Camille Vital, ambassadeur de Madagascar :« L’agrobusiness demeure l’avenir des îles de l’océan Indien »

Madagascar s’apprête à célébrer lundi le 63e anniversaire de son accession à l’indépendance, datant de 1960. À cette occasion, une journée de célébrations est prévue au Plaza dans la journée de deain. Elle sera suivie d’une réception organisée lundi à la salle des fêtes de la municipalité de Curepipe. Le-Mauricien a rencontré Camille Vital, ambassadeur de Madagascar à Maurice, avec juridiction sur les Seychelles, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan et le Bangladesh.

- Publicité -

Camille Vital a été Premier ministre de la transition malgache de 2009 à 2011 et ambassadeur en Suisse avant d’être nommé à Maurice. Il en profite pour dire sa reconnaissance à Maurice pour avoir été un des premiers pays de l’Union africaine à reconnaître Madagascar durant la période de transition. Il se dit convaincu que les deux pays, qui ont des relations très étroites dans le domaine politique et économique, peuvent développer un partenariat stratégique et économique exemplaire dans la région de l’océan Indien. Il s’appesantit aussi sur le fait que « l’agrobusiness demeure l’avenir des îles de l’océan Indien ».

Madagascar célèbre ce lundi le 63e anniversaire de son indépendance. Comment se présente la situation à Madagascar tant en termes politique qu’économique ?
Comme pour tous les pays qui sortent de la colonisation, il a toujours été difficile d’aborder l’avenir. Il y a eu des hauts et des bas. Madagascar a accédé à son indépendance le 26 juin 1960. Tant bien que mal, les régimes se sont succédé pour gérer le pays de leur mieux en fonction des responsabilités qu’ils ont assumées. Il y a toujours des failles dans beaucoup de choses, surtout dans les domaines politique et économique d’autant plus qu’en ce moment le monde entier subit les retombées de la crise mondiale.
Nous avons été affectés par le Covid-19 pendant deux ans et demi à trois ans. Nous vivons actuellement la guerre entre la Russie et l’Ukraine qui a des retombées sur beaucoup de pays, et surtout des pays comme Madagascar. Tant bien que mal, les dirigeants malgaches essaient de remettre le pays sur les rails, que ce soit dans les domaines politique et économique. Notre pays a 63 ans et à cet âge, une personne a beaucoup d’expérience. Mais toujours est-il qu’il y a encore beaucoup d’obstacles à surmonter comme partout dans le monde.

Il y a eu beaucoup de changements ces dix dernières dans la Grande Île. Pouvez-vous nous en parler ?
Madagascar a connu trois présidents, si ma mémoire est bonne, en 2001, 2002 et 2007. En 2009, le pays a vécu un mouvement populaire. Le président Marc Ravalomana a été contraint de démissionner et de remettre le pouvoir aux militaires. Ces derniers ont remis le pouvoir au président Andry Rajoelina qui assure la transition jusqu’en 2013. À partir de 2014 jusqu’à 2018, c’est Hery Rajaonarimampianina qui assurera le pouvoir jusqu’aux élections de septembre 2018. À la suite des élections présidentielles, Andry Rajoelina revient au pouvoir en 2019. Il approche la fin de son mandat. Le pays est en train d’organiser les prochaines élections présidentielles.

Le premier tour doit avoir lieu le 9 novembre et le second tour le 20 décembre. Ces élections s’organisent comme cela se doit. Le Comité électoral national indépendant se prépare et s’organise. Il procède actuellement à la révision des listes électorales.
Comme prévu par la Constitution, le président doit déposer sa démission 90 jours avant la date du premier tour. Cela devrait se passer au mois de septembre. Suivant la Constitution, c’est le président du Sénat qui assure l’intérim et l’organisation des élections. Chacun est libre de donner son opinion par rapport à ce qui se passe. Comme vous le savez, un régime qui n’a pas d’opposition ne peut pas évoluer. La présence de l’opposition permet au régime qui gouverne de modifier sa démarche en cas de critiques.

Vous êtes affecté à Maurice depuis plus de trois ans. Est-ce que vous vous êtes bien intégré dans la population ?
Je suis à Maurice depuis trois ans et demi et suis Mauricien de cœur. Ma reconnaissance envers Maurice n’engage que moi. Je suis passé à Maurice en 2010 à un moment où le gouvernement de transition n’avait pas été reconnu par l’Union africaine. Maurice a été un des premiers pays membre de l’Union africaine à avoir reconnu le régime de transition. À cette époque, j’étais dans le gouvernement. C’est une démarche qui m’a poussé à avoir des affinités avec les Mauriciens. J’ai beaucoup d’amis mauriciens et les trois années de mon affectation se sont très bien passées.

