LETTRE OUVERTE : À ceux qui prétendent nous diriger… Tout n’est pas acceptable en politique, sachons nous indigner et nous réinventer !

DANIELLE TURNER

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Pour Leve Fam

Nous sommes aujourd’hui à vivre dans un clair-obscur politique qui pourrait davantage se décrire comme une «République monarchique». Antithétique ou Schizophrénique ? À vous de choisir. Officiellement c’est : ‘La République de Maurice’. Bienvenue au pays où tout et son contraire sont devenus le modus operandi politique !

Il semblerait que le papa-piti soit devenu notre philosophie politique et cela de quelque côté que l’on se tourne. Pour être le Premier ministrable, le passage obligé est le suivant : être Vaish et être l’héritier de sang du leader. Pour les autres hautes fonctions, le premier critère est toujours parental, être fille ou fils de leader, Vaish ou non-Vaish, mais on doit obligatoirement représenter un groupe ethnique. Voilà pour la première sélection.

Ce n’est qu’après que les autres pourront être alignés et considérés pour les différents postes à pourvoir selon une démographie ethnique, critère principal pour l’allocation des ‘tickets’ aux candidats pour une élection.

En 1992, dans un grand élan de décolonisation, nous disait-on, la Constitution de 1968 fut transformée avec la volonté affichée de ne rien changer du fond mais tout en retouchant la forme. C’est ainsi que ces messieurs biffèrent Gouverneur Général pour y inscrire Président de la République dans la Constitution et crièrent « Vive la République ! ».

Mais, ce faisant, rien n’a été fait pour donner à cette république les structures nécessaires pour fonctionner comme une vraie république. On avait enlevé au système de 1967 ses garde-fous sans réellement en créer d’autres pour servir la nouvelle république.

En faisant du dit système mis en place pour notre indépendance une république, on créait un hybride incapable de satisfaire un fonctionnement républicain. 1992 donna naissance à une république bancale. D’autres diront bananière. Au profit de qui ?

Ce coup constitutionnel enlevait au petit peuple le droit de recourir au Gouverneur général pour ce qu’il estimait être une injustice. Mais le recours au Privy Council était maintenu, permettant à ceux qui ont suffisamment d’argent de pouvoir y chercher recours et justice.

La question à n’avoir jamais été abordée au sein de cette république est la sous-représentativité de la femme aux élections. Cela ne semble pas soulever beaucoup de questions. Il semblerait que tous ou presque ont décidé de faire l’impasse sur le sujet, surtout au sein des partis politiques dit mainstream.

Dans un pays où la femme fait plus de la moitié de la population, on en est encore à faire de la représentation féminine une question insignifiante et négligeable ‑ qu’on renvoie toujours à plus tard. Pour se donner bonne conscience, on offre quelques ‘tickets’ et on demande aux femmes de comprendre, mieux, d’être raisonnables. Beaucoup ont même intériorisé le fait que c’est normal que les femmes soient sacrifiées lors des élections.

Cette sous-représentativité – le juge Albie Sachs la définit comme étant un « gross democratic deficit », – ne semble pas gêner nos leaders politiques. Pire, ils montrent ouvertement leur dédain envers cette cause qui, au contraire, aurait dû retenir toute leur attention. Ils parlent de realpolitik, et donc la parité et la justice ne font pas partie de leur priorité.

Leve Fam, qui se réclame des mouvements progressistes, ne peut que déplorer et condamner fortement cette manière de procéder, et qui perdure dans notre pays. C’est également dans cette optique et en alignement avec notre philosophie progressiste que nous dénonçons publiquement le manque de respect qui prévaut au sein des partis quand il s’agira de distribuer des tickets.

Cette démarche politique de sacrifier les femmes sur l’autel des alliances est en contradiction avec un contrat social qui aurait pour but de réunifier le peuple à ses dirigeants. Cette politique du refus de considérer plus de la moitié de l’électorat mauricien – c’est-à-dire la femme – nous semble être irréconciliable avec l’idée de la démocratie que les différents partis prétendent défendre.

C’est dans cette optique que nous saluons le courage politique dont a fait preuve madame Sheila Bunwaree en démissionnant de son parti pour être cohérente avec son engagement pour une représentation paritaire des femmes aux élections. Cet engagement politique, Sheila Bunwaree le mène au niveau national, régional et international.

Plus choquante a été l’attitude de Mme Navarre-Marie, ancienne ministre de la Femme, qui a trouvé normal que : « Li vre pou dir ki kan ena enn lalians les premiers sacrifiés sont les femmes ». De la pure démagogie.

Nous invitons aussi les autres associations, qui se disent militantes de la cause de la femme, à ne pas se taire devant un tel comportement. Se taire, c’est non seulement se rendre coupable mais ce silence devient une approbation.

Ce n’est pas la peine de monter des dossiers, dire à l’international qu’on se bat pour une représentativité féminine accrue, qu’on milite pour les droits de la femme, pour l’égalité et j’en passe, et ensuite se taire quand les conventions sont bafouées. En jouant à celles qui n’entendent pas, ne voient pas et ne dénoncent pas, vous desservez la cause.

