saint-Martin et Roche Bois Bolton City qui ont brillé en première division nationale de football. Les Roche-Bois Warriors brillent toujours en première division de basket-ball. Les filles de Mer Rouge ont été championnes de foot national féminin.
Au niveau artistique, au-delà de Mario Ramsamy du Groupe Images, nous avons produit les Windblows, Tian Corentin, Sky To Be, Big Frankii, etc. Et, je peux vous assurer que même au-delà de Ronny Busviah, Sharma Hurbhookun et Maryvonne Ip Chan In lauréats 2017, 2018 et 2020 respectivement, beaucoup plus de jeunes terminent leurs études secondaires avec succès, aujourd’hui, qu’il y en avait 20 ans ou 30 ans de cela.

Éliminer la stigmatisation et la discrimination est un travail de longue haleine qui ne dépend pas seulement de Roche-Bois et ses habitants, mais de l’évolution de la mentalité des citoyens de notre République.

Quel regard portez-vous sur ce changement engendré à travers l’éducation pour une meilleure intégration sociale ?

Nous avons toujours encouragé nos jeunes et leurs parents à prendre au sérieux l’éducation qui est le meilleur outil d’intégration sociale. Cependant bien que nous organisions des programmes d’accompagnement et de formation pour les enfants et leurs parents, nous n’avons jamais prétendu pouvoir remplacer l’école primaire et le collège de notre système d’éducation nationale.

Nous souhaitons surtout que les enfants développent de l’intérêt pour la lecture et l’écriture pendant que se développe chez les parents une prise de conscience pour assurer la régularité et le suivi de la scolarité de leurs enfants. Comme je l’ai mentionné, les bonnes performances de ceux qui terminent leurs études secondaires tendent à nous donner raison dans notre démarche.

Malgré tout, il est un fait que l’abandon scolaire demeure, bien que l’école soit obligatoire jusqu’à 16 ans. Nous avons ainsi créé le programme Zenes La Limier qui regroupe une vingtaine d’enfants de 12 à 16 ans avec des activités ludiques aussi bien que pédagogiques pour les accompagner jusqu’à l’âge de pouvoir aller prendre un emploi.
Ce programme en fait date de l’arrêt du projet des « enfants de rues » qui avait pris fin dans les années 2000 et inclut la lecture et l’écriture, l’initiation aux outils informatiques, le théâtre, la musique, etc.

Quelles sont les actions du projet d’appui à l’autonomisation socio-économique des poules pondeuses qui implique 12 familles vulnérables avec cette possibilité de devenir autonomes ?

Ce projet financé et accompagné par Livestock Feed Ltd marche très bien et nous constatons que les familles bénéficiaires de ce programme ont bien compris cette démarche d’autonomisation socio-économique. D’ailleurs, bien qu’au départ nous essayions nous-mêmes, les membres du MPRB, par solidarité, d’en acheter les œufs, la majorité s’est créé un marché régulier et a aussi appris à gérer leurs revenues.

Le MPRB veut aussi être un noyau de changement écologique à Roche Bois et ses environs. Vos impressions ?

Nous avons déjà au centre du MPRB la fourniture d’électricité par l’énergie solaire et la captation d’eau de pluie pour le jardinage. Un de nos membres, en l’occurrence Oliver Fanfan, qui est un maître en la matière, a développé un projet de permaculture pour les bénéficiaires de Zenes La Limier. Nous allons bientôt démarrer avec Vivo Energy un projet d’aquaponie avec le soutien technique d’Advantedge PR.

Nous pensons que nos actions doivent accompagner nos discours et si nous voulons vraiment avoir un impact, il faut que nous donnions l’exemple. Avec le soutien d’Éric Mangar et le Mouvement d’autosuffisance alimentaire, nous avons distribué des bacs pour le Back Yard gardening à des habitants dans le but d’être indépendants pour leurs fines herbes et légumes de bases utilisées en cuisine.

Il y a aussi eu l’appui à l’autonomisation sociale filles-mères visant à aider les jeunes mères dans leurs besoins en lait infantile et en couches et à apporter un soutien à leur émancipation sociale. Ce projet a-t-il eu l’effet escompté ?

Bien que nous continuions à fournir le matériel nécessaire, nous éprouvons des difficultés à faire un suivi régulier car la plupart de ces filles, qui ont plus de 16 ans, doivent aussi travailler pour subvenir à leurs besoins économiques. Cependant notre équipe d’animatrices essaie tant bien que mal de les soutenir au maximum, surtout pour les besoins de leurs bébés.

Face à la stigmatisation et la discrimination, les jeunes de Roche Bois sont-ils mieux armés aujourd’hui pour prendre leur vie en main ?