Maurice reconnaît Madagascar comme un pays de peuplement. Comment cela vous interpelle ?
Maurice et Madagascar ont toujours été en très bons termes. À mon humble avis, la coopération entre ces deux îles devrait être un modèle dans l’océan Indien. Malgré sa dimension par rapport à Madagascar, Maurice connaît un développement à vitesse grand V.
Tenant compte du fait que Madagascar compte 27 millions d’habitants contre 1,3 million à Maurice et que sa superficie, plus grande que la France et 300 fois plus grande que Maurice, il y a une différence en termes de gestion. Cela n’empêche que Maurice et Madagascar travaillent sur une base d’égalité et entretiennent de très bonnes relations. Tenant compte de la situation économique mondiale, nous multiplions nos efforts pour renforcer davantage nos relations, surtout économiques et commerciales.

Quels sont les points forts de ce partenariat entre nos deux pays ?
Maurice vient de prendre le relais de la présidence de la Commission de l’océan Indien (COI). Il y a eu un passage de flambeau récemment. Cela continue dans le bon sens pour voir ce qu’il faut faire par l’intermédiaire de la COI.
En ce moment, des efforts sont faits pour consolider la sécurité maritime. J’ai eu l’honneur et le plaisir de rencontrer le Premier ministre mauricien, Pravind Jugnauth, qui demandait à voir avec les autorités malgaches, ce qu’il fallait faire suivant la crise mondiale.
Il existe un très gros potentiel dans le domaine de l’agrobusiness qui devrait être exploité davantage. Maurice importe beaucoup de produits alimentaires d’Australie, d’Égypte ou d’Afrique du Sud alors qu’à Madagascar on peut bien exploiter le domaine agricole. Et la traversée en mer entre les deux pays est de 24 heures. Nous sommes conscients que le fret maritime a augmenté de plus de sept fois. Il fut un moment où le ministre des Affaires étrangères nous avait annoncé que deux navires seraient utilisés pour résoudre de problème de transport maritime. Nius attendons.

Est-ce que vous considérez ce projet comme prioritaire ?
Cela devrait se faire en premier lieu entre Maurice et Madagascar et l’impact et les retombées sur les autres îles seraient considérables. Cela permettrait de raffermir les relations entre les îles.

La Grande Île est présentée comme le grenier de l’océan Indien. Maurice a d’ailleurs pendant longtemps importé le riz de Madagascar. Comment se présente la situation aujourd’hui ?
Vous parlez de riz mais il y avait beaucoup d’autres choses. Il y avait les étudiants mauriciens qui venaient dans les universités malgaches. Air Mad louait des avions à Maurice pour assurer la liaison avec Maurice. Maintenant, cela se fait dans le sens inverse. Aujourd’hui, les opérateurs mauriciens font venir de la main-d’œuvre malgache. Ils sont environ 6 000 employés malgaches à Maurice. Nous voyons actuellement avec le ministère de tutelle comme faire pour améliorer les choses dans ce domaine.

Vous êtes au courant que le gouvernement a assoupli les conditions pour le recrutement de la main-d’œuvre étrangère…
Cela arrange les opérateurs mauriciens compte tenu du fait que la main-d’œuvre malgache n’est pas trop chère. À ma connaissance, les Malgaches sont déterminés à travailler. Vu la forte densité de la population, il est préférable pour beaucoup de Malgaches de venir travailler ici.

Le traitement des travailleurs étrangers est parfois critiqué. Est-ce que vous avez reçu des plaintes de la part de vos compatriotes ?
À ce propos, il est intéressant de noter qu’il y a un accord conclu entre les autorités malgaches et la MEXA concernant un code de conduite relatif à l’emploi des travailleurs malgaches. Il est toutefois plus difficile d’intervenir en ce qui concerne les emplois des marins.

Plusieurs entreprises mauriciennes ont délocalisé une partie de leur production à Madagascar. Est-ce cette démarche est encouragée par les autorités malgaches ?
C’est vrai, notamment dans le domaine du textile. Le groupe CIEL a toujours été fidèle à Madagascar. Malgré les différentes crises que nous avons vécues, le groupe CIEL a toujours été présent. Il y a aussi d’autres usines qui sont installées dont la CMT. On parle actuellement des investissements dans le domaine de la santé qui seront les bienvenus. Nous observons également l’arrivée des entreprises dans le domaine des TIC.
Nos savons qu’il y a près de 130 entreprises avec des associés majoritaires de nationalité mauricienne. Les principaux domaines sont l’import-export, la prestation de services, l’industrie électrique, l’industrie textile et le commerce en gros et de détail.

