- Directeur de cinq compagnies, toutes en « receivership », il a vendu un bateau d’une valeur de Rs 2 M à Samantha Chowrimootoo, épouse de trafiquant, le jour où celle-ci a été arrêtée, en mai 2016
- Lam Shang Leen : « Même après que vous ayez appris que Mme Chowrimootoo a été arrêtée, vous avez continué à communiquer par téléphone avec son mari, qui est trafiquant et emprisonné ! »
- Vingt-deux communications le 16 mai 2016, entre 13h20 et 21h, entre Nizaar Dowlut et Curly Chowrimootoo, soit peu après que Samantha Chowrimootoo ait été arrêtée
Pendant presque 90 minutes, l’ancien juge Paul Lam Shang Leen a cuisiné l’homme d’affaires Nizaar Dowlut. Celui-ci, à la tête de « cinq compagnies qui sont en “receivership” », avait vendu un bateau de plaisance d’une valeur de Rs 2 M à Samantha Chowrimootoo. La transaction remonte au 16 mai 2016 et cette femme a été arrêtée le même jour par l’ADSU dans le cadre d’une affaire de drogue. La cliente de Nizaar Dowlut n’est autre que l’épouse du trafiquant notoire de Résidence Kennedy, Curly Chowrimootoo… Mais Nizaar Dowlut a déclaré qu’il n’était « pas au courant » de ces informations « au moment des faits », ajoutant l’avoir appris « le lendemain via les médias ». Ce qui intrigue Paul Lam Shang Leen, président de la commission d’enquête sur la drogue : ses nombreuses communications, jusqu’en décembre 2016, non seulement avec Curly Chowrimootoo, mais également avec Patrick Serret, dit Polocco… Nizaar Dowlut a peiné à s’expliquer, parvenant difficilement à convaincre Paul Lam Shang Leen et ses deux assesseurs.
« Après analyse de vos conversations téléphoniques avec ces deux détenus mentionnés par le président Lam Shang Leen, vos diverses dettes et vos explications peu convaincantes, nous sommes d’avis que vous êtes de connivence avec des trafiquants de drogue ! » Telle a été la lecture du Dr Ravind Dhomun, membre du ministère de la Santé et assesseur de la commission d’enquête. Dès le départ, le ton avait été donné : l’ancien juge Paul Lam Shang Leen avait réclamé de Nizaar Dowlut, patron de cinq compagnies enregistrées et qui sont actuellement “in receivership”, des documents spécifiques, à savoir ses relevés bancaires, ceux de son épouse, les relevés de ses compagnies ainsi que les déclarations fiscales, le tout de 2010 à aujourd’hui. Cependant, l’homme d’affaires n’a pu tout produire, expliquant : « Puisque mes compagnies sont en liquidation, je ne suis pas en possession de tous ces documents. Mais je vais faire le nécessaire… » En instance de divorce, ce père de deux fils vit à Pailles. Paul Lam Shang Leen s’est surtout intéressé à l’une de ses cinq compagnies, à savoir Atomix Boats.
Paul Lam Shang Leen : Dans quel rayon opère cette compagnie ?
Nizaar Dowlut : J’importe des bateaux de Chine et je les revends aux Mauriciens.
PLSL : Depuis quand ?
ND : 2011.
PLSL : Je vous avais demandé de produire les relevés bancaires d’Atomix Boats de 2011…
ND : Ils ne sont pas en ma possession pour l’heure. Mais je ferais le nécessaire.
Le président de la commission a, dans le même souffle, questionné le témoin quant à d’autres compagnies qu’il gère, notamment Poster Graphics Co Ltd. Paul Lam Shang Leen souhaitait en effet comprendre le « fonctionnement » de ces compagnies et « comment cela se passait pour les financements ». Ensuite, l’ancien juge est revenu sur le cas d’Atomix Boats.
PLSL : Quand vous vendez un bateau, la somme perçue pour cette vente est déposée sur le compte bancaire de la compagnie, n’est-ce pas ?
