La bataille électorale sera rude et l’issue incertaine. C’est ce que prévoit Faizal Jeeroburkhan, membre fondateur de Think Mauritius. L’observateur politique et social ne croit pas que la partielle au No 10 aura lieu comme annoncé. Se livrant sur les enjeux politiques actuels, il trouve que « l’alliance gouvernementale tient bien la route avec les nombreuses mesures populistes », alors que l’opposition, elle, « pilotée par deux vieux routiers de la politique locale, après de longs moments de tergiversation, a finalement retrouvé sa vitesse de croisière ».
Quant à l’opposition extraparlementaire, « bien que mieux préparée en termes de programme et d’engagement, elle n’arrive pas à s’imposer ». Faizal Jeeroburkhan souhaite que la date des élections soit déterminée par l’ESC bien en avance pour accorder une chance égale aux partis de se préparer.
La partielle à Montagne-Blanche/GRSE (No 10) a été annoncée pour le 9 octobre. Qu’en pensez-vous ?
Je pense comme beaucoup de citoyens que c’est une tactique sournoise qu’utilise le gouvernement pour créer la confusion et le désarroi dans le camp de l’opposition. D’abord, cette date coïncide avec la cérémonie du Durga Puja, une fête importante pour la communauté hindoue et que le gouvernement devrait respecter pour ne pas froisser cette communauté à quelques mois des législatives.
Ensuite, comme le Parlement sera automatiquement dissous le 21 novembre, le député élu lors de cette partielle n’aurait qu’un mandat d’environ un mois et demi pour siéger à l’Assemblée. L’alliance au pouvoir fera exactement comme il a fait en 2019 pour aller directement aux élections générales. Les députés de l’opposition ne se laisseront pas entraîner dans ce jeu malsain. Ils ont déjà signifié leur intention de ne pas y participer. Il serait ridicule de dépenser quelque Rs 70 millions uniquement pour le plaisir d’un leader politique fougueux et ses acolytes.
Le budget préélectoral se tiendra le 7 juin. Qu’auriez-vous aimé voir dans ce budget en priorité ?
Le budget doit avant tout se pencher sur le redressement et l’amélioration de l’économie. Le gouvernement doit venir avec des propositions efficientes et innovantes pour
améliorer le pouvoir d’achat;
réduire les investissements non productifs et augmenter les investissements productifs; promouvoir les PME et les micro-entreprises;
ramener la dette publique à de justes proportions;
équilibrer la balance des paiements;
maîtrser les dépenses publiques et
augmenter les revenus de l’État à travers les exportations, le tourisme, le secteur financier, l’économie bleue, l’économie circulaire, etc.
Il faut des mesures urgentes et fermes pour le développement du secteur agricole; l’amélioration de la sécurité alimentaire; le freinage de la fuite des jeunes cerveaux; la transformation en profondeur du système éducatif; la formation professionnelle appropriée pour la main-d’œuvre; l’amélioration des services hospitaliers; la protection de notre environnement et de notre biodiversité; une meilleure utilisation de nos ressources en eau, de nos énergies renouvelables et de nos déchets domestiques; la réduction de la congestion routière; la digitalisation des services publics; le renforcement de la recherche, le développement et l’innovation technologique; des mesures contre la crise climatique et le vieillissement de la population… Finalement, le budget devrait mener un combat contre la pauvreté, la drogue, l’insécurité, les jeux de hasard et les dettes ménagères.
Votre analyse de l’échiquier politique à ce stade ?
L’échiquier politique est déjà en ébullition après les rassemblements du 1er mai. La bataille électorale sera rude et l’issue incertaine. L’alliance gouvernementale tient bien la route avec les nombreuses mesures populistes. Les fissures et les dissensions apparaîtront inévitablement au moment de la répartition des tickets et des postes à responsabilités.
Des sommes faramineuses sont injectées pour attirer les votes. Les jeunes, les vieux et les travailleurs au bas de l’échelle salariale sont particulièrement convoités. Les grands projets d’infrastructures, de logements et de services publics sont en voie d’être complétés.
Du côté de l’opposition, pilotée par deux vieux routiers de la politique locale, après de longs moments de tergiversation, elle a finalement retrouvé sa vitesse de croisière. L’opposition a réuni une foule honorable le 1er mai, malgré le départ inattendu du PMSD et les bâtons dans les roues.
