Clarisse Coufourier (vice-présidente de l’IOMLF) : « Connaître la nature est un premier pas vers le respect »

Directrice d’Influence & Stratégie Paris & Maurice, et vice-présidente de l’Indian Ocean Marine Life Foundation (IOMLF), Clarisse Coufourier explique que l’un des rôles de sa fondation est d’étudier et protéger les mammifères de l’océan Indien. En dehors des recherches scientifiques auprès des cachalots menées par René Heuzey et le Dr François Sarano, du programme dans les écoles avec Accenture, l’IOMLF veut développer la connaissance de l’océan Indien à l’international. Pour cela, elle est en contact avec plusieurs universités du monde entier, dont l’Université de Maurice, afin de partager l’information, mais aussi d’envisager l’avenir en formant de nouveaux scientifiques. Avec pour autre vision d’offrir également des bourses à des étudiants qui auront pour projet de développer nos connaissances de l’océan.

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Une carcasse de cachalot a été retrouvée en état de décomposition dans le lagon de Poudre-d’Or… Que s’est-il passé ?
Avec l’état de décomposition de ce mammifère, nous n’avons pu l’identifier, mais au vu des premières photos, l’IOMLF espère que ce ne soit pas Germine, la nourrice du clan d’Irène Gueule Tordue, car c’est elle qui allaite tous les bébés quand leurs mères vont chasser dans les fonds. L’IOMLF continue d’approfondir ses recherches pour confirmer le processus d’identification et comprendre ce qui s’est passé.

Qu’en est-il du comportement de ces cachalots en mer ?
Comme je suis à Paris actuellement, j’ai eu la chance de m’entretenir à ce sujet avec René Heuzey, président de l’IOMLF, et il m’a expliqué que depuis 2011, avec le Dr François Sarano, océanographe et ancien conseiller du commandant Cousteau, ils filment et observent les cachalots de Maurice.

Grâce à leurs images et les recherches scientifiques, ils ont pu faire des découvertes incroyables et uniques au monde, comme un bébé qui tète sur sa mère, ce qui est normal, mais aussi ce même bébé qui va également téter sur une nourrice qui, en général, est toujours la même, comme Germine.

Ensuite, des analyses génétiques ont pu déterminer les liens de parenté et suivre la dynamique de la population. René Heuzey m’a expliqué que, pour lui, la chose la plus incroyable, c’est que chaque année il voit cette famille grandir, avec des nouveaux-nés, et la plus belle récompense que ces cachalots puissent lui offrir, c’est de l’accepter dans leur clan en le laissant les filmer dans les différents comportements de leur mode de vie. Il faut savoir que ce sont des animaux complètement sauvages, et se faire accepter par cette famille incroyable est pour lui la plus belle reconnaissance que la nature puisse lui offrir.

Le décès de Claude Kwan Tat en a bouleversé plus d’un au sein de la communauté de l’IOMLF. En quoi son héritage sera-t-il bénéfique à l’IOMLF ?
Le décès de Claude Kwan Tat, fondateur de l’IOMLF avec son épouse Frances, nous a bien sûr profondément touchés. Ce sont eux qui ont imaginé cette fondation, et avec Mégane, leur petite fille, René Heuzey et moi, nous l’avons fait.

Nous serons toujours respectueux de la vision qu’ils nous ont transmise et de l’impulsion qu’ils ont donnée. L’amour que Claude avait pour son île Maurice, mais aussi pour Rodrigues, et la conscience qu’il avait de la nécessité de protéger l’océan, est un formidable cadeau qu’il nous a légué, et dont nous allons prendre soin. Notre rôle aujourd’hui est d’informer sans relâche toutes les populations sur la connaissance de l’océan.

En quoi René Heuzey et François Sarano ont-ils réussi ce tour de force de nous émouvoir en filmant de près les cachalots ?
Leur mission à travers leurs films est de permettre aux Mauriciens et aux étrangers de partager ces émotions afin de mieux respecter les mammifères marins. Ces cachalots ont chacun leur force et leur caractère. Cela nécessite pour René et François de passer des heures sous l’eau durant des semaines, des mois et des années.

L’IOMLF a pour vocation la connaissance, et pour cela, un programme de cinq ans avec le CNRS sur la poursuite des études menées sur une famille de cachalots à Maurice a pris forme. Que doit-on retenir de cette étude ?
L’un des rôles de l’IOMLF est d’étudier et protéger les mammifères de l’océan Indien. Pour cela, René Heuzey et François Sarano travaillent en étroite collaboration avec les meilleurs scientifiques du monde.

À ce jour, ils ont déjà fait paraître six publications scientifiques reconnues dans le monde. Le programme avec le CNRS consiste à travailler sur l’acoustique. L’équipe du professeur Hervé Glotin, du CNRS, et François Sarano ont développé une Interval Inter Pulse (IPI) calculé sur chaque individu du clan d’Irène Gueule Tordue pour déterminer une courbe de croissance des individus en fonction de l’âge et du sexe de chaque individu.
Dès que la valeur de l’IPI d’un individu est connue lors d’une conversation entre individus, ils peuvent savoir quelle coda est émise par quel individu. Avec ces informations, nous mettons en place un programme de détection d’individu et du locuteur.