Il y a un projet de développement de zone économique spéciale sur 90 hectares, prévu sur Moramanga, située le long du principal corridor économique reliant la capitale Antanarivo au port de Toamasina. Les responsables sont en contact. Comme vous le savez, le Covid a retardé beaucoup de choses et plusieurs projets. Il n’y avait pas de liaison aérienne entre nos deux pays. Elle a repris graduellement. Nous sommes passés de trois à cinq fréquences. En juillet, Air Madagascar introduira deux vols par semaine. Ce qui permettra d’avoir des vols quotidiens entre nos deux pays.

Il est connu que Maurice jouit d’une très bonne réputation dans le domaine touristique, qui est un pilier économique ici. Les représentants mauriciens étaient présents à la Foire internationale du Tourisme à Madagascar. Les autorités des deux pays ont eu des pourparlers concernant le raffermissement de nos échanges. J’espère que cela débouchera sur des investissements mauriciens à Madagascar. On ne peut pas accuser les autorités mauriciennes, il faut également voir du côté malgache. La terre est très sensible à Madagascar.

Mais laissez-moi vous dire qu’on ne construit pas une zone économique du jour au lendemain. C’est un projet complexe qui tient compte de beaucoup d’éléments. À trop se presser, on peut créer des éléphants blancs. Il ne s’agit pas uniquement de construire des bâtiments. Il faut prendre en considération les services d’utilités publiques, les routes, et surtout les ressources humaines qui devraient être acheminées dans la région. Ce qui nécessite la création des logements aussi bien pour les cadres que pour les travailleurs, etc. C’est comme s’il fallait créer tout un développement immobilier. Si on avance trop vite, on peut casser le nez. Il faut prendre le temps qu’il faudrait.

Est-ce qu’une forme de promotion commune peut être envisagée ?
Une coopération se manifeste à travers une relation commune. Le partenariat Madagascar/Maurice devrait être la pierre angulaire du développement touristique au sein de l’océan Indien. Nous savons qu’il y a des projets hôteliers en cours.

Quels sont les autres potentiels d’investissement pour les Mauriciens à Madagascar ?
Madagascar a des terres et de la main-d’œuvre et Maurice dispose d’une connaissance technique et d’équipements agricoles. Suivant ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine, il y a une pénurie en blé. Or, Madagascar dispose de l’espace nécessaire pour en produire. Pourquoi ne pas développer ce secteur en partenariat avec les opérateurs malgaches ? Vous pouvez imaginer ce qui peut être fait sans qu’il y ait des océans à traverser. L’agrobusiness reste l’avenir des îles de l’océan Indien.

Comment se portent les échanges commerciaux entre no les deux pays ?
Maurice est le 15e pays où Madagascar exporte le plus de produits. En 2022, la valeur des exportations s’élevait à USD 38 272 000. Elles concernaient notamment le café, le thé, les épices, la grasses et l’huile animale, le coton. Il y a aussi la vanille, le girofle, les haricots secs, entre autres.
Cependant Maurice est le neuvième pays fournisseur de Madagascar. La valeur des importations de Maurice est estimée USD 153 164 000. Elle concerne des produits comme le textile, la bonneterie, les fils de laine, les matières plastiques et les ouvrages réalisés avec ces matières, les produits alimentaires, le sucre de la canne, etc.

Est-ce qu’il y a beaucoup accords de coopération qui ont été signés ces dernières années ?
Il y a eu plusieurs accords conclus entre 2018 et 2019. Il y a un accord portant sur la création d’une commission mixte entre nos deux pays et une première réunion a eu lieu en 2018. Il devrait y avoir une nouvelle réunion bientôt. Elle devait intervenir cette année ou l’année prochaine.

Quid des relations dans le domaine culturel ?
Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas visibles. Il y a une coopération dans le domaine de l’anthropologie. Il y a des anthropologues qui font le va-et-vient entre Madagascar et Maurice. Nous apportons une importante coopération dans la mise en place du musée intercontinental de l’esclavage. Il ne faut pas oublier que Ratsitatane fait partie des légendes mauriciennes.
Par ailleurs, il faut signaler que les Jeux des îles de l’océan Indien sont prévus cette année à Madagascar et que les athlètes sont en pleine préparation.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -