Dev Sunnasy : « Nous voulons créer notre identité d’Alternate-Stream pour contrer le Mainstream »

Dev Sunnasy, dirigeant de Linion Pep Morisien (LPM) et une des principales têtes d’affiche de Linion Moris, estime que ce regroupement politique ne cherche pas à se faire une place parmi les partis Mainstream, mais plutôt à créer sa propre identité d’Alternate-Stream. Il brosse un tableau de la situation sur l’échiquier politique après quatre ans au pouvoir du MSM de Pravind Jugnauth, aussi bien que la dernière ligne droite menant aux prochaines élections générales.

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Quel est votre constat après ces quatre dernières années du MSM au pouvoir ?

Le pays est en faillite, avec une gestion économique accablante après presque sept ans de Prime Ministership de Pravind Jugnauth. La situation en termes de Law and Order est catastrophique. Prolifération de drogues, vols, meurtres, agressions… Enn pei anba lao où règne la loi de la jungle, et où la corruption et lindistri kokin sont devenues un Normal Business. Le Parlement est devenu un cirque, avec un bouffon du roi en maître de cérémonie.

Nous avons droit à un Premier ministre qui s’autorise de critiquer une magistrate et à la traiter d’incompétente, et une cheffe juge qui ne bouge pas le petit doigt, s’inclinant devant une menace flagrante envers le judiciaire. La méritocratie, l’intégrité et la compétence n’ont plus de valeur, avec des jeunes qui n’ont aucune confiance dans la politique, qui quittent massivement le pays pour aller voir ailleurs et se permettre un avenir prospère. Maurice est prise en otage par Pravind Jugnauth.

Ne croyez-vous pas qu’après les échecs des pétitions électorales et la victoire du MSM au Privy Council, le MSM soit en mode requinqué pour affronter les prochaines élections ?

L’euphorie du MSM aura été de très courte durée. Moi-même, avec d’autres citoyens, après les élections de 2019, nous avions déposé une plainte constitutionnelle en février 2020. Nous attendons toujours de savoir si l’affaire sera prise un jour. Il y a ceux et celles qui n’ont aucun compte à rendre, et pourtant bien payés par l’argent des contribuables, qui décident de cela. Sistem bizin sanze. C’est pour cela qu’il faudrait un CEO for Justice pour l’administration et les finances, y compris le Time-Table des affaires, et le chef juge pour gérer les affaires en Cour.

Quant à votre question sur l’échec des pétitions électorales, je dirais plutôt que le peuple a tiré ses propres conclusions avec des zones d’ombre persistantes et qui sont restées sans réponse. J’ai en tête les dépenses électorales à Quartier-Militaire/Moka (No 8) étalées dans les Kistnen Papers, un aspect que ni l’Independent Commission Against Corruption (ICAC), ni la police, et encore moins les institutions compétentes, ont voulu y voir plus. La population n’est pas dupe et sait très bien qu’il y a bel et bien eu des manœuvres fann kas pou gagn vot. Disons que la victoire au Privy Council n’a pas eu l’effet escompté.

Votre cheminement politique a, semble-t-il, bien évolué vous aussi depuis les dernières élections, de 100% Citoyens à LPM, et maintenant avec le bloc Linion Moris. Expliquez-nous cette évolution !

J’ai été constant dans mes propos et mes actions politiques. Je ne me considère toujours pas politicien, mais un citoyen en politique, comme en 2019. L’évolution passe aussi par la formation permanente. J’ai appris l’organisation d’une campagne et le quadrillage nécessaire pour affronter une élection.

Heureusement, au sein de LPM et Linion Moris, nous avons des anciens, qui sont là pour passer le relais, qui ont été ministres, députés, maires et conseillers. Je pense à Jean-Claude Barbier, Rama Valayden, Nando Bodha, Raouf Khodabaccus, Pritviraj Putten et Sylvio Michel. Mais je vois aussi l’évolution de nos jeunes, comme Fadhil Mollabux, Akilesh Mangur, Jonathan Evenor, Robin Pothiah et Hansraj Sharma Narain. L’évolution de celles et ceux du Middle-Age, comme José Moirt, Ivor Tan Yan, Dr Neena Ramdenee, le Dr Sita Jeeneea, Dr Daniella Police-Michel, Preetam Rambaruth, Mirella Chauvin, Padma Utchanah, Parvèz Dookhy, Christiane Jean-Pierre, Satish Ramruttun et Roshan Kulpoo, entre autres, apporte aussi une nouvelle dynamique.
Une personne compétente, d’expérience et crédible qui fonctionne en solo ne vaut rien sans une équipe solide. Nous avons des adversaires avec des moyens, et il nous faut donc nous préparer pour la grande bataille. Nous n’avons pas d’élection présidentielle à Maurice. Notre force, c’est notre Dream Team.

