Cassam Uteem : « La séparation des pouvoirs est mise à mal par un Exécutif tentaculaire »

Dans cette interview accordée à Le-Mauricien, e,nfin de semaine dernière, l’ex-président de la République, Cassam Uteem, jette son regard sur l’année écoulée. Il reconnaît que l’économie a retrouvé sa vitesse de croisière grâce à l’apport du secteur touristique et hôtelier, entre autres. Il parle également du mal-être de la population, du trafic de la drogue, qui continue à prendre de l’ampleur, de l’inflation qui grignote le pouvoir d’achat. Il constate également un recul de la démocratie notamment au niveau de l’Assemblée nationale et de la séparation des pouvoirs qui est mise à mal par un Exécutif tentaculaire. Il souhaite finalement la création d’un État palestinien aux côtés de l’Etat d’Israël et le droit de retour aux Chagos, des ‘Palestiniens de l’Océan Indien’

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« La séparation des pouvoirs, qui caractérise toute démocratie, a été continuellement mise à mal par un Exécutif tentaculaire au point où certaines institutions fondamentales du pays, et non des moindres, sont perçues comme étant à la botte du régime politique en place au lieu d’être au service du pays »

« Le gouvernement n’aurait jamais dû négocier’avec la Grande-Bretagne après le succès remporté à la Cour Internationale de Justice de La-Haye et la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies affirmant que l’archipel des Chagos fait partie intégrante du territoire mauricien »

« Si l’opposition se présente aux prochaines élections en ordre dispersé, il est plus que probable que le régime en place remporte un nouveau mandat. L’opposition doit pouvoir convaincre en présentant un front uni avec un programme qui se distingue nettement de celui des partis aujourd’hui au pouvoir et une équipe nouvelle composée d’éléments compétents et intègres »

 

Avant d’aborder l’année 2024, quel souvenir gardez-vous de l’année écoulée. Certains parlent d’une année de transition, d’autres d’une année de consolidation. Qu’en pensez-vous ?

Sur le plan économique, nous pourrions parler de reprise graduelle dans les différents secteurs après la pandémie du Covid-19 et de vitesse de croisière atteinte, ou de consolidation, dans le secteur du tourisme et l’industrie hôtelière. L’inflation galopante a, toutefois, continué à grignoter de manière significative le pouvoir d’achat de la population, l’appauvrissant davantage, malgré un effort important du gouvernement pour préserver les emplois dans certaines grosses entreprises du secteur privé, évitant ainsi une crise sociale.

Le mal-être de la population, révélé par un trafic de la drogue illicite, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, a été et demeure un sujet très préoccupant. Le nombre grandissant de victimes d’accidents mortels sur les routes interpelle également . Même le chef de l’Église catholique dans son message de fin d’année en a fait son thème principal.

Mais ce qui m’a le plus marqué pendant l’année écoulée ce sont les coups portés contre la démocratie, avec un Parlement qui ne fonctionne qu’au gré de l’humeur d’un Speaker maladroit et grossièrement partisan et où sont bafouées les règles élémentaires pour un débat éclairé et fructueux sur des projets de loi, qui ont quelques fois une portée déterminante sur l’avenir de notre pays et son peuple. La séparation des pouvoirs qui caractérise toute démocratie a été continuellement mise à mal par un exécutif tentaculaire au point où certaines institutions fondamentales du pays, et non des moindres, sont perçues comme étant à la solde du régime politique en place au lieu d’être au service du pays.

Nous pourrions également citer en exemple la guerre larvée entre le gouvernement et le Directeur des Poursuites Publiques (DPP), qui dure depuis plusieurs années et qui s’est manifestée d’une façon nette et claire avec, d’une part, le clash institutionnel, l’affrontement direct entre le commissaire de police et le DPP et de l’autre, le vote au Parlement et en quatrième vitesse de la loi donnant lieu à la mise sur pied de la Financial Crimes Commission qui viendrait empiéter sur les pouvoirs constitutionnels du DPP.

