Dominique Billon : « Il faut revaloriser et professionnaliser le métier de maçon à Maurice »

Dominique Billon, que Le Mauricien a rencontré cette semaine, est le Chief Executive Officer (CEO) de Kolos Cement Ltd. Il fait le point sur le prix du ciment sur le marché et estime qu’une hausse est inévitable pour plusieurs raisons, notamment le coût du transport maritime, en hausse constante, et la dépréciation de la roupie. Il est d’avis toutefois que cette augmentation n’aura pas un effet significatif sur les coûts de construction.
Dominique Billon était accompagné de Sean André, Sales and Marketing Manager de la compagnie. Tous deux font un plaidoyer pour la revalorisation et la professionnalisation du métier de maçon qui est à la base de toute entreprise de construction.

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On a assisté à une hausse de prix du ciment ces derniers temps. Est-ce que cette hausse affecte l’industrie de la construction ?
Le ciment est un élément important mais pas primordial dans le coût de la construction. On ne peut produire le ciment à Maurice. Il faut du calcaire pour cela, et il n’y en a pas dans une île volcanique. On peut y rajouter quelques éléments locaux, mais 90% du ciment doivent être importés. C’est un produit qui ne coûte pas grand-chose, même pas USD 100. En revanche, le coût du transport est très élevé. Sa proportion dans le coût du ciment est énorme.

La reprise de l’économie américaine a aspiré les ressources de transport. Ainsi, la demande est si forte sur le Pacifique que les bateaux disponibles pour l’océan Indien deviennent beaucoup plus rares. En fonction de la situation, le transport peut coûter plus cher que le ciment. Cela a commencé par la pénurie de conteneurs déjà en 2020 et s’est propagé avec le transport en vrac.

On observe dans certains ports tels que Los Angeles des temps d’attente des bateaux pour décharger de l’ordre de 30 jours. Pendant ce temps-là, ils ne naviguent pas et il faut donc des bateaux supplémentaires pour effectuer les transports.
La conséquence est que le prix du transport maritime en vrac a flambé. Il a été multiplié par trois dans certains cas. Le coût d’emmurage, soit le taux journalier des bateaux, est passé de moins de USD 10 000 à USB 30 000 actuellement. Le blocage du canal de Suez, qui a provoqué un dérèglement en matière de transport maritime, n’a pas aidé. Cette hausse se poursuit.

Est-ce que le taux de change y est aussi pour quelque chose ?
Alors que le taux de change avait connu une certaine stabilité depuis au moins 2013, la roupie s’est dépréciée graduellement par rapport au dollar depuis 2019. Le montant en roupies nécessaire pour acheter un dollar est passé de Rs 33 à 35, soit une hausse de + 6% dans un premier temps. En fin d’année 2020, le mouvement s’est accéléré pour atteindre Rs 39 roupies pour un dollar, soit une hausse supplémentaire de 11%.
Depuis début 2021, cela s’est amplifié pour atteindre en juillet un taux de Rs 43 le dollar, soit une hausse supplémentaire de 10%. Ainsi, depuis le 1er janvier 2020, notre coût d’achat du ciment a augmenté de 21% du fait de la dépréciation de la roupie par rapport au dollar.

Mais ce n’est pas tout, nous achetons aussi en euros une grande partie de nos pièces de rechange pour la maintenance de nos installations. Là aussi, la roupie s’est dépréciée, passant de Rs 39 l’euro fin 2019 à Rs 50 maintenant, soit une augmentation de 28%.

Quels sont les autres facteurs qui affectent le prix du ciment ?
Depuis 2018, le marché du ciment a connu des rebondissements importants qui ont tous concouru à la hausse du coût du ciment. Dès 2018, l’impact de la mise en place de la réglementation sur la désulfuration du mazout utilisé dans le transport maritime a mis de la pression sur les coûts de fret.
La hausse du coût de la tonne de CO2 et les pressions écologistes font que la production de ciment est de plus en plus mise en cause. Ainsi, la Chine qui était exportatrice de ciment jusqu’en 2018 est devenue depuis un net importateur de ciment en fermant massivement des capacités de production. Ce surplus de demande a mis de la tension sur les prix internationaux.