Comme l’explique René Heuzey, les cachalots de Maurice émettent des codas différentes, en comparaison avec les autres cachalots des autres océans. Nous pourrions dire qu’ils parlent créole. De même, quand ils partent chasser entre 300 et 1 000 mètres de profondeur, maintenant, nous connaissons exactement leur position et leur technique de chasse en groupe. Là aussi, nous pouvons savoir qui chasse avec qui.

À ce jour, le but des recherches est de faire les cartes d’identités sonores du clan d’Irène Gueule Tordue et de Vanessa. Nous pouvons ainsi suivre le taux de croissance des bébés chaque année. Depuis 2011, René Heuzey et François Sarano ont créé un point 0 sur cette magnifique famille. Ils en sont déjà à 13 ans de tournage et d’études. Le but est d’arriver au moins à 25 ans pour évaluer la dynamique de la population durant une génération.

Devrait-on être inquiets pour ces mammifères, surtout après la découverte d’une carcasse de cachalot à Poudre-d’Or ?
En concertation toujours avec René Heuzey, la fondation est très inquiète, car depuis la reprise des activités touristiques après le Covid, le constat est que beaucoup de bateaux ne respectent pas l’interdiction de 2012. Les touristes se mettent à l’eau et veulent nager avec les cachalots depuis deux ans, et c’est une grande inquiétude pour nous, car ils ne sont pas là pour nager avec les touristes.

Nous avons remarqué un grand changement dans le comportement des cachalots. Ils sont souvent seuls, dispersés, alors que normalement ils vivent en clans. Il y a beaucoup plus de disparitions, surtout sur les jeunes. Les bébés restent pratiquement tout le temps à la surface. Ils sont beaucoup plus vulnérables. Certains sont marqués par des hélices de bateaux, quand ces derniers ne les percutent pas.

Ces géants des mers ont été décimés par la chasse fin 19e, début XXe siècle. Ils souffrent aujourd’hui par rapport à notre pollution, comme les rejets de déchets en plastique et la pollution sonore causée par les moteurs de bateaux. Nous trouvons de plus en plus de cachalots morts et de disparus. René est d’avis qu’on peut encore les sauver en changeant de comportement. C’est un des rôles de la fondation que de sensibiliser les populations au respect du vivant dans l’océan.

Il y a aussi eu un programme de sensibilisation auprès des enfants dans les écoles pour une meilleure prise de conscience quant à la protection des océans. Quels sont les autres projets en cours ?
Notre président, René Heuzey, va à la rencontre des enfants dans les écoles en France depuis des années avec son association, Un océan de vie. Il a développé un vrai programme de sensibilisation des enfants à la protection de l’océan, les connaissances majeures à acquérir, des jeux, le visionnage de films, des questions et des réponses, adaptées en fonction de l’âge des élèves. Les enfants ont tellement d’intérêt pour ces sessions que nous avons décidé de développer un programme ici à Maurice avec le corps enseignant.

Accenture s’est engagée à sensibiliser plus de 20 000 enfants dans des écoles sur une période de deux ans. Y a-t-il eu d’autres évolutions dans ce domaine ?
Une centaine de salariés d’Accenture vont dans les écoles sensibiliser les enfants entre 6 et 8 ans. Ce sont des sessions très interactives, et très appréciées. Les enfants en redemandent, et les enseignants aussi. Nous avons commencé au mois de mai à Maurice, et nous avons déjà rencontré 1 700 enfants. Notre projet est de continuer les prochains mois avec le ministère de l’Éducation, et d’élargir si possible, en termes d’âge mais aussi de territoire. Nous savons qu’Accenture souhaiterait aller à Rodrigues dans les prochains mois.

Quelle sera la mission de ces enfants qu’Accenture a pris sous son aile dans les années à venir?
En dehors de la connaissance que nous leur apportons, nous pensons que leur comportement sera empreint de respect. Connaître la nature est déjà un premier pas vers le respect. Les enfants sont très sensibles à leur environnement, et leur prise de conscience est immédiate. Ils intègrent les fondamentaux du respect des océans, puis en parlent dans leurs familles, à leurs amis. C’est une chaîne humaine de respect qui se met en place pour protéger les plages, les fonds marins, et le vivant dans l’océan qui entoure Maurice.
C’est un travail de fond, certes, mais ce qui est extraordinaire avec les enfants, c’est qu’ils ont une force de persuasion et de diffusion qui est extraordinaire. Ils sont l’avenir de l’humanité, et la protection de l’océan passe par eux.

Quels sont les projets à venir de l’IOMLF ?
En dehors des recherches scientifiques brillamment menées par les équipes du Dr François Sarano et de René Heuzey depuis 13 ans à Maurice, et du programme dans les écoles avec Accenture, nous voulons développer la connaissance de l’océan Indien à l’international. Pour ce faire, nous sommes en contact avec plusieurs universités dans le monde, dont l’Université de Maurice, afin de partager l’information, mais aussi d’envisager l’avenir en formant de nouveaux scientifiques.

L’IOMLF va effectuer une levée de fonds prochainement afin d’offrir des bourses à des étudiants qui auront pour projet de développer la connaissance de l’océan. Mais il y a tant à faire encore. L’océan est notre avenir, et s’il est une ressource, nous devons en prendre grand soin pour qu’il puisse jouer pleinement son rôle dans l’avenir de l’humanité. Parmi les autres projets, notre ambassadrice jeunesse, Mégane Kwan Tat, devient étudiante à l’University College London et pourra ainsi prendre la parole sur le territoire européen concernant l’océan Indien et sa passion pour son île.

 

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