Tout n’est pas perdu. C’est le sentiment qui anime beaucoup de personnes après ce qui s’est passé devant le juge de la Cour suprême ce vendredi. Après avoir suivi les travaux parlementaires durant ces dernières semaines, d’aucuns auraient pu tomber dans la déprime et le désespoir. La grande question était de savoir jusqu’ou peut aller le Speaker. Se prévalant de certaines dispositions des Standing Orders qui, si elles sont utilisées à bon escient, peuvent lui donner les pouvoirs nécessaires pour agir en toute liberté et en toute indépendance, il opprime et censure sans retenue les parlementaires de l’opposition, qu’il traite visiblement comme ses adversaires politiques.
On a vu comment des termes dont il ne maîtrise pas tout à fait le sens, comme l’expression « dilapidation des fonds », sont déclarées « unparliamentary », alors que « waste of funds », qui veut dire la même chose, est accepté. Cela nous rappelle la triste époque de la censure de la presse, durant laquelle les copies des pages de journaux devaient être visées par des officiers de police aux Casernes centrales. Ces derniers avaient le pouvoir de supprimer systématiquement des mots considérés comme trop compliqués. Le problème est qu’aucun ruling du Speaker ne peut être contesté.
De plus, le Parlement mauricien est le seul au monde où le Speaker peut quitter son siège pour venir jusqu’à l’extrémité de sa plateforme afin de menacer des parlementaires ou intimer le Sergeant at Arms « carry him away ». On n’a jamais vu ça ni au Parlement britannique, ni en France, ni en Afrique du Sud, où les travaux parlementaires peuvent être suivis à la télévision ou sur Internet. Dieu sait combien la présidence des débats en Afrique du Sud est compliquée. La patience du Speaker sud-africain est impressionnante face à un parlementaire de la trempe de Julius Melema.
À Maurice, on a l’impression que non seulement le Speaker se considère comme infaillible, mais également dispose d’un pouvoir absolu sur les propos tenus aussi bien dans l’hémicycle qu’en dehors du Parlement. La suspension d’Arvin Boolell, mardi dernier, le jour où il a repris son siège après une longue suspension, aura-t-elle été une décision de trop ? Il est reproché à Arvin Boolell d’avoir tenu des propos qui n’ont pas plus au Speaker sur les ondes d’une radio privée, donc en dehors du Parlement. Le leader du MMM, Paul Bérenger, avait déjà tiré la sonnette d’alarme la semaine dernière en mettant en garde le Speaker contre toute velléité de suspension d’Arvin Boolell. Le Speaker a persisté. La réaction du chef de file des parlementaires du PTr d’avoir recours à une injonction s’inscrivait dans cette logique.
La décision du juge de la Cour suprême de lui permettre de reprendre son siège au Parlement en attendant qu’il entre un Main Case en Cour suprême est accueillie avec soulagement par tous les amoureux de la démocratie. C’est une victoire de l’Etat de droit. Arvin Boolell peut s’en réjouir. Tout en affirmant qu’il accueille la décision de la Cour suprême avec humilité, il considère que « cette suspension n’était pas juste ». Poursuivant : « C’est une leçon au Speaker, qui doit avoir de la retenue. C’est une claque sonore. » Dans ce combat, Paul Bérenger, qui l’a défendu, en a payé le prix fort. Il a été suspendu pour les cinq prochaines séances.
La Cour suprême a été à la hauteur de sa réputation d’être une institution qui peut s’ériger en rempart contre tout abus de pouvoir. Cette décision montre également l’importance de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Un juste équilibre entre les trois piliers de l’Etat permet le bon fonctionnement de la démocratie et constitue une garantie contre tout glissement vers la dictature. C’est également la raison pour laquelle il faut militer pour l’indépendance du DPP.
L’ancienne ministre Sheila Bappoo lance, pour sa part, un pavé dans la mare en affirmant, dans une interview accordée au Mauricien, que « si quelqu’un a fauté, il doit présenter des excuses inconditionnelles à Arvin Boolell ». Le prochain épisode est attendu avec impatience mardi prochain pour voir la réaction des principaux concernés en présence d’Arvin Boolell, qui retrouvera son siège.