Depuis sa création, LPM a été très proactif sur le terrain, avec plusieurs actions politiques sur divers sujets d’actualité. Au final, ces démarches sont-elles suffisantes pour se faire une place contre les partis Mainstream ?

LPM ne veut surtout pas se faire une place parmi le Mainstream, mais plutôt créer sa propre identité dans l’Alternate-Stream. Les actions politiques et les manifestations sur le terrain sont les revendications de la population, dont une grande partie vit dans la peur de représailles. Manifester contre la vie chère, contre l’augmentation du prix de l’essence, contre la corruption, la drogue et la mafia, c’est la volonté d’une population qui souffre. Qui, à part LPM, et aujourd’hui avec ses partenaires dans Linion Moris, dénonce et propose pour que nos citoyens en sortent gagnants ?

Qui, hormis LPM, a soumis un document sur la réforme constitutionnelle, une autre vision économique ou une Freedom of Information Act ? LPM travaille actuellement sur la version 2.0 de sa Freedom of Information Act. Nous avons reçu les recommandations du Centre for Law and Democracy, ONG de New York qui travaille dans plusieurs pays, pour améliorer la Freedom of Information Act, qui existe dans plus de 125 pays.

Notre objectif est de présenter la meilleure loi dans les premiers 30 jours au Parlement, et ainsi améliorer drastiquement notre démocratie. L’opposition parlementaire, elle, « sapée comme jamais », continue son rôle d’acteur du Soap Opera, qui se joue les mardis au Parlement. Une personnalité politique m’a dit il y a quelque temps que le Parlement, c’est pour la galerie ! C’est pour cela que nous clamons que Sistem bizin sanze.

Si la politique n’existait pas, certains seraient probablement au chômage, voire seraient même SDF. Ils n’ont jamais travaillé de leur vie. C’est à la population de choisir si elle veut continuer de nourrir pendant 35, 40 ou 50 ans ces mêmes personnes qui ont fait de la politique leur business, familial pour certains. Je suis personnellement contre le modèle de politicien de carrière qui travaille 30 à 35 jours par an au Parlement.

Que reprochez-vous au gouvernement de Pravind Jugnauth, qui a quand même dû gérer le Covid-19 et le naufrage du Wakashio, entre autres ?
Le Covid-19 a été un phénomène sanitaire mondial. Le Wakashio est le fruit d’une incompétence locale… ce n’est pas pareil. Pravind Jugnauth et ses sbires ont profité du Covid-19 pour faire main basse sur l’argent des contribuables, l’argent public. Nous connaissons les affaires Pack & Blister, l’amie d’enfance de Yogida Sawmynaden, l’assassinat de Soopramanien Kistnen, les contrats sous Emergency Procurement à des proches du pouvoir, le scandale Molnupiravir…

Imaginez ces autres Procurements qui sont pour l’instant inconnus. Imaginez que, demain, nous découvrons que certains dons reçus ont été donnés et achetés par l’État Ansam tou posib ! Imaginez que, demain, dans un prochain gouvernement, nous découvrons que ceux faisant des enquêtes ont été des complices…

Que ce soit sur la gestion du Covid-19 ou le Wakashio, il y aura une commission d’enquête, et ceux et celles qui ont pris leur retraite à la vitesse grand V risquent d’être derrière des barreaux. On ne badine pas avec l’argent de contribuables. Pravind Jugnauth n’avait-il pas dit qu’il gère l’argent public comme son propre argent ? Entre-temps, il a endetté le pays jusqu’à la moelle et a mené le pays au bord du précipice. L’année prochaine, il demandera à la population de faire un pas en avant et de lui refaire confiance. Pravind Jugnauth, en tant que ministre de l’Intérieur, aura été un fiasco. Ne rabâche-t-il pas depuis décembre 2015 à Bel-Air que la mafia a infiltré nos institutions ? Et chaque année, c’est le même refrain. Et pourtant, la mafia de la drogue, des jeux et des paris illicites sont à l’œuvre 24/7. Qui est responsable de la fermeture du MTC ?

En matière de gouvernance et d’indépendance des institutions, nous sommes presque au fond du précipice, et comme le dit V-Dem, notre démocratie ne tient qu’à un fil. Aucun secteur économique n’a été développé, ni bâti. Il n’y a plus de méritocratie et les jeunes préfèrent aller voir ailleurs, où l’herbe semble plus verte.

Quelle est votre lecture de la situation économique du pays et de la politique « fer labous dou » avec les diverses allocations versées mensuellement à des nombreux foyers ?