Depuis 2022, notre équipe de jeunes a développé, avec le soutien financier de la SBM Foundation le projet Zenes Konekte, un programme pour les jeunes par les jeunes. C’est un projet multidisciplinaire qui justement vise à informer les jeunes de Roche-Bois et des régions avoisinantes des opportunités qui s’offrent à eux en termes d’accompagnement et de formation en plus des emplois disponibles.

J’ai personnellement confiance en nos jeunes et je me réjouis d’avoir accueilli au sein de la direction du MPRB au moins cinq jeunes de moins de 35 ans durant le dernier renouvellement de notre comité exécutif. C’est de bon augure pour l’avenir de l’organisation et la motivation pour les jeunes du quartier.

Comment le MPRB compte-t-il développer un plan d’action pour les années à venir ?

Il a toujours été une sorte de tradition, établie à l’époque par feu Jean-Claude Augustave (Tatave) pour le MPRB d’organiser chaque deux ou trois ans, un atelier de travail pour évaluer nos actions passées et développer un plan d’action pour les années suivantes.
Après plus de 30 ans d’existence, nous estimons que nous devrions, au niveau de la direction du MPRB, passer la main aux jeunes qui sont plus sensibles aux besoins et aux aspirations des jeunes de Roche-Bois et des quartiers avoisinants.

Nous avons, dans la même lignée, initié une étude sociologique dirigée par le sociologue Ibrahim Koodoruth et son équipe sur la situation et les attentes des jeunes du quartier de Roche-Bois et des alentours. Cela, afin de développer un plan d’action approprié pour nos actions futures sur le terrain.

Nous venons de recevoir le rapport durant le week-end dernier et nous comptons dans le sillage de la célébration de nos 30 ans réajuster, selon les recommandations de l’étude, notre stratégie d’intégration sociale et de combat contre la pauvreté.

Quels sont les défis actuels ?

Nous vivons malheureusement une ère où personne n’a le temps et est plutôt concentré sur son bien-être individuel si ce n’est que pour ses proches. Les volontaires dans les organisations se font de plus en plus rares. Les parents n’ont pas le temps de s’occuper de leurs enfants. Ils ont transféré cette responsabilité soit aux profs de l’école, soit aux tablettes ou téléphones portables. Le dialogue disparaît de plus en plus.

Pour nous, à Roche Bois, même si nous avons pu faire déplacer la quarantaine et le dépotoir (converti en station de transfert), nous voyons que la drogue continue à affecter les jeunes comme c’est le cas dans bon nombre de quartiers de notre République. La violence, aussi bien verbale que physique, devient malheureusement la norme dans notre société dirigée par les réseaux sociaux. La discipline a presque disparu de notre quotidien.
Évoluer dans un tel environnement avec des messages d’espoir et d’espérance est un réel parcours du combattant, et ressemble même parfois à un dialogue de sourds. Cependant, nous devons rester optimistes et continuer à travailler pour assurer un avenir sain pour nos enfants et petits-enfants. Comme on le disait à l’IDP dans les années 80, boukou ti dimounn kapav fer boukou ti kitsoz dan boukou ti landrwa.

Comme président, Lindsay Morvan, êtes-vous satisfait du bilan des 30 ans du MPRB ? Ou y a-t-il encore des incertitudes qui planent ?

Je pense que le MPRB a su s’adapter avec l’évolution de la situation sociale et économique au fil de ses 30 ans d’existence sans pour autant se prendre pour l’organisation qui peut apporter un peu d’air frais sur Roche-Bois.

Je suis cependant convaincu que nous avons pu contribuer à améliorer le regard des citoyens des autres régions de notre République sur Roche-Bois, et cela avec le soutien de ceux qui ont toujours cru en nous et nous ont soutenus.

Je tiens surtout à exprimer toute ma reconnaissance à la National Social Inclusion Foundation, qui est le principal soutien de toute notre action d’intégration sociale et de combat contre la pauvreté à Roche-Bois et dans les quartiers avoisinants.
Notre action est principalement axée sur une approche globale, c’est-à-dire que nous essayons d’intégrer dans notre démarche les enfants au niveau préprimaire jusqu’au secondaire incluant leurs parents. Nous essayons surtout de les ramener dans le système d’éducation nationale même si nous estimons que ce système a ses faiblesses et nécessite une amélioration. Mais comme le dit l’anglais : « We comply and complain. » Sans le support de la NSIF, nous n’aurions pas pu accomplir ce que nous avons accompli.

Un message qui vous tient à cœur…

Notre confiance dans la jeunesse et la relève et cela nous a incités à choisir comme thème pour le 30e anniversaire Enn selebrasion pou lavenir” Le projet Zenes Konekte et les recommandations du rapport du sociologue Ibrahim Koodoruth vont aussi dans ce sens.

 

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