Phénomène très à la mode à Maurice depuis l’avènement des radios privées, il y a plus de 15 ans déjà, les émissions dédiées aux critiques citoyennes sur des sujets d’actualité font recette. Ainsi, chaque semaine, les auditeurs se pressent de donner leur interprétation de problèmes ayant récemment surgi et touchant différentes thématiques, qu’elles soient politiques, sociales ou, bien que plus rarement, économiques. Cet espace démocratique qui leur est loué par les radios privées, mais aussi par la presse écrite, est évidemment d’une importance capitale, principalement du fait de l’absence de « libre parler » sur les ondes de la MBC, plus que politiquement orientée faut-il le rappeler, en sus du manque navrant d’une chaîne de télévision privée. Pour autant, ces marques de réprobation exprimées sur le vif par nos citoyens sont-elles toujours pertinentes ? La réponse, bien que pouvant surprendre tant elle semble dénoter de cette perception populaire selon laquelle le citoyen lambda serait dénoué de tout bon sens, est « oui » ! Bien entendu, les dérapages sont légion. Reste que beaucoup aussi expriment des opinions éclairées, il est vrai pas toujours appuyées par un argumentaire proprement formulé, mais finissant malgré tout par atteindre son but : mettre le doigt là où ça fait mal !
Aussi, faut-il en convenir, les Mauriciens – toutes couches sociales confondues – sont intelligents. Qu’il s’agisse de politique, de problématiques sociales, de développement ou d’irrationalité décisionnelles prises par nos instances publiques, ils savent parfaitement faire la distinction entre « ce qui est bien » et ce qui l’est moins, voire ce qui ne l’est pas du tout. À titre d’exemple, nous pourrions citer le cas du projet Metro Express, qui aura attisé toutes les passions dans le sillage de son annonce et qui, quelques mois après le début des travaux, aura donné lieu aux plus vives critiques citoyennes, que ce soit sur le chaos généralisé à Rose-Hill ou l’apparente absence de plan directeur concernant la gestion du trafic, pour ne citer que ces seuls points. Encore une fois, il ne s’agit ici que d’un exemple, bien que pas forcément le plus frappant, mais qui symbolise parfaitement le ras-le-bol généralisé sur une problématique donnée.
Le nombre d’interpellations sur les ondes des radios privées devrait à ce titre attirer davantage l’attention des autorités, car en marquant leur totale désapprobation à ces questions précises, les Mauriciens entendent bien rappeler à nos décideurs que les postes qu’ils occupent ne sont pas permanents et qu’une fois le coup d’envoi des élections générales donné, ils ne leur feront aucun cadeau, quand bien même auraient-ils voté pour eux au dernier scrutin. Leur redisant, s’il le fallait encore, qu’en politique, rien n’est acquis et que leurs partisans peuvent changer de casquette plus facilement encore que les élus.
L’histoire récente nous montre en effet que les Mauriciens ne sont pas dupes et qu’ils ne comptent rien passer à ceux qui les dirigent. Malheureusement, il faut dans le même temps reconnaître que notre mémoire politique peut quelquefois se révéler défaillante. Prenons pour preuve les élections de 2014, qui avaient mis fin, presque contre toute attente, au règne de Navin Ramgoolam à la tête du gouvernement. Ce qui n’empêche pas ce dernier, quatre ans plus tard, de se retrouver dans une position politique bien plus confortable à l’approche des prochaines élections générales, un nombre de plus en plus croissant de Mauriciens semblant en effet prêts à oublier ses frasques passées.
L’on peut par ailleurs aussi se désoler que les Mauriciens n’arrivent à exprimer leur mécontentement que par les seuls espaces qui leur sont offerts sur les radios privées et dans les colonnes de certains journaux, à l’instar de la rubrique Forum du Mauricien, ou par la voie des urnes. À ce titre, il convient de rappeler que la grogne populaire peut choisir d’autres chemins, à commencer par celui de la rue. C’est un fait, le Mauricien lambda n’a pas la culture de la manifestation, en atteste le peu d’engouement que ces dernières suscitent dans la majeure partie des cas. À la seule exception peut-être des grèves de la faim, organisées occasionnellement, mesure extrême que l’on ne peut généralement pas cautionner et qui, de toute façon, ne concerne à chaque fois qu’une relative minorité de personnes puisque centrée sur une problématique d’autant restrictive.
Sur ce point, les syndicats, associations et Ong ont évidemment un rôle à jouer. Plus que de s’attaquer à une catégorie de personnes, des travailleurs le plus souvent, ceux-ci devraient en effet apprendre à fédérer, et avec bien plus de conviction, autour d’une cause nationale. Alors peut-être pourrions-nous descendre dans les rues – faut-il le dire, de manière pacifique – pour faire entendre la voix du peuple. Et ainsi espérer ramener les politiques sur la voie de la raison !