Le modèle économique mis en place à partir de 2016 est catastrophique pour la population. Pran enn bef donn twa lakok dizef… Bef travay, souval manze. Un dollar US était à Rs 36,50 en novembre 2016. Un dollar est aujourd’hui coté à Rs 44,65. Le ministre des Finances dit que c’est le Covid ou la guerre en Ukraine, mais il n’arrive pas à stabiliser la roupie. C’est un aveu d’échec. Il sait pertinemment qu’il ne pourra remplir les caisses de l’État qu’en dévaluant la roupie. Le Mauricien paiera de plus en plus de TVA et autres excise duties quand le dollar sera à Rs 50 et plus.

D’autre part, si on prend le contrat du Molnupiravir surfacturé à hauteur de Rs 70 millions, larzan lepep est distribué aux copains. Idem pour les contrats de drains, de nettoyage, d’équipements médicaux, de masques… Mais le jour où les masques tomberont, il y aura des journées portes ouvertes à Melrose. La MIC, qui distribue larzan lepep aux proches et aux financiers, n’a investi dans aucun secteur où la population se retrouve gagnante sous une forme quelconque. Pour y mettre un peu plus de sel, le magicien Padayachy nous offre la CSG comme une nouvelle taxe, « a Pension Tax ». Et ainsi, il nous fait payer plus cher l’essence et le diesel, et tout ce que nous achetons, y compris les médicaments. Et certains sont contents de recevoir Rs 1 000 ou Rs 2 000 par mois. Ce modèle n’est pas durable. À la place de vouloir faire une nation de travailleurs, il souhaite que nous devenions une race « tal lame », de mendiants. Cela ne marchera pas. Le Mauricien souhaite un salaire décent et que nous respectons sa dignité… Que la richesse nationale soit partagée équitablement. Bef travay, bef manze.

LPM a voulu réunir autour d’une même table le RM de Nando Bodha et le Reform Party de Roshi Bhadain. Qu’est-ce qui n’a pas marché ? La question du Prime Ministership ?
Nous avons décidé de travailler séparément pour l’instant, que chaque groupe crée son propre momentum, et de se rapprocher le moment venu. Nous sommes d’accord sur le fait que beaucoup de choses ont changé, mais nous devons continuer à discuter sur la partie stratégique. Nous sommes d’accord qu’il faille une bataille à trois.

Croyez-vous vraiment que le slogan « Ni Navin, Ni Pravind » aura un poids significatif pour les prochaines élections ?
Pravind a été le pire des cataclysmes que Maurice ait subi de son histoire. Pire que le cyclone Carol ou Gervaise. Il a réussi ce que d’autres n’ont pu faire, soit de mettre Maurice sur la carte des pays autocrates, dévaliser la Banque de Maurice et les réserves des Mauriciens pour remettre le butin au grand capital. Enn mafia pou res enn mafia.

Navin a fait son temps et a perdu les deux dernières élections. Il est clair que Navin ne rassure plus. La majorité de la population ne croit pas dans la sincérité du trio Navin-Paul-Xavier. Time to pass on the baton.
Que ce soit Navin ou Pravind, les deux gèrent le conseil des ministres de façon autocratique. Je ne pense pas que ce modèle Government by Prime Minister est bon pour le pays. Si on regarde le vrai modèle de Westminster, où un Premier ministre peut être renvoyé, comme Boris Johnson ou Liz Truss, où un Premier ministre n’est pas enn tigit pli piti ki Bondie, il faudrait que nous arrivions à mettre en place les bons paramètres pour arriver à avoir un Government by Cabinet, et ainsi rééquilibrer les pouvoirs du Premier ministre.

Certaines opinions mettent en avant que l’alignement d’une 3e force donnera plus de chances au MSM et Pravind Jugnauth, avec des votes de plus en plus dispersés au sein de l’opposition. Qu’en pensez-vous ?
Il faut se mettre en tête une fois pour toutes que les prochaines élections seront une lutte à trois, avec une alternative crédible. Croyez-vous que les déçus du MSM voteront pour l’alliance Ptr/MMM/PMSD ? Est-ce que nous voulons que les déçus du Ptr ou du MMM et du PMSD aillent voter pour le MSM ? Croyez-vous que ces 68% qui veulent voir autre chose que Pravind et Navin n’ont pas besoin d’un choix ? Linion Moris donnera ce choix avec ses 60 candidats pour les prochaines élections générales.