Les travaux parlementaires ont pris fin en décembre avec l’adoption de la Financial Crimes Commission qui a déjà obtenu l’assentiment du président de la République. Certains aspects de cette législation dont les pouvoirs du DPP n’ont pas fait l’unanimité au Parlement et dans le pays. Croyez-vous que les craintes exprimées de part et d’autre sont justifiées ?

Ces craintes sont totalement justifiées car, à mon avis, cette loi contient certaines dispositions qui vont à l’encontre de la Constitution. Le DPP étant le principal intéressé, je m’attends que son bureau prenne les dispositions nécessaires pour la contester devant les instances compétentes appropriées.

Nous avons aussi terminé l’année alors que les guerres entre Israël et Hamas et entre la Russie et l’Ukraine et dans d’autres parties du monde continuent de plus belle. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Je ne parlerai des guerres qui, comme vous dites, continuent de plus belle dans plusieurs parties du monde que pour les condamner toutes indistinctement, peu importe leur motif, sauf dans le cas de ceux qui se battent pour retrouver la liberté. L’invasion de l’Ukraine par les forces russes le 24 février de l’année dernière est une suite de la guerre russo-ukrainienne qui dure depuis 2014 et la presse, surtout occidentale, n’aura pas cessé de condamner avec force la Russie d’avoir envahi et occupé une partie du territoire ukrainien et d’exiger, comme le font les pays occidentaux et la communauté internationale, le retrait des forces armées russes du territoire ukrainien.

Or, lorsqu’il s’agit de la guerre entre Israël et le Hamas, je constate que cette même presse occidentale est très timide dans leur condamnation de l’épuration ethnique, voire du génocide du peuple palestinien en cours à Gaza par l’armée israélienne, depuis l’attaque du Hamas en Israël le 9 octobre dernier qui a fait plus de 1 200 morts et donné lieu à la prise en otage de quelque 300 personnes, y compris des enfants.

Aujourd’hui, plus de la moitié de la bande de Gaza est complètement détruite, écoles et hôpitaux y compris, avec plus d’un million de réfugiés cantonnés dans ce qu’il reste de leur pays et plus de 20 000 morts dont la moitié est constituée de femmes et d’enfants. Qui parle d’Israël comme d’une puissance colonisatrice occupant les territoires palestiniens depuis voilà plus de 75 ans ? Les médias occidentaux ? Qui demande à Israël de libérer les territoires occupés afin que les Palestiniens puissent enfin avoir leur patrie à eux ? Plus Double Standard que ça, tu meurs !

Cette année verra les derniers mois du mandat gouvernemental avant la dissolution du Parlement en novembre. Pensez-vous que l’équipe gouvernementale a été à la hauteur de la situation en termes de développement du pays ?

Le bilan du gouvernement en termes de développement se limite, en gros, à la construction de drains, de routes et de ponts et chaussées. D’aucuns diront que ce n’est pas peu. Encore faudrait-il pouvoir trouver des solutions aux problèmes d’inondation récurrents et de bouchons de plus en plus longs sur les routes. Il n’y a malheureusement pas eu de nouveaux piliers de développement économique. Nous avions misé sur l’économie bleue mais celle-ci n’a même pas démarré tandis que l’industrie pharmaceutique est encore au stade infantile.

Le Premier ministre affirme qu’il ira jusqu’à la fin de son mandat et “kapav plis ankor” dans son message au début de l’année. Est-ce que cette déclaration est rassurante pour vous ?

Permettez-moi d’abord de faire une observation. Le pouvoir de décider de la date des élections générales ne devrait revenir ni au Premier ministre ni à un quelconque politicien. C’est une anomalie de notre démocratie qu’il nous faut corriger. Et afin d’assurer qu’il y a plus de Fair-Play, ce pouvoir devrait être confié au commissaire électoral.

Si un Premier ministre devait conserver la prérogative de dissoudre le Parlement, si nécessaire, avant la fin d’un mandat, il devrait être clairement stipulé dans la loi que les élections doivent impérativement avoir lieu dans le mois suivant la dissolution à une date choisie par le commissaire électoral et non choisie par lui. En attendant, l’exercice de ce pouvoir par le Premier ministre doit être judicieux et ne doit en aucune façon être utilisé délibérément comme prétexte pour rester au pouvoir même après la fin de son mandat, pour s‘occuper des affaires courantes sauf force majeure.