Ils cherchent à capitaliser à fond sur le mécontentement populaire face à la cherté de la vie, la mauvaise gouvernance et les nombreux scandales. L’opposition extraparlementaire, mieux préparée en termes de programme et d’engagement, n’arrive pas à s’imposer. Les efforts déployés par Rezistans ek Alternativ pour un front commun de l’opposition n’ont pas abouti.
Quelles sont les mesures électorales qui seraient les plus pertinentes pour vous ?
Notre système électoral souffre de plusieurs faiblesses : un manque de transparence, l’influence démesurée de l’argent, les promesses électorales irréalistes, les médias tendancieux, la désinformation, les débats superficiels, les attaques personnelles, la bipolarisation, etc. Il n’y a pratiquement pas de contrôle sur le statut et le financement des partis politiques.
Pour corriger ces faiblesses, il faut que l’ESC et l’EBC soient indépendantes et dotées de plus de pouvoirs exécutifs. Les partis politiques doivent être dûment enregistrés auprès du Registrar of Associations et de l’Electoral Supervisory Commission, qui doit assurer un contrôle strict des finances et des financements des partis.
Il faut éliminer l’abus des ressources de l’État pendant la campagne électorale et pendant les élections. La date des élections doit être déterminée par l’ESC bien en avance pour donner la chance égale aux partis pour se préparer. L’Electoral Boundaries Commission doit revoir les circonscriptions à intervalles réguliers pour assurer un nombre équitable d’électeurs dans chaque circonscription.
Votre opinion sur le projet de loi sur le financement politique ?
Le projet de loi sur le financement politique est indispensable dans le contexte actuel, où cela se fait d’une façon opaque et occulte. Il servira à instaurer plus de transparence dans le financement des partis politiques, à limiter les financements occultes et à renforcer la confiance du public dans le processus politique.
Il servirait aussi à établir un Level Playing Field, où les petits partis ne seront pas désavantagés par rapport aux grands. Il pourrait combattre la fraude et la corruption, de même que l’influence des grands conglomérats sur la campagne électorale. Cependant, le bon fonctionnement de ce projet dépend de l’indépendance et la compétence des institutions responsables de l’application des règlements.
Votre analyse de la situation économique et sociale du pays ?
Malgré la relance post-Covid, la situation économique et sociale est plutôt inquiétante. Le taux de croissance est en baisse (7,1% en 2023, contre 8,9% en 2022); la dette publique est en hausse, soit Rs 524,7 milliards (78,3% du PIB) au 31 mars 2024 (Rs 12,5 milliards de plus pour les trois premiers mois de l’année); la balance commerciale était déficitaire de plus de Rs 200 milliards en 2023, avec des exportations autour de Rs 110 milliards et des importations de près de Rs 315 milliards. Il y a eu une contraction de l’exportation de 10,5% en 2023 et un recul du textile. L’inflation, qui était de 6-7% en 2023, sera en hausse en 2024 en raison des augmentations de salaire et des pensions, du fret, etc. Et cela entraînera une dépréciation persistante de la roupie et une hausse du coût de la vie.
Des secteurs clés de l’économie peinent à démarrer : l’économie verte/bleue, la production agricole et la sécurité alimentaire, les PME, les micro-entreprises et les coopératives; 90% de l’investissement étranger va dans l’immobilier – secteur improductif – tandis que les investissements publics se cantonnent sur les grands projets d’infrastructures, souvent aussi improductifs. Nous constatons aussi une baisse de la productivité de la main-d’œuvre liée aux mesures fer labous dou.
Sur le plan social, la hausse du salaire minimum et de la pension de vieillesse a vite été engloutie par l’augmentation incontrôlée du coût de la vie. Malgré l’apparence de richesses sur nos routes et dans les supermarchés, la pauvreté gagne insidieusement du terrain, la drogue fait des ravages parmi les jeunes et les vieilles personnes deviennent des proies faciles des drogués.
L’exclusion et la paupérisation s’accentuent dans certains quartiers. L’endettement ménager est en hausse, les jeux de hasard font rêver des milliers de familles, tout en les appauvrissant. L’éducation, elle, est une faillite totale et n’aide pas les pauvres et les démunis à se réhabiliter et à gravir l’échelle sociale.
(Propos recueillis par Sharon Ah Fat)