Le dimanche 9 avril dernier, le cardinal Maurice E. Piat célébrait la messe de Pâques à la prison des femmes de Beau-Bassin. Loin d’être une première, la présence du chef de l’Église catholique à Maurice auprès des détenues, « au même titre qu’il est toujours présent auprès de ceux qui souffrent partout dans le pays », est une constante chez le cardinal Piat. « Cela fait des années qu’il est présent sur le terrain et qu’il découvre personnellement ce qui se passe dans le pays. Aussi, quand il est témoin d’injustices et de souffrances, il fait son devoir premier, qui est d’annoncer la bonne nouvelle et de dénoncer ce qui ne va pas », explique Cadress Rungen. Ce travailleur social de longue date, diacre et infirmier de carrière au sein des institutions pénitentiaires, accompagnait le cardinal Piat ce dimanche de Pâques.
« L’Église catholique est un partenaire de l’État. De tout temps, l’Église a pris la parole pour dénoncer, certes, mais a aussi et surtout soutenu le tout par des actions. » Il cite à cet effet, « la création des écoles RCA ou les collèges Lorette, les refuges comme l’Abri de Nuit, pour les SDF, le Centre d’accueil de Terre-Rouge (CaTR) et le Centre de solidarité pour une nouvelle vie (CDS), ou encore la structure Lakaz A du Groupe A de Cassis ».
Vous étiez aux côtés du cardinal Piat dimanche à la prison des femmes. Racontez-nous comment cela s’est passé…
C’était une fois de plus un moment d’immense joie partagée ! Tout était parfait : l’Officer in Charge, Mme Dwarka, ainsi que la DCP G. Aubeeluck ont, avec le soutien des officiers affectés à la prison des femmes, ainsi que les détenues, été aux petits soins pour préparer une messe de Pâques inoubliable. C’était un moment intense, avec beaucoup de ferveurs et d’émotions. La chorale s’était bien préparée et je dois dire que les détenues, de toutes les communautés, ont participé. En cela, c’est une chose très spéciale et particulière lors des célébrations dans les prisons, quelles que soient les fêtes et coutumes, selon les religions. Tout le monde participe et il y a une grande communion.
Ce dimanche, une chose encore qui nous a beaucoup émus, c’est quand les détenues malgaches faisant partie de la chorale chantaient dans leur langue maternelle. Nous sentions l’émotion à son apogée, car elles chantaient très fort et mettaient énormément de passion dans leurs voix. C’était un grand moment d’humanité. À la fin de la messe, détenues comme officiers voulaient tous se prendre en photo avec le cardinal, et les uns et les autres voulaient lui faire la bise, lui embrasser les mains… ! Pour lui, qui est de nature très timide et réservée, ce n’était pas habituel. Ça faisait du bien de voir autant de joie, de bonnes vibrations.
Était-ce la première fois que le cardinal célébrait une messe en ces lieux ?
Pas du tout ! Mgr Piat célèbre souvent des messes dans l’enceinte des prisons, que ce soit pour la fête de Pâques ou pour la Noël. À la prison des femmes, je crois bien que c’était la 4e ou 5e fois qu’il y célébrait une messe. Ce genre d’effusion de joie, de sentiments et d’émotions est toujours palpable quand le cardinal Piat vient officier à une cérémonie religieuse. Il faut pour cela comprendre la psychologie de la chose. Les détenus sont enfermés pour X raisons.
Entre ces quatre murs, ils sont seuls. Dans nombre de cas, quand ils ont été arrêtés, et jusqu’à ce qu’ils soient jugés, condamnés et purgent leur peine, leurs proches et parents les ont rejetés. Surtout quand il est question d’un délit lié à la drogue. Cet isolement, cet enfermement, chacun le vit à sa façon. Imaginez maintenant combien c’est encore plus dur pour les femmes !
Les officiers ont une grosse part de travail à soutenir et aider ces êtres humains. La particularité avec le cardinal Piat, c’est son humanisme. Sa simplicité et son approche rendent chacun de ces détenus vivants. L’ayant souvent accompagné, dans nos prisons comme dans la communauté, je sais et je vois comment, quand il célèbre une messe, quand il approche les personnes présentes, chacun se sent revivre. Cela parce qu’il aura eu des mots qui touchent et qui revalorisent ces êtres humains. Il déclenche les ondes positives chez chacun de par son approche simple et naturelle.
La prison a donc une place spéciale dans le cœur du cardinal ?
Très spéciale, oui. Il se fait un devoir de rester au courant, d’une part en s’entretenant régulièrement avec l’aumônier, et surtout en s’y rendant personnellement. Le cardinal Piat visite très souvent, tout au long de l’année, dans les différentes prisons de l’île. Melrose, Beau-Bassin, la New Wing… Ce sont des endroits qu’il fréquente sans qu’il y ait de festivités ou autres. Il y va pour écouter les détenus, découvrir leurs souffrances et entendre leur parole. Il a une oreille très attentive à ces réalités. Et il en va de même pour son engagement dans la société.
