COVID-19 — Mélanie Vigier de Latour-Bérenger : « Le quotidien de beaucoup est lourd et douloureux »

Autour d’une campagne nationale axée sur la santé mentale, en prenant comme point de départ les deux années de crise sanitaire causée par le Covid-19, l’Action for Integral Human Development (AIHD) a démarré un programme d’encadrement des Mauriciens souhaitant un appui, mettant l’accent sur l’écoute, le soutien et l’accompagnement, via le téléphone. Plusieurs thématiques ont été identifiées, dont les sentiments, le deuil ou encore la joie. Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, psychosociologue, développe davantage sur la place de la joie dans le quotidien de tout un chacun, et évoque les répercussions et bouleversements causés par des modifications et changements que sont, par exemple, l’isolement et le confinement…

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Quelle est la place de la joie dans un quotidien normal ?
Nous sommes des êtres de ressentis. Nos sentiments et émotions sont fabriqués dans notre cerveau. Tout être en vie ressent donc. La joie, la peur, la colère ou la tristesse traversent nos journées, nos semaines, notre vie.
On ne prend parfois pas le temps de s’arrêter et de se poser la question de ce qui se passe en nous. Cela est pourtant essentiel pour notre connaissance de nous même, permettant aussi une meilleure relation aux autres, car il nous sera alors possible, après ce temps de connexion à soi, un temps de mise en mots à l’autre.
Tout sentiment à toute sa place et prend plus ou moins de place selon les parcours de vie et le contexte de vie de chacun.

Comment la crise sanitaire, qui dure depuis presque deux ans, a-t-elle impacté la vie des gens ? Et plus particulièrement, de quelle manière leur joie de vivre a-t-elle été affectée ?
La crise sanitaire a un impact important sur la santé physique et mentale des êtres humains, dans le monde et à Maurice. Selon un article du Guardian, en date du 2 décembre 2021, plusieurs impacts de la pandémie sur la santé physique sont démontrés : perte de cheveux, prise de poids, maladies du cœur, de peau, du foie, de l’estomac…
Les états de stress, de dépression, de risques suicidaires, les troubles du sommeil et l’impact du temps d’écran sur le développement des enfants sont très importants en ce moment à Maurice. Le quotidien de beaucoup est lourd et douloureux.

Cette citation de Confucius, « La joie est en tout ; il faut savoir l’extraire », a beaucoup de sens, car on est appelé à choisir de voir la joie dans notre quotidien. Même si c’est difficile. Cela relève d’un choix. Poser ce choix conscient de voir les petites étincelles de lumière, de joie et de positif du quotidien est un exercice qui aide.

Faire cet exercice stimule la production de dopamine, l’hormone liée au plaisir et à la récompense, procurant de l’énergie et de la motivation pour agir, outre le doux et agréable exercice de mémoire qu’il engendre.C’est aussi pour cela que l’on a choisi d’intégrer cette affiche sur la joie dans la campagne de santé mentale que mène actuellement l’AIHD.

Quelles sont les prestations proposées via la présente campagne ?
Nous invitons chacun à lister les actes, moments de profonde joie, uniques à chacun, tels que : entrer dans son lit dans des draps fraîchement lavés, savourer une tasse de thé, prendre un moment d’échange avec un(e) ami(e), se poser avec un livre si on aime le faire, prendre un bain de mer, sentir cette précieuse odeur d’herbe et de terre mouillées après la pluie, écouter une musique qui nous fait vibrer et nous met en joie… Et nos sources de joie profonde divergent chez les et les autres.

Un autre outil éclaire aussi : on peut considérer divers axes de notre vie, comme une roue de charrette avec nous comme moyeu au centre et chaque rayon représentant notre travail, notre vie de couple, la place des enfants, nos engagements sociaux, la famille, notre état de santé… pour ne citer que cela. Quand nous avons l’impression que « tout va mal », on peut repenser ce propos et analyser chaque axe ou rayon de notre roue de charrette et évaluer ce qui fonctionne ou dysfonctionne.

Peut-être qu’un pan de notre travail ne marche pas : est-ce pour autant que tout est difficile et qu’il est impossible de relever les sources de joie existantes dans cet axe (comme le fait d’avoir un travail, d’avoir certaines relations spéciales avec des collègues…) et les autres ? Peut-être que j’ai le Covid en ce moment et c’est difficile à vivre, et l’inquiétude peut m’habiter, mais quid de ce que je vis dans mes relations de couple, d’amitié, de loisirs… ? Cet exercice permet aussi de me poser et de questionner ce qui me met en joie.

L’AIHD ne date pas d’hier. Que proposez-vous comme aide et soutien ?
Au sein de l’AIHD, outre les projets ayant à cœur le bien-être émotionnel des êtres humains, menés principalement en milieu scolaire depuis 2009, nous avons mis en place une hotline (5450-8888), pour toute personne qui souhaite se confier à un professionnel de l’écoute ou en psychologie, au cours des mois de décembre et janvier.

Est-ce que, chez certains sujets, les dommages causés par le Covid-19 sont irréversibles ?
Nous avons, en tant qu’être humain, une plasticité neuronale, qui se définit comme l’ensemble des manifestations traduisant la capacité des neurones à se modifier et se remodeler tout au long de la vie. Nous avons donc cette chance d’apprendre à nous adapter et de réapprendre si besoin. Cette situation de crise vécue depuis 2020 peut être une occasion d’évolution psychologique, sociale, économique. Une occasion de repenser nos choix de vie et nos modèles.

Nous avons aussi, en tant qu’être humain, un potentiel de résilience. Celle-ci est liée aux facteurs de protection et/ou de vulnérabilité qui auront prévalu pendant cette période de crise et d’incertitude, ainsi que le rappelle Boris Cyrulnik, neuropsychiatre en 2020. Les facteurs de protection sont des attributs, comme les compétences, forces ou ressources, qui permettent de favoriser et renforcer les capacités d’adaptation comme le confort matériel, le confort affectif, familial ; l’estime de soi ; la participation sociale ; le sentiment d’appartenance ; le soutien social ; la confiance en l’autre ; le sentiment de sécurité ; la compréhension, la reconnaissance, l’appropriation et la gestion de ses émotions; la spiritualité; la créativité; la capacité et possibilité de développer des compétences ; la capacité d’adaptation ; la capacité de s’adonner à des loisirs ; la capacité à demander de l’aide, à savoir apprécier le moment présent…

Ces facteurs de protection protègent les individus ou les groupes contre les effets dommageables des facteurs de risque. Les facteurs de risque ou de vulnérabilité concernent, entre autres, l’isolement, la précarité sociale et économique, un métier peu épanouissant, la maltraitance. Les inégalités de résistance psychologique, peuvent être aggravées par les inégalités sociales et après le confinement pour certains, toujours selon Cyrulnik, 2020.

Vos objectifs à travers cette campagne ?
Il importe vraiment d’investir dans les facteurs de protection autant que possible pour tenir le coup et pour développer notre capacité de rebondir. Cette campagne de vulgarisation et de promotion de la santé mentale menée par l’AIHD se centre sur le renforcement de ces facteurs de protection. Ce choix, porté sur de la joie, encore plus en ce moment, semble donc crucial.

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