« Though the problems of the world are increasingly complex the solutions remain embarrassingly simple » (Bill Mollison)
ASHVEEN KHEMRAZ
(Le P’tit fermier)
Être vacher à Maurice en 2021 peut sembler vaguement bucolique ou tout simplement incongru. Pourtant, il s’agit d’un marché de 4 milliards de roupies englouti quasi in toto en importation alors qu’il n’y a pas plus de 50 ans notre pays produisait du lait en grande quantité grâce aux particuliers, entre autres, pour satisfaire entièrement le marché local. Nous importons désormais quelque 21 millions de litres de lait et de crème par an et 6 millions de kilos de beurre, ghee, fromage (CSO – 2018). Il est question d’une opportunité en vue de soulager le déficit commercial tout en restituant à la société son moyen de subsistance et de participer à la résilience économique. Le défi est de taille et les perspectives excitantes.
Nous abordons l’ère de l’agro-écologie intensive, c’est-à-dire celle d’une agriculture augmentée non par la technologie mécanique ou chimique mais par la connaissance des symbioses naturelles. Une phase de déconstruction sera nécessaire : la révision des réglementations et contraintes qui pèsent lourd sur le développement de la filière (comme les mesures de biosécurité qui paralysent l’importation de caprins laitiers par exemple, un marché niche à forte valeur ajoutée ou l’octroi des permis d’exploitation), la mise à jour du service vétérinaire, le contrôle d’une urbanisation débridée et d’une politique fiscale inhibitive pour le secteur entre autres. Ensuite une phase constructive de formation et de transfert d’expertise, de planification de l’occupation des terres arables et d’un plan d’ensemble de valorisation des produits du terroir.
Bien sûr, l’élevage aujourd’hui est très controversé, notamment sur le plan écologique. Mais il s’agit bien plus de l’élevage intensif où la surconcentration de déchets rend difficiles tant leur intégration que leur valorisation dans une économie circulaire. Malgré le débat véganiste, il faut bien comprendre que la suppression de l’élevage déclenche une réaction en chaîne : raréfaction des engrais biologiques utiles à la culture maraichère sans intrants chimiques et disparition de la laiterie fraiche (lait, beurre, lait caillé, ghee) garante de la flore microbienne (microbiote, disent les biologistes) indispensable au bon déroulement de la digestion. L’Ayurvéda fait état de deux termes pour signifier la maladie, Roga et Nirama, le dernier se traduisant par non-digéré). Aujourd’hui, l’alimentation version révolution verte est pointée du doigt comme cause de la panoplie de maladies incluant celles dites de civilisation (cancers, infertilité, perturbations endocriniennes etc.), le diabète ou l’hypertension qui pèsent lourd sur le budget santé de l’État.
Dans son livre Big Farms Make Big Flu, le biologiste Rob Wallace s’est attelé à démontrer la relation étroite, pour ne pas dire causale, entre les élevages intensifs et les maladies émergentes, dont le SARS-COV. Les élevages industriels sont autant de foyers d’incubation de nouveaux virus (H1N1, vache folle, MERS, SARS…) et les chaînes d’approvisionnement alimentaire très longues, en sus d’être énergivores et carbonées, en accélèrent la transmission. Le Professeur Sansonetti, épidémiologiste, dans sa conférence au collège de France au tout début du confinement 2020, faisait remarquer la correspondance exacte entre la circulation du Coronavirus et les réseaux logistiques internationaux. Il faut donc penser à raccourcir les chaînes d’approvisionnement, ce qui implique la nécessité de multiplier le nombre de petites exploitations.
Un potentiel économique non négligeable, avec une demande croissante de plus en plus sophistiquée de produits à forte valeur ajoutée (la consommation de fromage s’est accrue de 300% ces trois dernières années), pourrait donc bénéficier à toute une population de petits éleveurs. Ce qui contribue ainsi à une véritable résilience microéconomique, à progresser vers la souveraineté alimentaire ainsi qu’à une amélioration de la santé publique par le double effet de la consolidation du microbiote intestinal et de l’assainissement des sols maraichers (par le remplacement, au moins partiel, des intrants chimiques par le fumier biologique). Notons au passage qu’un élément peu évoqué dans le débat aujourd’hui est celui de l’incidence des intrants chimiques sur la baisse de perméabilité des sols sous culture cannière ou autre conduisant aux récents phénomènes d’accumulation d’eau qui déclenchent des flash floods.
Une note introspective pour clore, tout en ouvrant la réflexion. La part d’humanisme attendue de tout un chacun aurait dû trouver dans un pays riche de cultures différentes un splendide terreau. Il existe dans les traditions abrahamiques (juive, chrétienne et islamique) un motif transversal qui est celui du dernier appel. Notre relation à la terre s’est construite dans le climat déshumanisant de l’esclavage, des inégalités et de l’exploitation écocide qui pourrait expliquer les désaffections continues. Nous ne pouvons pas pour autant faire l’économie d’une réconciliation sauf à faire de cette île une dystopie à force de smart safe cities et de Malls. La nouvelle normalité sans langue de bois se nomme l’âge d’or ou l’âge de vérité pour les hindous. Un grand chantier se profile. Avis aux coupeurs de rubans…