Débat sur la démocratie – Roukaya Kasenally : « La chute de 40% du taux de satisfaction est alarmante ! » 

En 2013, 72% des Mauriciens étaient satisfaits de la démocratie pratiquée par leurs politiques. Une décennie plus tard, en 2023, ce chiffre est descendu à 32%. Soit une régression de 40%. « Ces données sont publiées dans le dernier rapport Afrobarometer et suscitent des réactions urgentes », estime Roukaya Kasenally.

- Publicité -

L’ambassade des États-Unis à Maurice a organisé ce mardi un forum-débat sur la question de la démocratie en Afrique dans le sillage de la publication, la semaine dernière, du dernier rapport d’Afrobarometer.

Cette initiative s’inscrit dans le contexte des élections générales devant être organisées cette année à Maurice, ainsi que des élections présidentielles américaines, et vise à contrer les discours visant à saper la confiance du public dans la crédibilité du processus démocratique. Le thème retenu était Making Democracy work for all: Lessons to be learnt, red flags to be avoided and Best Practices to be shared. Cet échange a eu lieu en présence de la conférencière américaine, Susanna Wing, spécialiste en matière d’élections et de désinformations, entre autres, ainsi que Roukaya Kasenally et Sheila Bunwaree et Milan Meetarbhan.

Roukaya Kasenally, présidente de l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique (Electoral Institute of Sustainable Democracy in Africa), également responsable des Media and Political Systems de la faculté des Social Sciences & Humanities de l’Université de Maurice (UoM), a partagé certaines conclusions du rapport African Insights 2024 et modérait la discussion.

Intervenant, elle Roukaya Kasenally a émis de « vives inquiétudes, car ces 40% représentent une dégringolade importante et témoignent d’une insatisfaction très grave de la part de la population mauricienne. « Un tel constat témoigne parallèlement de la perte de confiance dans les institutions, et réclame des mesures adéquates et urgentes pour éviter que le pays n’atteigne un point de non-retour. Ce qui serait très dangereux pour notre pays. »

Elle n’en démord pas : « le constat de ce dernier rapport d’Afrobarometer réclame une prise d’actions urgente et série de mesures adéquates. Il convient de comprendre que, quand survient une telle situation, avec une dégringolade de 40% de la satisfaction en seulement une dizaine d’années, cela interpelle. » Elle évoque ainsi ses craintes quant à une dégradation du Law & Order, parmi d’autres éléments. « Le manque de démocratie délivrée par les politiques élus par le peuple se conjugue avec une perte de confiance dans les élus et les institutions étatiques, et se traduit souvent par une montée de la criminalité et de non-respect des lois », fait-elle comprendre.

De fait, poursuit-elle, il incombe aux politiques de tout mettre en œuvre, et de manière efficace, pour éviter que le pays ne perde encore des points. Elle met en garde : « une fois le pays dans une situation de non-retour, où la population n’a plus confiance dans ses agences étatiques, ses institutions et les politiques qu’elle a élus pour la diriger, cela devient très dangereux et ouvre la porte à une foule de dérives. »

Susanna Wing abonde dans le même sens, arguant que « l’organisation des élections nationales, dans tout pays, ne doit pas occulter la qualité d’un tel exercice ». Elle élabore : « des élections impliquent un processus complet où la qualité des prestations doivent être partie prenante. Par exemple, le souci de redevabilité des politiques qui briguent les suffrages : la population doit avoir ce capital de confiance envers les candidats qui se présentent aux élections, qu’il s’agisse de celui ou celle qui aspire à devenir le prochain chef du gouvernement et/ou d’État, au même titre que ceux qui vont composer le gouvernement. Et autant pour ceux qui vont se retrouver dans l’opposition ! »

En outre, souligne-t-elle, la définition de la démocratie n’est pas standardisée et évolue de pays en pays. « Cela dit, ce n’est pas pour autant que le peuple doive accepter que ceux pour qui ils ont voté pour les représenter et les gouverner bafouent les principes de la démocratie ! » note-t-elle.

« Cette perception, justement, que les valeurs démocratiques sont bafouées, donnent matière à réfléchir et réclament des réactions », soutient encore Roukaya Kasenally. Elle fait ainsi remarquer : « le rapport Afrobarometer concerne 39 pays du continent africain. Cet indice de faillite dans la satisfaction à l’égard de l’offre de la démocratie n’est pas aussi grave que pour Maurice et le Botswana. »

Les jeunes présents à La Bellone, au Labourdonnais Waterfront, en cette matinée, n’ont pas manqué de faire état de leurs inquiétudes, soulevant des questions quant à des « sanctions et mesures devant être prises par le pouvoir en place afin de garantir la sécurité et l’harmonie du pays ». Roukaya Kasenally s’est réjoui de ces interactions et réactions, notant que les jeunes sont pleinement conscients des effets néfastes qu’entraîne une perte des valeurs démocratiques. « Ils sont notre relève, et les voir souhaiter ainsi s’engager pour reprendre le flambeau est très encourageant », avance-t-elle.
En guise de conclusion, elle avance que : « nous avons déjà démarré ce type d’exercices avec les médias et des membres de la société active autour des retombées du rapport Afrobarometer. Et nous allons continuer. C’est un exercice très important pour restituer la voix du peuple et construire le processus démocratique. »


Susanna Wing, distinguée et primée
Susanna Wing enseigne les sciences politiques au Haverford College (université) en Pennsylvanie, aux États-Unis. Elle est l’auteure de Gouvernance et intervention au Mali : sécurité insaisissable (2024) et de l’ouvrage primé Construire la démocratie dans les sociétés en transition en Afrique : constitutionnalisme et délibération au Mali (2008). Elle est aussi conseillère experte pour la Freedom House et a donné des conférences internationales sur l’intervention étrangère, les femmes en politique et les élections.
Ses travaux ont notamment été publiés dans Foreign Affairs, African Affairs et le Washington Post. Elle a été interviewée par plusieurs importants médias, comme la BBC, Africable, VOA, Al Jazeera, Radio France International et le New York Times.

 

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -