L’annonce surprise du Premier ministre, Pravind Jugnauth, concernant l’ouverture des négociations avec la Grande-Bretagne, d’abord aux Chagossiens, au Quai C, puis ensuite officiellement au Parlement dans l’après-midi de jeudi, a été accueillie avec soulagement à Maurice. Il semblerait que le même sentiment ait prévalu dans l’opinion publique britannique après la déclaration écrite du Foreign Secretary James Cleverly.
Le Guardian, fervent défenseur de la lutte chagossienne, et qui faisait partie de la visite effectuée par la délégation mauricienne aux Chagos cette année, parle de « revirement majeur de politique après des années de résistance et de défaites juridiques devant les tribunaux internationaux ». Les gouvernements britanniques et mauriciens affirment que leur objectif est de parvenir à un accord en début d’année prochaine.
Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer pour que les deux parties acceptent de s’asseoir à la table des négociations. Les rhétoriques officielles, aussi bien de Maurice et de la Grande-Bretagne, ont jusqu’ici été caractérisées par une intransigeance marquée. Maurice n’a pas hésité à accuser la Grande-Bretagne de « crime contre l’humanité ». Pas plus tard qu’en septembre dernier, devant l’Assemblée générale des Nations unies, Pravind Jugnauth n’y avait d’ailleurs pas été avec le dos de la cuillère en affirmant que le droit international ne peut être appliqué de manière sélective. « Il est déplacé de la part du Royaume-Uni d’appeler Maurice et d’autres pays africains à répondre à d’autres allégations d’occupation illégale lorsqu’il occupe illégalement une partie de l’Afrique », avait-il lancé.
La résistance britannique par rapport aux Chagos a été mise à mal systématiquement par Maurice au niveau du droit international ces dernières années. On se souvient en effet que Maurice avait obtenu gain de cause devant la Cour internationale du droit de la mer, qui avait rejeté l’idée de la création d’une zone marine protégée par la Grande-Bretagne autour des Chagos, à l’exception de Diego Garcia. En 2019, la Cour internationale de justice, la plus haute juridiction de l’Onu, avait, elle, statué que la poursuite de l’occupation britannique des îles était illégale et que les Chagos faisaient légitimement partie de Maurice.
Le Royaume-Uni a néanmoins ignoré cette décision, au motif qu’elle était consultative. Mais Maurice n’a à aucun moment jeté l’éponge et a mené une campagne systématique au sein des organisations internationales pour les amener à exclure le BIOT et reconnaître la souveraineté mauricienne sur les Chagos. L’année dernière, le Tribunal international du droit de la mer, basé à Hambourg, avait statué que la revendication britannique sur l’archipel était illégale, mais le Royaume-Uni avait là encore également refusé d’accepter cette décision. La décision des Maldives de soutenir Maurice contre la Grande-Bretagne concernant les Chagos a privé cette dernière d’une des dernières cartes dont elle disposait dans la région. La situation de la Grande-Bretagne sur le plan géopolitique était devenue intenable.
Dans sa déclaration au Parlement jeudi, Pravind Jugnauth a considéré que « par le biais de négociations, en tenant compte de procédures judiciaires pertinentes, nous avons l’intention de parvenir à un accord sur la base du droit international pour résoudre toutes les questions en suspens, y compris celles relatives aux anciens habitants de l’archipel des Chagos ». La décision d’engager des négociations tient en ligne de compte un ensemble de facteurs pour relever les défis de sécurité régionaux et mondiaux auxquels nous sommes tous confrontés. Il faut également noter la référence du Premier ministre aux intérêts des États-Unis et de l’Inde, qui seront tenus informés des progrès. Est-ce que ces deux pays ont joué un rôle dans ce qui est en train de se passer ?
Il ne faut cependant pas croire que les négociations seront faciles. Comme le disait vendredi l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam, il faut être vigilant face à un interlocuteur de la trempe du Royaume-Uni. La création d’un front uni gouvernement/opposition sur ce dossier aurait projeté l’image d’une île Maurice solidaire concernant les Chagos.
Néanmoins, il est bon que le chef du gouvernement se soit assuré du soutien de l’Union africaine pour l’achèvement de sa décolonisation. Nous sommes tous témoins du déroulement de l’histoire concernant la dernière colonie en Afrique. En tant que patriote, nous sommes solidaires des autorités mauriciennes et nous souhaitons qu’elles mettront toutes les chances de leur côté. Souhaitons que nous ne soyons pas victimes d’une “crisis of expectations”.
JEAN MARC POCHÉ