Dr Damien Steciuk (Head Medical services de l’APSA) : «Le diabète n’est pas une maladie du sucre mais du cœur et des vaisseaux »

L’Association pour la Promotion de la Santé (APSA) a récemment investi Rs 1 million dans une nouvelle caméra rétinienne non-mydriatique NCF 700 pour le dépistage de la rétinopathie diabétique. Il s’agit d’un appareil intégrant une caméra de très haute résolution et une intelligence artificielle qui permet de dépister n’importe quelle pathologie rétinienne sans une dilatation de la pupille.

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Dans un entretien avec Le Mauricien, le Dr Damien Steciuk, médecin généraliste et responsable des services médicaux de l’APSA, affirme que « cette machine est dix fois plus performante que les meilleurs ophtalmologues du monde ». Cependant, en cas de détection d’une rétinopathie, c’est la responsabilité des patients de voir l’ophtalmologue qui est seul habilité à prescrire un traitement.  Avec la présentation de cet équipement officiel au ministère, l’APSA lance une nouvelle campagne de sensibilisation ayant pour thème “Konn ou risk. Konn ou solision”, dans le cadre de sa lutte contre le diabète.

Quel est l’intérêt de ce nouvel équipement en ce qui concerne la rétinopathie diabétique ?

Il s’agit d’une caméra rétinienne numérique de très haute résolution qui permet d’avoir une image de haute résolution de la rétine. L’intérêt de son utilisation, c’est qu’on n’a pas besoin de prendre des gouttes pour dilater la pupille et avoir une image.

Vous arrivez, vous mettez votre tête devant la caméra, elle auto-cible l’œil et prend une photo. On va voir la rétine qui se situe à l’arrière de l’œil. Il s’agit d’une peau. Elle peut être touchée lorsqu’on a le diabète. Là où il y a le sang, le diabète peut faire des dégâts. Le diabète n’est pas une maladie du sucre mais du cœur et des vaisseaux. Cette peau qui a beaucoup de vaisseaux sanguins va pouvoir être touchée par le diabète.

Quand il y a beaucoup de sucre, il y a un peu de liquide qui va passer du vaisseau dans la rétine et parfois casser ces petits vaisseaux. Quand ils se cassent, ils saignent. On ne saigne jamais indéfiniment. Le corps va créer de nouveaux vaisseaux et ces neo-vaisseaux sont encore plus fragiles que les autres. Ils se cassent de nouveau et créent une hémorragie et ainsi de suite. Il y a alors du sang là où la peau est censée être et elle se décolle. C’est ce qu’on appelle un décollement de la rétine. Il n’y a pas de symptôme.

En l’absence d’utilisation d’une substance mydriatique pour dilater la pupille, qu’est-ce qui permet d’avoir une image complète de la rétine ? Est-ce un angle élargi de la caméra ?

Quand nous faisons un examen ophtalmologique, nous avons besoin de voir toute la rétine. Ce que nous faisons, c’est un dépistage et l’image est assez précise pour voir s’il y a des signes d’une rétinopathie. Si tel est le cas, nous envoyons le patient chez l’ophtalmologue. Vous avez le temps de prendre rendez-vous. Il dilatera la pupille pour mener des examens plus approfondis. C’est hyperimportant de consulter son ophtalmologue.

La caméra a été développée par des producteurs d’appareil photo mais ce n’est pas tant elle qui est intéressante mais on va pouvoir intégrer l’image via une intelligence artificielle (IA). Cela apporte une valeur ajoutée. Nus aurons déjà l’interprétation de l’image faite par une machine qui reconnaît les signes assez développés de la rétinopathie diabétique. Mais cela restera du dépistage et de la responsabilité des patients de voir le médecin avec ces résultats si une pathologie rétinienne est dépistée.

D’où vient cette technologie ?

C’est une technologie développée par Eyenuk, EyeArt®System à Los Angeles, aux États-Unis. Elle a été validée par la Food and Drug Administration des États-Unis.

Quel est le coût des investissements ?

Nous avons investi Rs 1 million. À chaque fois que nous utiiserons cette intelligence artificielle, il y aura un coût. Nous avons avancé une somme pour un certain nombre de patients que nous allons dépister. C’est un logiciel qui est mis à jour au quotidien. C’est une technologie coûteuse.


Combien cela coûtera pour se faire dépister ?

Le coût du dépistage sera de Rs 800.

Quelle est la fiabilité de ces résultats ?

Quand vous allez voir un professeur d’ophtalmologie dans les universités américaines, le professeur se trompe une fois sur 10 000. Donc, 9 999 de fois, il aura raison. Beaucoup d’études le démontrent.