Leve Fam demande aux représentants des partis politiques, siégeant au sein de l’Assemblée nationale de cesser de nous rabâcher la sempiternelle chanson du « on fera des changements après les élections ».

Nous considérons comme une excuse fallacieuse la demande d’une majorité de trois quarts, pour pouvoir changer la Constitution, afin de permettre une représentativité paritaire de la femme. Que diriez-vous si les femmes vous disaient qu’elles vont attendre que vous soyez au Parlement – mais qu’en attendant elles ne vont pas voter pour les partis qui refusent d’accorder la parité dans le partage des tickets ?

Faut-il impérativement que les partis politiques attendent un changement constitutionnel pour accorder plus de place aux femmes ? C’est quoi cette logique ? Où est votre engagement en tant que parti pour plus de parité, pour rétablir la justice et le respect envers les femmes ? Faut-il amender la Constitution pour vous permettre d’agir ? Et vous prétendez défendre la démocratie ?

Tout comme il n’y a pas forcément besoin d’une majorité de trois quarts pour permettre que la dénomination ethnique ne figure plus sur la Declaration of Candidate Nomination Form. Il y a qu’à amender la Representation of People Act et voter une Election Act. Car l’obligation de déclarer son ethnicité pour être candidat à une élection générale ne se trouve pas dans le Main Body de la Constitution.

Pour que la bêtise arrête de faire école, Leve Fam invite ceux-là mêmes qui prétendent nous diriger de voir ce qui se fait dans d’autres pays tels que l’Inde, Le Kenya, la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande. Tous pays du Commonwealth, ayant eu comme nous un passé colonial.

Dans ces pays, la représentativité de la femme est assurée pour les élections parce qu’ils ont eu la volonté politique. Ils ont voté une Election Act. L’adoption d’une Election Act, c’est l’ossature pour une démocratie libérée de ses vestiges coloniaux. Cela nous affranchirait réellement et nous permettrait de prendre notre destin politique en main.

Nous sommes toujours à conduire les élections d’après la réforme électorale de Banwell datant de 1966. Cette réforme électorale est antérieure à notre Constitution, qui, elle, a été écrite par S. De Smith en 1967 et adoptée en 1968 par la première assise de notre assemblée législative indépendante. Le Premier ministre était, Sir Seewoosagur Ramgoolam et le leader de l’opposition, Sir Gaëtan Duval. Le peuple mauricien avait voté pour l’indépendance avant même que ses dirigeants endossent au Parlement la Constitution d’une île Maurice indépendante.

Donc, techniquement, la Constitution n’est absolument pas liée à la tenue des élections. Et pour changer notre système électoral, nul besoin d’amender la Constitution. Faire croire le contraire, c’est vouloir maintenir le statu quo et refréner l’élan démocratique. Car, faut-il le préciser, les élections sont régies par la Representation Of The People Act datant, elle, du 16 août 1958 et amendée à plusieurs reprises pour le besoin spécifique des élections.

Une Election Act, elle, nous permettrait de revoir tout le fonctionnement d’une élection : avant, durant et après. Cela non seulement par rapport à la représentativité féminine mais aussi concernant les referendums, le recours à la révocation d’un député, la possibilité d’avoir un Electoral Court pour les litiges, contestations et autres.

Il n’est pas nécessaire de revoir et d’amender la Constitution – comme avancé par certains – pour révoquer un député si le pays a une Election Act. Par contre, si nous gardons la même Constitution en y apportant qu’un amendement pour pouvoir révoquer un député, cela risque de conduire le pays vers une instabilité certaine.

Selon notre système électoral, nous n’élisons pas un Premier ministre, nous élisons un député qui est ensuite nommé Premier ministre. Imaginez donc un amendement voté aux trois quarts de l’Assemblée nationale afin de pouvoir révoquer un député.

Cet amendement nous permettrait de demander la révocation du député qui, éventuellement, a aussi été nommé aux fonctions de Premier ministre. Être Premier ministre ne se fait pas de facto car d’abord il lui faut obtenir son investiture en tant que député. Si le prétendant n’est pas élu en tant que député, il ne peut prétendre au portefeuille premierministériel. Ne pas envisager que le Premier ministre est d’abord un député, c’est préparer un terreau pour un possible coup d’État.

Par contre, sans même toucher à la Constitution, sans même avoir une majorité de trois quarts un gouvernement peut faire voter une Election Act avec une simple majorité. Cette loi permettrait de dépoussiérer notre système électoral, permettre la parité, rendre possibles des referendums, obliger les députés à respecter leurs engagements auprès de l’électorat et nous permettre d’en finir avec le communalisme scientifique.

Ce sera aussi la possibilité de permettre une vraie représentativité proportionnelle de la société civile au Parlement et ainsi donner naissance à une nouvelle ère politique. Ce serait une vraie réforme, il s’agit d’en avoir la volonté.

 

 

 

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