L’équipe principale de Linion Moris et le programme électoral ont-ils déjà pris forme ?
Bien sûr. Je vous ai déjà cité quelques noms. Nous avions rendu publique le 2 septembre notre liste de 22 engagements et 28 membres responsables de dossiers. Lors du lancement de Linion Moris, le 2 septembre dernier, nous avons publié nos 22 engagements. Parmi eux, on compte le combat contre la mafia, soit zéro tolérance contre le trafic de drogue, la fraude et la corruption, ainsi que l’enrichissement illicite. Mais aussi des réparations pour une émancipation économique qui respecte l’humain et la nature, ainsi qu’assurer la création de la richesse nationale et un partage équitable. Nous proposons aussi de : sortir les classes défavorisées de l’engrenage de la pauvreté; faire de notre pays un modèle de transition énergétique et de sécurité alimentaire, nationale et régionale; assurer le droit au travail, la dignité au travail, un salaire égal pour travail égal, pour tous les travailleurs, y compris les migrants; et mettre notre pays à la pointe de la recherche et de l’innovation en adoptant les dernières technologies.

Comment y arriver ?
En se donnant des objectifs clairs et un agenda réaliste, mais ambitieux. Il faudra s’attaquer dès le premier jour aux mafias, à la drogue, aux fraudes, au blanchiment, aux jeux et autres trafics illicites… Mais aussi aux complices des mafieux dans le secteur public, à la police, à la douane, au port et à l’aéroport.

Linion Moris prévoit un ministre de l’Intérieur qui ne sera pas le Premier ministre pour s’attaquer à plein-temps aux malfrats et au crime, surtout ceux en cols blancs. Il faudra s’assurer que les nouvellement élus ne soient pas tentés par l’argent facile, les lobbies et autres acheteurs ou marsan mervey. Toute action frauduleuse sera doublement punie pour tout décideur, haut cadre, député ou ministre. La Public Officials Protection Act, où les officiers publics sont protégés au-delà de deux ans après les faits, sera abolie.

Quid sur le plan économique ?
Le secteur privé n’investit plus dans la production et le secteur des PME est en berne. Les conglomérats ne créent plus de valeur comme jadis, mais se consacrent à bétonner des terres, et donc, plus de création d’emplois et de développement économique soutenable, sauf des Quick Wins. L’État se concentre aussi sur le béton, l’asphaltage, les ponts et le tram. L’investissement étranger est essentiellement sur les villas de luxe. Donc, personne ne développe l’économie pour l’avenir de nos jeunes, pour se préparer à la Time-Bomb du vieillissement de la population et faire face à des pensions qui coûteront aux alentours de Rs 75 milliards en 2030. Pravind Jugnauth a fait le choix d’un modèle économique basé sur la consommation – car selon lui, il faut faire payer les pauvres, car ils sont plus nombreux – et les dettes, que la population paiera plus tard. La dévaluation graduelle de la roupie a entraîné la cherté de la vie.

Linion Moris proposera aux conglomérats, aux grands capitaux et aux associations d’industries, y compris les PME, de met latet ansam et d’investir et de produire pour sauver le pays. Ceux qui viendront y gagneront. Linion Moris s’engage à investir pour et sur l’avenir. Le Mauritius Investment Corporation (MIC) basculera sous la SIC (State Investment Corporation), qui sera le moteur de développement sous un ministère de l’Économie séparé des Finances, où l’État investirait sur l’avenir et la réindustrialisation avec le secteur privé.

Pour inverser la vapeur dans le secteur des PME, qui emploie 241 000 personnes, Linion Moris s’engage à appliquer une discrimination positive envers les PME et à leur faciliter l’accès aux marchés publics et privés. Les grandes entreprises seront invitées à pratiquer plus de sous-traitance envers les PME, les emmener dans leurs aventures en Afrique et laisser certains métiers aux petits entrepreneurs en les épaulant. Là encore, elles y gagneront.

Les délais de paiement envers les PME, eux, seront légiférés. Il sera ainsi obligatoire de payer les factures du secteur public sous 15 jours et 30 jours pour le secteur privé, car certains abusent de leurs pouvoirs et font des paiements à 60 jours en fin de mois. D’autres, parfois, notamment dans le secteur de la construction, avec six mois de retard. Or, le retard de paiement empêche les PME sérieuses de grandir, tandis que d’autres sont obligées de fermer boutique. Le ministère français de l’Économie avait analysé ce problème en 2016 et avait légiféré avec de fortes amendes. Selon leurs études, sans retard de paiement, il y aurait eu une création de plus de 100 000 emplois.

Sans un service public efficient et au service du public, nous ne pourrons atteindre l’objectif de nos 22 engagements. Il faut redonner confiance dans nos ministères et nos institutions, y compris nos corps para-étatiques. D’où notre programme Open Government – Transformation of Government, avec une politique de transparence et de redevabilité. Si to fote to tase. La Public Procurement Act et la Public Service Commission Act seront revues pour s’assurer d’avoir des services de qualité, et un audit permanent sera mis en place.

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