Son discours est assorti d’annonces concernant la pension de vieillesse qui sera portée à Rs 13 500 pour ceux ayant atteint l’âge de 75 ans ou le paiement d’un double salaire pour les fonctionnaires qui travaillent selon le Shift System. Est-ce que ce sont des mesures électoralistes ?

Si ce ne sont pas des mesures électoralistes, elles représentent, à n’en point douter, un élément apte à influencer le vote des électorats visés. Puisque seul le Premier ministre sait si nous sommes déjà en campagne électorale car il est celui, comme nous venons de le voir, qui décidera de la date des élections. Il ne peut donc être accusé aujourd’hui de Bribery électoral, les élections ne devant avoir lieu qu’à la fin de 2024 ou ‘kapav plis ankor’, dans une année ou même plus ! Vous y croyez-vous ? Moi pas !

Les membres du gouvernement se présentent comme les promoteurs de la justice sociale. Qu’en pensez-vous ?

Même si le gâteau national n’est pas équitablement partagé, le fait demeure que le budget de la Sécurité sociale a connu une hausse constante ; ce qui indique que les individus et les familles les plus vulnérables, même s’ils sont aujourd’hui plus nombreux, bénéficient d’une certaine couverture sociale. Les membres du gouvernement doivent savoir que cette couverture sociale, qui comprend également les soins de santé et l’éducation gratuits, découle du Welfare State dont les bases ont été jetées lorsque le Premier ministre du pays était feu sir Seewoosagur Ramgoolam. Depuis, tous les gouvernements successifs ont contribué, certains plus que d’autres, à consolider notre Welfare State.

Que pensez-vous de l’opposition en général et de l’alliance PTr-MMM-PMSD dirigée par Navin Ramgoolam ?

En démocratie, l’opposition joue un rôle important et représente le gouvernement alternatif. La possibilité qu’il y ait une alternance politique est l’une des conditions nécessaires à la démocratie. Elle témoigne, en effet, de l’existence de libertés politiques et d’un régime pluraliste où le parti au pouvoir accepte de se retirer en cas de défaite électorale. L’alternance politique peut avoir une portée restreinte s’il n’existe pas de différences significatives entre les programmes de la majorité et de l’opposition. L’alternance consiste alors en un changement d’équipes dirigeantes. Je ne crois pas que la population souhaite une telle alternance.

Si l’opposition se présente aux prochaines élections en ordre dispersé, il est plus que probable que le régime en place remportera un nouveau mandat. L’opposition doit pouvoir convaincre en présentant un front uni avec un programme qui se distingue nettement de celui des partis aujourd’hui au pouvoir et une équipe nouvelle composée d’éléments compétents et intègres.

Concernant les Chagos, nius attendons toujours la conclusion d’un accord entre Maurice et la Grande-Bretagne. Quelle est votre analyse à ce sujet ?

Le gouvernement mauricien n’aurait jamais dû « négocier » avec la Grande-Bretagne après le succès remporté à la Cour internationale de justice de La Haye et la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, affirmant que l’archipel des Chagos fait partie intégrante du territoire mauricien. Elle était sommée de se retirer « inconditionnellement » et non après négociations.

Si la Grande-Bretagne persistait dans son refus de reconnaître notre souveraineté sur les Chagos, nous devrions alors mener campagne, comme nous l’avons fait pour faire reconnaître notre droit légal et légitime sur les Chagos, pour le démantèlement de la base nucléaire américaine sur notre territoire. David a plus d’une fois eu raison de Goliath !

Vos souhaits pour l’année 2024…

La création d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël et le droit de retour aux Chagos des « Palestiniens de l’océan Indien » enfin respecté et accordé ! Je formule des vœux de bonheur et de santé à l’ensemble de la population et je souhaite qu’en cette année où auront vraisemblablement lieu les élections générales, notre peuple agisse, comme il l’a toujours fait, en citoyens responsables épris de paix !

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