La machine se trompe une fois sur 100 000. Elle est dix fois plus performante que les meilleurs ophtalmologues du monde dans le dépistage. Nous allons  peut-être même en dépister trop car toutes les rétinopathies ne sont pas à dépister. Mais au moins, nous allons le savoir quand nous les constaterons.

Ensuite, c’est l’ophtalmologue qui décide si cela est à traiter ou pas. Nous faisons donc un travail de débrouillage. Nous avons demandé au Medical Council si cela posait problème. Il a dit que nous pouvons puisqu’il n’y a aucune loi qui l’interdit.

On n’a pas encore de lois concernant l’utilisation de l’IA…

Le ministère de la Santé se penche actuellement sur de nouvelles lois dont celle de la transplantation d’organes. L’intelligence artificielle sera également soumise à différentes lois. Je précise : c’est du dépistage. Cela n’implique pas d’énormes risques. Ce n’est pas un diagnostic même si dans certains pays, tel est le cas.

Pour l’IA qui fait du diagnostic ou des traitements, il faudra des cadres plus stricts. À l’avenir, nous pourrons espérer que des chirurgiens auront des lunettes qui les assisteront en chirurgie. Pour utiliser ces lunettes, il faudra forcément qu’elles soient validées par le ministère de la Santé.

Qui le patient consulte-t-il pour ce dépistage ?

N’importe quel médecin doit proposer un dépistage, qu’il soit un psychiatre, un pédiatre, un gynécologue ou un cardiologue… Quand nous voyons un patient avec du diabète, nous censés  lui dire qu’il faut faire vérifier ses yeux une fois par an.

N’importe quel médecin ou infirmier vous demandera de vous faire dépister du diabète au moins une fois par an. Je ne suis pas gynécologue mais je vous dis que les femmes doivent vérifier leurs seins une fois par an. C’est le travail de chaque médecin de prévenir certaines pathologies.

Un quart de la population de Maurice est diabétique, donc le risque d’une rétinopathie diabétique est là. C’est la première cause de cécité dans le monde.

Le lancement officiel aura lieu quand ?

Ce mercredi 8 novembre, il y aura une conférence de presse avec le ministre de la Santé, le Dr Kailash Jagutpal. Jeudi, nous aurons une conférence pour les médecins parce que nous aimerions que ce soit les médecins qui prescrivent le test de dépistage.

Je ferai une présentation de la rétinopathie diabétique d’un point de vue médical et mon collègue, le Dr Rémy Julienne, parlera de la partie ophtalmologique. Nous voulons démystifier cette pathologie pour dire que cela se traite. Aujourd’hui, il y a des traitements au laser qui marchent très et on a de très bons ophtalmologues à Maurice.

Est-ce que cela ne concerne que l’ophtalmologue ?

Le traitement doit être un traitement multidisciplinaire. Ce n’est pas que l’opthalmo qui prend en charge la rétinopathie diabétique. Il faut que le diabète soit bien équilibré. La médecine, c’est un sport d’équipe. C’est un message qui doit passer. Nous devons nous mettre en relation avec nos confrères cardiologue, néphrologue. Nous sommes censés travailler ensemble. Cela passe aussi par le nutritionniste, et le psychologue pour certains patients parce que ce n’est pas simple d’apprendre du jour au lendemain qu’on risque d’être aveugle.

Si le patient n’est pas traité en milieu hospitalier, est-ce que les médecins se mettent en relation ? Comment cela se passe-t-il dans le concret à Maurice ?

Comme le dit Lao Tseu, nous ne pouvons pas changer le monde mais nous pouvons  commencer par le changer. Pour l’instant, ce n’est pas encore tous les médecins qui travaillent ensemble mais on voit, de plus en plus facilement nos confrères lors des réunions. Le Medical Council a rendu obligatoires 12 points à comptabiliser sous forme de formation professionnelle continue, ce qui équivaut à 12 heures de conférence entre médecins par an. C’est une très bonne chose qui nous permet de nous voir et de communiquer.

De plus en plus,  nous allons vers cette médecine ou les dossiers médicaux seront partagés, ce qui évitera de répéter par exemple un traitement déjà mis en place. Il y aura ensuite une présentation du matériel et dépendant du temps, s’ils le veulent, nous ferons une petite image de leur œil.

Est-ce que là vous transmettez le dossier médical directement aux patients ?

Avec le dépistage, l’image est remise au patient. Le rapport, c’est le patient qui l’a. S’il me demande de contacter son ophtalmologue, je le fais. Je lui envoie un message ou je lui fais une lettre.

Est-ce que cela encourt des frais supplémentaires ?

Non. Nus pouvons vous référer à un ophtalmologue ou vous êtes libres de consulter votre ophtalmologue.

Propos recueillis par Munavvar Namdarkhan

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