ND : En effet.
PLSL : Mais nous avons eu vent d’une fois où l’argent a été déposé sur votre compte personnel. Comment cela se peut-il ?
ND : Il y a eu une erreur… Je vous explique. J’avais effectué une vente mais la personne a tiré le chèque en mon nom personnel.
PLSL : En 2016 ?
ND : En effet. Une Marie Nadine Chowrimootoo était venue à quelques reprises voir les bateaux que je mettais en vente. Puis finalement, un jour, elle a souhaité conclure une vente. Après avoir rempli les procédures, elle m’a présenté deux “office cheques” émis par une banque mais elle les avait fait faire en mon nom personnel. Je comptais reverser ces sommes sur le compte de la compagnie. Mais le lendemain de cette transaction, je devais apprendre qu’elle avait été arrêtée par la police.
PLSL : Pourquoi ?
ND : Pour une affaire de drogue… Le jour où elle est venue acheter le bateau, elle m’avait fait parler à son mari par téléphone.
PLSL : Ah bon ?
ND : Oui, mais je ne le connaissais pas.
PLSL : C’était le 16 mai 2016 ?
ND : Je ne m’en souviens pas.
PLSL : Avec qui vous avez parlé au téléphone ?
ND : La personne m’a dit qu’elle s’appelait Gino et me posait des questions sur les bateaux…
PLSL : Vous avez demandé à la dame comment s’appelait son mari ?
ND : Non, non, cela aurait été déplacé de ma part. C’est lui-même qui m’a dit qu’il s’appelait Gino quand on se parlait.
PLSL : C’est qui ce Gino ?
ND : La cliente m’a dit qu’il était son mari. Par les médias, j’ai appris qu’il s’agissait de Curly Chowrimootoo.
PLSL : Et qui est ce monsieur ?
ND : Un trafiquant de drogue.
PLSL : Quel jour avez-vous eu cette conversation ?
ND : Même après que la femme ait été arrêtée, j’ai continué à recevoir des appels de son mari, Gino. Il m’appelait parce qu’il était intéressé à acheter d’autres bateaux… Je recevais des appels fréquemment. Au point où j’ai dû bloquer le numéro de mon téléphone ! Vous pouvez vérifier tout ce que je vous dis. Mon téléphone est à votre disposition. Vous savez, j’ai reçu de nombreux prix… Pour rien au monde, je ne risquerais mon business. Vous pouvez demander au gouvernement.
PLSL : Vous pouvez vous taire ?! Vous dites que cette femme vous a remis des chèques bancaires. C’était en mai 2016 ?
ND : Oui, il y avait deux chèques.
PLSL : Connaissez-vous le numéro 5858-9860 ?
ND : Non.
PLSL : Vous l’avez effacé de votre téléphone ?
ND : Non.
PLSL : Le nom sous lequel ce numéro est enregistré est un certain Jean-Daniel Cader. Vous le connaissez ?
ND : Non.
PLSL : Cela ne fait rien. Il se trouve que ce numéro qui vous a appelé se trouvait en prison au moment où il communiquait avec vous…
ND : Ah bon ?
PLSL : Le numéro 5852-6910, ça vous dit quelque chose ?
ND : Oui, il est sous le nom de Gino Bato dans mon téléphone.
PLSL : Mo byen sagrin pou ou… Selon nos enquêteurs, ce numéro appartient également à un détenu. Un trafiquant de drogue, encore un ! Son nom, c’est Patrick Serret, alias Polocco. Vous le connaissez ? Vous n’avez affaire qu’à des trafiquants de drogue il me semble… Depuis ce 16 mai 2016, combien de fois vous lui avez parlé ?
ND : Non jamais ! D’ailleurs, j’ai bloqué ce numéro sur mon téléphone.
PLSL : D’après les relevés que nous avons, le 16 mai 2016, de 13h20 à 21h, il y a eu 22 échanges téléphoniques entre Curly Chowrimootoo et vous. Vous travaillez à toute heure ?
ND : En effet ! 24 heures sur 24. Mon numéro est sur Facebook, n’importe qui peut m’appeler.
PLSL : 22 échanges en tout. Pourquoi il vous appelait ? Sa femme avait déjà acheté un bateau… Vous connaissez le nom de sa femme ? Vous avez lu sa carte d’identité ?
ND : Oui…
PLSL : Vous n’avez pas vu qu’il y avait un « P » dans les informations sur cette carte ? C’est une demoiselle Petit. Sa mère a également déposé devant cette commission. Ene carte idantite pa konn lir… Mme Chowrimootoo vous a remis Rs 462 000 en deux chèques et vous avez fait le nécessaire pour qu’elle ait le bateau. Où se trouve ce bateau ?
ND : L’ADSU l’a récupéré.
PLSL : Combien de bateaux vous avez vendu ?
ND : Trois.
PLSL : Ce n’est pas ce qui se reflète sur votre compte bancaire…
ND : Je vous ferais avoir les documents relatifs.
PLSL : Si vos compagnies sont si florissantes – vous dites que vous avez eu des distinctions, entre autres –, pourquoi sont-elles en liquidation ?
ND : Je me suis endetté… Et les affaires vont mal. En 2011, j’ai fait construire un bâtiment qui m’a coûté plus de Rs 35 millions… Puis, j’ai acheté un Turbo Jet…
PLSL : Via quel compte bancaire ont transité ces sommes ?
ND : Le compte bancaire d’Atomix Boats, à la MauBank. Je vous ferais avoir les documents.
PLSL : A quelle heure Mme Chowrimootoo est-elle venue vous voir pour l’acquisition du bateau ?
ND : Il devait être entre 10h30 et 11h. Il y avait plusieurs autres personnes avec elle. Puis elle est revenue vers 16h…
PLSL : À partir de ce numéro de téléphone que je vous ai dit qui vous a contacté de l’intérieur de la prison, ce jour-là, vous avez reçu des messages à 13h20 puis à 18h15. En tout, il y a 13 sms. Ces messages sont toujours dans votre téléphone ou vous les avez effacés ?
ND : J’ai changé de téléphone entre-temps… Écoutez, je ne pensais pas faire quelque chose de mal. Je ne savais pas que cette personne qui me parlait au téléphone se trouvait en prison ! Comment j’y aurais pensé ? Je n’ai jamais eu affaire à la police, moi…
PLSL : Le 17 mai 2016, le détenu Polocco a communiqué avec vous de l’intérieur de la prison à 15 reprises entre 9h15 et 17h40. De quoi avez-vous parlé ?
ND : De bateau !
PLSL : Écoutez-moi bien ! Mme Chowrimootoo vient faire l’acquisition d’un bateau. Elle vous remet deux chèques, vous vendez le bateau. Le même jour, elle se fait arrêter pour une affaire de drogue. Mais son mari et un autre détenu continuent de vous parler au téléphone. Pourquoi ?
ND : Je ne savais pas moi que son mari était en prison ! Il m’a dit s’appeler Gino et voulait des détails sur d’autres bateaux…
PLSL : Ou bann explikasyon vinn bien bankal la !
ND : Je vous ai dit : elle a fait un “down payment”, le bateau était vendu… Mais je ne livre pas le bateau avant qu’il n’ait été poli et que d’autres procédures soient respectées.
PLSL : Elle vous a remis deux chèques d’une valeur totale de Rs 462 000. Où se trouve cet argent ?
ND : Sur mon compte.
PLSL : Donc, l’ADSU doit récupérer cet argent… Il n’est pas à vous cet argent.
ND : Non, en effet.
Paul Lam Shang Leen a donné deux semaines à Nizaar Dowlut pour produire les documents attendus de lui. Il a rappelé au témoin que « ce qui nous intéresse surtout, vu que nous n’avons pas toutes les données concernant vos relevés bancaires et ceux de votre épouse, ce sont ces échanges téléphoniques avec ces deux détenus, qui ne sont nul autre que des trafiquants de drogue ».
Lam Shang Leen presque hors de lui
L’homme d’affaires a failli faire sortir de ses gonds Paul Lam Shang Leen à plusieurs reprises hier. Et pour cause : Nizaar Dowlut a, à diverses reprises, poussé le président de la commission d’enquête sur la drogue à adopter un ton frisant la colère : « Ou kapav aret koze ? », « Écoutez ! » ou encore « Je vous rappelle que vous êtes sous serment ! » Il a fallu à l’ancien juge beaucoup de maîtrise pour ne pas céder à la colère tant les explications de Nizaar Dowlut semblaient tour à tour confus et embrouillées. Paul Lam Shang Leen devait lâcher à un certain moment : « Soit vous êtes naïf, soit vous jouez à l’innocent ! »
Dowlut : « J’ai peur ! »
Le patron d’Atomix Boats et de Poster Graphics Ltd a indiqué, lors de sa déposition hier, qu’il craignait pour sa sécurité. Commentaire qui n’a pas laissé l’ancien juge Lam Shang Leen indifférent !
Paul Lam Shang Leen : Vous avez donné plusieurs “statements” à l’ADSU, n’est-ce pas ?
Nizar Dowlut : En effet.
PLSL : En mai 2016 puis en juin également. Est-ce qu’à un certain moment vous leur avez fait part du fait que vous étiez en conversation téléphonique avec le mari de Mme Chowrimootoo, qui se trouvait lui aussi derrière les barreaux ?
ND : Non.
PLSL : Pourtant, cet homme continuait à vous appeler…
ND : J’avais peur ! Je craignais pour ma sécurité, celle de ma famille, de mes deux fils… Ils me harcelaient au téléphone, je vous l’ai dit. Mais j’ai donné le numéro de téléphone qu’ils utilisaient pour me contacter à la police.
PLSL : Cela ne se reflète pas dans la déposition que nous avons et que vous avez donnée à la police.
ND : Pourtant, je le leur ai dit comment ils m’appelaient tout le temps… Ils cherchaient à acheter d’autres bateaux.
PLSL : Quand est-ce que vous avez commencé à avoir peur ?
ND : Deux ou trois semaines après l’arrestation de Mme Chowrimootoo. Son mari continuait à m’appeler.
PLSL : Je pense que si vous étiez vraiment innocent, vous auriez tout dit à la police. Or, vous ne l’avez pas fait. Vous ne leur avez parlé ni de Chowrimootoo ni de Polocco…
ND : Je ne savais pas qui m’appelait ! Et ils utilisaient divers numéros de téléphone pour m’appeler.
L’homme ajouta également que « s’ils pouvaient m’appeler de l’intérieur de la prison en plein jour, je n’osais pas imaginer ce qu’ils pouvaient me faire, ou à ma famille ».
Au tour de l’assesseur Sam Lauthan de poser des questions à Nizaar Dowlut. L’ancien ministre de la Sécurité Sociale souhaitait ainsi comprendre comment, « alors que sa femme avait été arrêtée, C. Chowrimootoo continuait à vous appeler » au téléphone. « Pour vous parler de quoi ? » A cela, l’homme d’affaires a répondu : « Il n’était pas question de sa femme dans les conversations. Il était intéressé à acheter d’autres bateaux. »
Au Gabon avec… XLD !
Paul Lam Shang Leen a également passé au crible les appels de Nizaar Dowlut passés à l’étranger et s’est intéressé à ses déplacements hors de Maurice. L’homme dit notamment avoir « fait des affaires à Madagascar pour le compte de la compagnie Orange/Mauritius Telecom ». De plus, il s’était aussi rendu au Gabon, « en tant que membre de la délégation officielle de Xavier-Luc Duval, alors ministre des Finances ». Fait qui, dit-il, « remonte à 2014 ».