Bon sang, quand l’humanité comprendra-t-elle qu’elle est au bord du gouffre, asphyxiée par un système obsolète en totale incompatibilité avec les défis du jour, et dont le plus urgent est d’ordre environnemental ? Car la question de l’environnement, aujourd’hui, n’est plus la même qu’au début du siècle dernier, où, pour être « en phase avec la nature », il suffisait de s’octroyer un petit espace vert dans sa propriété pour « passer un peu de bon temps » au milieu d’une « nature apaisante », le petit doigt faussement perché au-dessus d’une tasse de thé et à faire la conversation à quelques voisins pressés de partager les derniers ragots de la semaine. Non, aujourd’hui, l’environnement a pris une tout autre tournure, plus dramatique, plus dangereuse. Ce qui ne nous empêche pas de continuer de faire marcher nos bouilloires.
Face aux enjeux climatiques, dont la pertinence semble de plus en plus nous échapper, nous peinons toujours à trouver des solutions. Non pas que celles-ci viendraient à manquer (au contraire) – car nous savons pertinemment ce qu’il nous faudrait faire pour enrayer l’escalade climatique –, mais parce que ces solutions viendraient troubler l’ordre établi, bousculer nos codes sociétaux, bouleverser notre quotidien… Aussi continue-t-on de chercher celles préservant le statu quo, nous permettant de conserver nos acquis, alors que, selon toute logique, nous ne les trouverons jamais à temps.
Qu’à cela ne tienne, notre système regorge de moyens pour nous redonner espoir, et surtout bonne conscience, afin de prolonger le bail de notre folie collective. Notre incrédulité maladive nous aura ainsi poussés à accepter de plonger dans cette ineptie appelée « capitalisme vert ». En d’autres termes une illusion (car c’en est une) visant à distiller des valeurs propres aux écosystèmes et à la biodiversité dans notre système de marché de sorte que ce dernier continue de générer assez de profits que pour s’auto-alimenter. Ce faisant, les chemins peuvent varier, allant de l’inclusion de procédés moins polluants ou moins énergivores dans nos activités « classiques » aux « éco-activités » tendant vers la protection de l’environnement.
Mais balivernes que tout cela; de la « poudre de perlimpinpin », aurait dit le président français. Car cette démarche semble-t-il louable ne l’est en finalité qu’en apparence. Engager la responsabilité sociétale des entreprises ne fera en rien avancer le schmilblick, et que ce modèle économique vise ou non à produire des biens et des services de manière durable ne changera jamais ses fondamentaux, à savoir une production accrue de richesses (virtuelles donc) réalisée au détriment de nos ressources naturelles (bien tangibles et palpables, elles). Qui plus est, croire que l’appareil politique ou les grandes entreprises sont les seules à y trouver un quelconque intérêt relèverait du pur déni, car nous sommes tous logés à la même enseigne. Comme le prouve d’ailleurs encore la récente décision de l’admirable peuple suisse de rejeter une initiative écologiste visant pourtant simplement à inscrire dans leur Constitution le respect des limites naturelles planétaires.
Il faut bien admettre que nous sommes tous des « faux amis » de la planète, car au final, aucun changement – même le plus anodin – ne nous conviendra. Ce qui explique que nous continuions de laisser impunément les grands conglomérats agir à leur guise, et ce, d’autant que se multiplient leurs « plans » d’engagements environnementaux. Ainsi, lorsque Total Energies, par exemple (mais il en est de même pour les autres compagnies du secteur), n’octroie qu’un faible pourcentage de ses investissements dans le développement d’énergies propres, contre une contribution de 90% des énergies fossiles dans ses activités, comment croire en sa « sincérité climatique » ? Et il en est bien entendu de même pour l’immense majorité des entreprises ayant les mêmes prétentions vertes, de sorte qu’aujourd’hui, le « greenwashing » soit devenu une norme quasi-institutionnalisée.
Le fait est que, que ce soit au niveau entrepreneurial ou individuel, nos visions courtermistes auront toujours l’ascendance sur toute autre considération tant que le danger n’apparaîtra pas plus immédiat, plus tangible. Qu’importe que se multiplient les scénarios catastrophes, et que les relevés scientifiques se fassent de plus en plus précis, pour nous, la chose est entendue : il ne s’agit jamais que de scénarios, et donc de banales histoires, comme si leur véracité restait encore à démontrer. Mais à force de croire aux faux amis, un beau matin, nous pourrions bien nous retrouver aux portes de l’enfer. Ah ben non au fait, nous y sommes déjà  !
Michel Jourdan