C’est un homme qui se déplace le plus simplement possible, sans garde du corps ni chauffeur. Pourtant, il a droit à ces facilités de par son statut de cardinal. Mais il mène une vie très simple et remplie : ça, c’est sa nature et sa philosophie. Il se met au volant de sa voiture et se rend aux quatre coins de Maurice pour y rencontrer des citoyens, les écouter, partager un moment avec eux. Tout comme quand il manque un prêtre pour célébrer une messe, quelque part dans l’île, il n’hésite jamais et saute dans sa voiture pour s’y rendre. Même si cela fait plusieurs kilomètres de routes ! Malgré son âge, il ne recule devant rien. Il aurait pu rester chez lui ou à l’Évêché, et lire les journaux et dire que ceci ne va pas, ou cela ne va pas. Mais cela, ce n’est pas lui. Il ne vit pas dans une tour d’ivoire.
Depuis ses récentes déclarations sur l’actualité brûlante du pays, le cardinal Piat est sujet à nombre de commentaires et de critiques. Quelle lecture avez-vous de cela ?
La prière première, la mission prioritaire du religieux, c’est d’apporter la bonne nouvelle et de dénoncer les injustices et les souffrances dont il est conscient, et dont il est témoin. C’est ce que fait le cardinal Piat. Et cela ne date pas d’hier. Depuis très longtemps maintenant, cet homme est présent sur le terrain auprès de toutes les communautés. Ce qui le permet de prendre position et de soutenir les uns et les autres dans les moments et les difficultés que nous traversons.
Et d’ailleurs, avant lui, nous avons eu le cardinal Jean Margéot, Mgr Amédée Nagapen… Ces hommes d’Église sont avant tout des hommes de terrain. Ce que le cardinal Piat a fait, c’est prendre une position solide et franche. Il a eu l’audace d’envoyer un signal fort, de leadership solide. Émettre des constats, comme il l’a fait, ne veut pas dire qu’on est en opposition avec quelqu’un ou quelque autorité. Exprimer une appréciation d’une situation est une lecture. C’est donner sa perception des choses, et entamer ainsi le dialogue. C’est de cette manière que nous avançons, que nous développons des projets. L’Église est un partenaire de l’État. Elle l’a toujours été. Mais ce rôle n’implique pas qu’elle reste silencieuse ou se taise si elle est témoin de situations qui méritent que l’on s’y attarde, parce que ces situations causent des torts et des souffrances.
Travail social et religion… Les deux marchent ensemble, selon vous ?
Tout à fait ! D’ailleurs, l’Église, par exemple, ne fait pas que de parler et dire ce qui ne va pas. Je prends les exemples dans le temps. L’éducation, les écoles catholiques, les collèges Lorette et autres… L’Église a vu loin et a investi et créé ces structures. Dans le social, avec le phénomène des Sans domicile fixe (SDF), encore une fois, c’est l’Église qui lance les refuges Abris de Nuit ! Quand nous avons commencé à avoir des victimes de la drogue, du Brown Sugar, dans les années 80’, c’est le père Labour qui vient me chercher, avec d’autres amis. On s’installe dans les locaux qui sont devenus le CaTR. Nous n’avions aucune formation. Le cardinal Margéot, lors d’une visite au Vatican, en profite pour visiter les associations italiennes qui s’occupent des toxicomanes. Et c’est ainsi qu’il découvre le Projet Homme, qu’il importe ici et devient le CDS ! De nos jours, il y a la structure Lakaz A du Groupe A de Cassis. Sans le soutien du diocèse, nous n’aurions pas cet espace pour recevoir les malades du sida, les victimes du commerce sexuel et ces autres marginaux de la société.
Comment se porte la société mauricienne, d’après vos rencontres avec les victimes de drogues, les malades du sida, SDF et autres détenus ?
Notre peuple souffre énormément. Quand le cardinal Piat a dit, l’autre jour, qu’il pleure, ce n’était pas une formule, une figure de style. Il a véritablement versé des larmes. Il a rencontré en plusieurs occasions des groupes de parents de toxicomanes. Il est même venu à nos week-ends SEL avec des parents au Foyer Fiat. Il a entendu leurs cris de détresse. Il les a vus pleurer, crier leur peine. Il les a pris dans ses bras. Il en a rencontré d’autres au diocèse. À chaque fois, il ne peut rester insensible. Ces parents qui vivent des drames au quotidien, leurs enfants qui les frappent, et qui eux aussi souffrent, parce qu’ils sont devenus des esclaves de ces drogues, ces jeunes qui vendent des drogues, tandis que d’autres s’adonnent au commerce sexuel… Ces cancers qui rongent la société mauricienne n’augurent rien de bon en effet.
Mais nous avons l’espérance, l’espoir, parce que nous avons parmi nous des jeunes qui veulent sauver les autres de ces pièges. Et avec la cherté de la vie, les effets de la pandémie de Covid-19, les pressions de plus en plus fortes sur tout un chacun, les frictions sont légion. Il nous faut une solidarité entre tous les partenaires : l’État, la société civile, les chefs religieux de toutes les communautés, l’opposition… Si tout le monde accepte de joindre leurs efforts et voir dans la même direction, nous pouvons nous en sortir. Nous avons besoin d’un leadership fort, comme le cardinal Piat l’a fait en venant de l’avant et en prenant position franchement.
Le mot de la fin…
Nous devons arrêter de nous voiler la face. Nous devons cesser d’être individualistes et égoïstes. Nous sommes à un carrefour important de nos vies; il en dépend de l’avenir de nos enfants et petits-enfants. Est-ce que nous allons laisser la drogue, la mafia, la corruption et tous ces maux nous voler nos vies ? Ou réagir comme il le faut ?
Propos recueillis par
Husna Ramjanally