Au terme d’une semaine très riche en émotion et marquée par la libération des quatre condamnés dans l’affaire de l’Amicale, des révélations de l’ex-présidente de la République devant la commission d’enquête présidée par le juge Asraf Caunhye et les prises de position du “Senior Counsel”, Yousuf Mohamed, nous nous apprêtons à entrer de plain-pied dans les audiences de la Cour internationale de justice qui débutent dans exactement une semaine à La Haye, aux Pays-Bas.
Aujourd’hui, les Chagos sont un sujet qui laisse très peu de Mauriciens insensibles. Cela n’a pas été toujours le cas.
Durant les premières années après l’accession de Maurice à l’indépendance, qui coïncidait avec la période la plus difficile dans la vie des Chagossiens qui avaient été jetés en pâture dans le port après la déportation par les Britanniques, c’était une question pour le moins banale pour les autorités gouvernementales de l’époque. Comme l’ont rappelé Rama Poonoosamy et Nando Bodha lors du lancement du roman historique, L’Archipel des Chagos, écrit par ce dernier, il aura fallu toute l’énergie des gens de bonne volonté et des leaders politiques d’alors, à commencer par Anerood Jugnauth et Paul Bérenger du MMM et des personnalités comme Élie et Sylvio Michel, Kishore Mundil, d’autres personnes de bonne volonté pour mobiliser l’attention de la population et forcer les autorités à s’intéresser à ce drame. C’est d’ailleurs à cette même époque que le droit de Maurice d’exercer sa souveraineté sur l’archipel des Chagos s’est affirmé. On se souvient encore des manifestations, des confrontations avec « gard baton », des grèves de la faim qui avaient dominé l’actualité de ces années de braise.
Avec l’arrivée du MMM au pouvoir en 1982, les discussions avec le gouvernement britannique avaient commencé. C’est à cette même période que l’expression “agree to disagree” était entrée dans le vocabulaire mauricien. Elle concernait l’accord auquel étaient arrivés les gouvernements mauricien et britannique. Jean-Claude de l’Estrac, alors ministre des Affaires étrangères, avait réussi à porter le dossier Chagos devant le mouvement des non-alignés à Delhi et les membres de ce mouvement avaient soutenu les revendications mauriciennes avec une grande majorité. Les mouvements des Chagossiens auquel s’était par la suite joint Olivier Bancoult ont poursuivi leur lutte à Maurice, à Londres, et maintiennent jusqu’à aujourd’hui la pression sur le gouvernement britannique avec des succès et des échecs devant la justice britannique. À force de travail, ils ont réussi à faire en sorte que l’aspect humain soit intrinsèquement lié à l’aspect de souveraineté dans le cadre des revendications concernant les Chagos. Après le succès retentissant remporté aux Nations unies en juin de l’année dernière lorsque 94 pays contre 15 membres des Nations unies avaient adopté une résolution pour solliciter l’avis non consultatif du Conseil international de justice. Le moment crucial est arrivé. Aujourd’hui, il est important, comme le suggèrent Pravind Jugnauth et Olivier Bancoult, que tous les pays soutiennent nos représentants qui n’auraient pas la tâche facile à La Haye.
Si les Mauriciens dans leur ensemble sont conscients de l’importance politique et géopolitique du dossier et comprennent que la décolonisation de Maurice ne sera pas complétée aussi longtemps que le pays ne parviendra pas à exercer sa souveraineté sur les Chagos, les Chagossiens le ressentent différemment. Pour eux, la question des Chagos est ressentie directement dans leur chair pour y avoir vécu et parce que leurs nombrils et ceux de leurs ancêtres sont enterrés dans les terres chagossiennes. Nous souhaitons certes que les délibérations de la CIJ soient en notre faveur. Quel que soit l’avis consultatif donné par la CIJ, il aura tout son poids pour Maurice et pour la Grande-Bretagne. Le Premier ministre a raison de tempérer un peu les débats en précisant que « The request for an advisory opinion is not to be viewed as a confrontation between any States ». Bon an mal an, il nous faudra bien poursuivre nos relations avec la Grande-Bretagne. Ce qu’il faudrait éviter, c’est de créer un espoir exagéré auprès des Chagossiens concernant leur retour dans l’île. Connaissant l’orgueil britannique, nous savons que la route est encore longue, mais il ne faudrait pas pour autant baisser les bras. « Nou pou surmonte », comme le dit la chanson.