Michel Jourdan
Est-ce du fait de nos évidentes affinités culturelles ancestrales ou, plus prosaïquement, d’intérêts immédiats, mais il est un fait indéniable que l’Inde continue d’investir massivement à Maurice, toutes proportions gardées au vu de la taille de notre territoire, bien entendu. Outre le projet Metro Express, la Grande Péninsule s’engage en effet dans notre pays sur plusieurs dossiers, de plus ou moins d’importance, positionnant ainsi, jour après jour, stratégiquement ses pions sur notre échiquier local, ou plus exactement sur la scène africaine. De prime abord, tout cela semble éminemment louable, quels qu’en soient les bénéfices dont peuvent en tirer les Indiens. Car il va sans dire que si Delhi paraît si généreuse avec Maurice, ce n’est évidemment pas du fait des liens culturels et religieux qui nous unissent, quand bien même ceux-ci sont-ils rappelés à la moindre occasion, mais plutôt pour des questions bassement économiques. Mais bon, là encore, qui pourrait reprocher à un chef d’État de donner primauté aux intérêts de sa nation, n’en déplaise à sa « petite sœur de l’océan Indien » ?
En réalité, la principale question à se poser, en termes « d’entraide » internationale, est de situer les véritables enjeux, en l’occurrence de savoir si les termes des accords passés sont équitables et profitent réellement aux deux parties. Dans la conjoncture, l’on peut sans aucun doute possible conclure que les intérêts indiens sont principalement mus par la volonté de Delhi de partir à la conquête du marché africain, Maurice bénéficiant à cette occasion d’un positionnement géostratégique plus que parfait. D’autant que les Chinois sont aussi sur le coup, en attestent les prêts et autres dons également consentis à Maurice par Pékin. Somme toute, il ne s’agit que des prémices d’une future guerre commerciale entre ces deux géants, et dont notre pays pourrait sortir gagnant.
Si ces accords passés avec la Grande Péninsule ne sont donc pas en soit contestables, ce qui l’est, en revanche, c’est la traduction, sur le terrain, de leurs financements. Sur ce point, la question de l’identification des dossiers prioritaires est éminemment cruciale. Bien sûr, certains pourront toujours, et avec raison, remettre en question la pertinence du projet Metro Express et se demander s’il n’y avait pas d’autres items de portée nationale où l’on aurait pu injecter ces mêmes capitaux indiens. Quoi qu’il en soit, les dés sont jetés depuis longtemps déjà, et les travaux bien engagés.
Il en est de même avec les projets infrastructurels à Agalega, où la construction d’une piste d’atterrissage et d’une jetée est annoncée comme imminente, là encore avec l’aide du gouvernement indien. Sur cet item, deux questions apparaissent comme importantes : 1) quels bénéfices en tireront les indiens ? Et 2) Maurice n’aurait-elle pu entamer elle-même ces travaux ? À la première question, nous n’avons pour l’heure aucune réponse, si ce n’est que les rumeurs selon lesquelles les Indiens verraient en Agalega un potentiel site militaire stratégique ont été balayées à la fois par la partie mauricienne et par Delhi. Quant à la seconde, il semble évident que le gouvernement central aurait pu (et dû) depuis longtemps consentir des investissements infrastructurels dans l’archipel, et donc sans attendre l’intervention de Delhi. D’autant que c’était de « Sa » responsabilité. Cinquante ans après notre indépendance, la pertinence de notre autonomie apparaît de fait, sur ce dossier précis, quelque peu hypothéquée. Autre question : avions-nous aussi besoin d’attendre les Indiens pour offrir à notre Cour suprême un bâtiment digne de cette plus haute instance judiciaire du pays ?
Est-ce à dire que l’on ne doive plus traiter avec Delhi, ni même accepter quelconque donation ? Non, bien sûr. Pour autant, avant toute chose, il importe de bien peser le pour et le contre des propositions avant d’apposer toute signature sur le moindre accord. Qu’il s’agisse de l’Inde comme de la Chine, ou d’autres nations, les liens culturels qui nous unissent ne peuvent en effet être les seuls garants d’une « bonne affaire ». N’en déplaise au ministre des Terres et du Logement, Mahen Jhugroo – qui remerciait lors d’un récent événement au port le Premier ministre indien, Narendra Modi, « ki donn nou larzan pou nou developman » –, aucun chef d’État ne « donne jamais rien » sans obtenir de contrepartie, que ce soit en termes économique, d’accords ou par pure capitalisation politique.
Il est grand temps pour Maurice aujourd’hui d’assumer pleinement son indépendance. Clairement, cela ne signifie aucunement de devoir adopter une politique isolationniste, mais, en revanche, de ne recourir aux investissements d’État étrangers qu’en cas d’impérieuse nécessité. En d’autres termes, il s’agit avant tout de faire prévaloir le bon sens avant de s’investir dans quelconque engagement. Au risque, sinon, de se voir un jour, d’une manière ou d’une autre, présenter la facture !