En 2020, la crise liée au Covid-19 a gelé toutes les économies. La question était alors de trouver les sources de production qui ne risquaient pas d’être fermées. Dès fin 2020, l’économie de la Chine est repartie alors que le monde était encore bloqué par le Covid-19. La demande de ciment est donc repartie à la hausse à destination principalement de la Chine.

Le transport du ciment et le taux de change ne sont pas les seuls soucis au cours des derniers mois. Ainsi, pour vendre nos pochettes de ciment, il nous faut bien évidemment du ciment, mais aussi des sacs vides. Ces sacs sont fabriqués à Dubaï et nous les faisons venir par conteneur. Comme pour tous les produits qui voyagent par conteneur, le prix de transport a plus que doublé. Mais le plus grave, c’est que nous avons connu en plus de graves difficultés pour, d’une part, trouver des conteneurs vides et, ensuite, des bateaux qui viennent à Maurice. Le résultat est que des sacs produits en avril ont été embarqués en mai et que, devant arriver au début de juin, ils n’arriveront que cette semaine avec quatre mois de retard.

En juin, nous avons donc trouvé un fournisseur supplémentaire à Durban afin de ne pas dépendre que du port de Dubaï pour alimenter Maurice. Les récents événements en Afrique du Sud ont provoqué la fermeture du port de Durban. Afin d’avoir assez de sacs pour continuer d’alimenter le marché mauricien en pochettes de ciment, nous avons été contraints de faire venir des sacs vides par avion. Ce seul voyage nous a coûté près de Rs 10 millions additionnelles. On connaît une période difficile. Nous avons des résultats qui ne s’effondrent pas totalement. Les volumes sont encore bons et compensent l’augmentation des coûts partiellement. Sans cela, on serait en perte.

Comment se présente la situation à Maurice ?
À Maurice, la consommation de ciment a été très soutenue en 2018, et surtout en 2019 avec les méga projets tels que Côte-d’Or et le métro léger. 2019 a ainsi été une année record en termes de consommation de ciment. Avant la pandémie, nous avions anticipé une contraction de 18% en 2020. Nous pensions que le confinement allait lourdement impacter les volumes vendus, mais à la reprise en juin, nous avons pu observer une reprise vigoureuse de l’activité. Tous les chantiers lancés avant la pandémie ont repris et tous les opérateurs ont voulu rattraper le retard pris. Par rapport à 2019, la baisse de l’activité a été contenue par rapport à ce qui était escompté.

La grande incertitude pour 2021 concernait la crise de confiance qui aurait pu faire chuter les volumes d’activité. Pour l’instant, cela ne s’est pas réalisé du fait, d’une part, des mesures de soutien introduites par le gouvernement, et d’autre part, de la bonne tenue des chantiers individuels.

Ce dernier point était assez inattendu et pourrait s’expliquer par la volonté de la population de mettre à l’abri leurs liquidités en les transformant en actifs fonciers. Ces bons volumes nous aident à absorber les hausses de nos coûts. La combinaison de tous ces facteurs internationaux et locaux a eu un impact majeur sur le prix de vente des pochettes.
Depuis début 2020, nous avons connu une hausse de nos coûts d’achat pour la part liée au dollar de 21%, à laquelle il faut ajouter l’impact de l’augmentation du coût du fret maritime pour plus de 15%. C’est donc une augmentation de nos coûts de plus de 36% que nous avons dû absorber. Pendant ce temps, notre prix public de vente a augmenté de 8% début 2020, soit il y a un an et demi, et 5% en juin de cette année. L’augmentation pratiquée sur la même période a donc été de 13% sur presque deux ans alors que nos coûts ont augmenté de 36%. Nous avons donc un différentiel de 23%.

Nous espérions que ces hausses de coût seraient passagères et c’est pourquoi nous avons repoussé au maximum leurs répercussions sur nos prix de ventes. Malheureusement, tout laisse présager que cette situation va perdurer tant à cause de la valorisation de la roupie face au dollar que du coût du fret maritime. Ce différentiel est intenable et nous devrons donc ajuster nos prix de vente.

Vous dites donc que vous envisagez une nouvelle hausse de prix ?
Nous importons notre matière première de l’Indonésie. Heureusement, que nous avons développé un partenariat avec le producteur indonésien qui est entré dans notre capital. Ce qui nous a permis de sécuriser, d’absorber une partie des coûts et de limiter les impacts. Nous avons fait ce qu’il fallait en termes de programme d’économie.

S’agissant du dollar, on a essayé de faire du Hedging pour se protéger de l’augmentation, ce qui nous a permis de tenir. On a dû faire une augmentation en juin. On sera obligé d’en faire une autre. On n’a plus de sécurité. On n’a plus les moyens d’absorber la hausse.

Une éventuelle hausse de prix ne risque-t-elle pas d’affecter les consommateurs locaux ?
On ne peut faire autrement. Le ciment dans une construction représente au mieux 10% des coûts. Une augmentation de 10% de prix n’aura pas d’impact significatif sur les coûts d’une construction. Pour donner un exemple, si on augmente de Rs 5 et qu’une personne a besoin de 2 000 sacs pour la construction de sa maison, l’impact sur son budget sera de Rs 10 000. Je dirais que la pénurie de fer de construction et de bois aurait plus d’impact, surtout lorsque le prix d’une tonne de ferraille passe de Rs 32 000 à Rs 52 000. Là aussi, il y a des problèmes de transport qui compliquent l’alimentation du marché.

Qu’en est-il de l’approvisionnement du marché ?
En ce qui concerne l’approvisionnement, ce n’est pas le ciment qui manque mais les bateaux. Mais le risque de pénurie est inexistant. Heureusement qu’on arrive à trouver de grands vraquiers. On n’a pas de problème pour apporter du ciment à Maurice. Ce sont les prix qui ont explosé.

Le gouvernement mise sur la construction pour relancer l’économie. Est-ce que cette stratégie est viable ?
L’impact de cette hausse de prix sur la construction ne devrait pas être significatif. J’ai entendu dire que la subvention de Rs 500 000 pour la construction d’une maison sera absorbée par la hausse de prix. Ce n’est pas juste. Il faut tenir en compte l’augmentation d’autres éléments dont le fer de construction, le bois. L’augmentation du prix de la main-d’œuvre est beaucoup plus importante que celle de prix des matériaux. Cela est dû probablement à la hausse du coût de la vie en général.

Je crois toutefois que la construction a un rôle important à jouer dans la relance de l’économie en raison de son effet multiplicateur. Énormément de choses sont liées à l’industrie de la construction. Par exemple, tout ce qui concerne la décoration, l’ameublement, l’entretien des espaces verts sans compter que les ouvriers associés à la construction dépensent dans le commerce en général. Ce n’est pas pour rien qu’on dit que lorsque la construction va, tout va.

Peut-on moderniser davantage l’industrie de la construction ?
Peut-être qu’au niveau normatif, il y a du travail à faire, mais concernant le niveau des méthodes on n’est pas si mal à Maurice. On a cependant introduit une variété de produits qui peuvent être utilisés dans différentes circonstances. La qualité de ces produits est comparable à ce qu’on peut trouver à La Réunion.

Est-ce que les Mauriciens en général sont bien informés sur la variété des produits dont le ciment nécessaire pour la construction d’un bâtiment ?
Ce sont surtout les professionnels qui s’informent sur ces questions et essayent de progresser à ce niveau. Il y a cependant du travail à faire au niveau des maçons. Pour parler cru, le maçon est mal considéré à Maurice. En fin de compte, construire une maison est un métier noble. C’est quelque chose d’important. Il y a lieu de valoriser cette profession et de la professionnaliser. C’est la raison pour laquelle Kolos s’est lancée dans la formation des maçons. Il faut prendre soin du petit maçon.

Sean André : C’est un métier très dur. Ils constituent la base de l’industrie de la construction. Malheureusement, on n’a pas de reconnaissance pour eux parce que la plupart n’ont pas une éducation très avancée. Ils travaillent nuit et jour dans des conditions extrêmes. Ils sont les premiers à avoir des problèmes avec les propriétaires. Nous leur disons merci pour tout ce qu’ils font car dans le secteur de la construction ce sont eux qui font tourner l’entreprise.

Quelles sont les mesures qui peuvent être prises par les autorités gouvernementales pour empêcher l’escalade des prix ?
Nous sommes bien conscients que sans entrée de devises sur le territoire, il est très difficile de contenir la dépréciation de notre monnaie. Toutes les actions visant à défendre la roupie contribueront à maintenir le coût d’importation du ciment.

En ce qui concerne le coût du fret maritime, il est un phénomène mondial qui ne peut pas être enrayé au niveau de Maurice seulement. C’est au niveau régional qu’il faut promouvoir l’attractivité de la zone océan Indien afin que des compagnies maritimes puissent se repositionner sur la route qui relie notre région au sud-est asiatique. Les autorités portuaires de la région ont un travail important à abattre afin de maintenir l’attractivité portuaire dans la région. En ce qui concerne le transport par conteneur, le gouvernement doit veiller à ce que la destination Maurice continue à être convenablement desservie par les lignes maritimes.

Est-ce que vous prévoyez une stabilisation de la situation concernant le fret maritime à court terme ?
Je pense que nous en avons encore pour l’année prochaine. J’espère que la situation ne va pas empirer mais j’ai des doutes concernant son amélioration. On risque d’avoir une poussée en début d’année avant de diminuer, je l’espère, dans le courant de l’année prochaine.

Y a-t-il de la place pour d’autres fournisseurs de ciment à Maurice ?
Nous avons déjà deux fournisseurs et on pratique les prix les plus bas de l’océan Indien. À Madagascar où il y a plein d’importateurs, les prix sont plus élevés. La raison est qu’on importe du ciment par bateau de 45 000 tonnes.

Si on augmente le nombre de fournisseurs, ils vont tous importer beaucoup moins et, par conséquent, importer plus cher. On bénéficie d’une économie d’échelle parce qu’on importe beaucoup. Il faut savoir que sur le marché du ciment dans d’autres pays, une usine de ciment produit un à deux millions de tonnes. La consommation totale de Maurice et de 600 000 à 700 000 tonnes. Nous sommes un petit marché.

Quelle est la capacité de production de Kolos ?
On pourrait faire presque la totalité du marché. Cependant, on ne pourrait pas tenir longtemps puisqu’il faut qu’on s’arrête pour faire la maintenance. Si nos machines d’ensachage fonctionnent à plein régime, on devrait faire 80 000 sacs par jour.

Est-ce que Kolos est également présent dans les pays de la région ?
On démarrera la fourniture de ciment à Madagascar dans le courant de ce mois. Il y aura donc le ciment de Kolos à Madagascar durant le mois d’août. Nous aurons un terminal avec un dépôt à Tamatave et un autre à Antananarivo. Ce ne sera qu’une première étape. La deuxième étape consistera à avoir une installation industrielle car il y a de la matière première dans la Grande Île. Il s’agira dans un premier temps d’apprendre à connaître le marché avant d’envisager de lancer un projet industriel dans ce pays.

Êtes-vous optimistes pour l’avenir ?
Sur l’avenir immédiat, moyennement. Mais a plus long terme certainement.

Est-ce le réchauffement climatique est un sujet qui vous préoccupe ?
Le ciment est un produit qui génère le CO2. C’est la raison pour laquelle on essaie d’y adjoindre d’autres éléments, notamment la matière première locale. À Maurice, on a une activité de recyclage de produits plastiques. On travaille également sur l’intégration de produits alternatifs dans nos ciments pour diminuer la part importée autant que faire se peut. Actuellement, on utilise un peu de cendres volantes produites par l’industrie sucrière et un peu de filière basaltique, c’est-à-dire un rocksand très fin.

Le mot de la fin…
Notre devise est « Bâtir l’île Maurice de demain ». Cela signifie pour nous d’assurer au pays un approvisionnement constant en ciment de qualité pour assurer le développement du pays. Nous avons investi dans une ligne de production innovante qui nous permet de faire face aux besoins du marché. Mais cela ne s’arrête pas à la fourniture de ciment. Pour nous, « Bâtir l’île Maurice de demain » signifie aussi participer au développement de la société mauricienne dans son ensemble.

Cela passe aussi par nos actions citoyennes. C’est dans ce cadre que depuis de nombreuses années, nous apportons une qualification professionnelle à des personnes défavorisées au travers de notre école des maçons. Nous accompagnons aussi l’école de la briqueterie en finançant des cours de soutien scolaires. Nous participons chaque année à la conscientisation de la société mauricienne sur les enjeux de sécurité routière.
Nous travaillons aussi à minimiser l’effet des déchets que nous générons. Par exemple, nous avons déjà mis en place le système de récupération des housses plastiques et nous voulons aller plus loin encore dans cette démarche.

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