C’est l’histoire d’un garçon de dix ans, Noah. Il a délaissé sa console PS4 pour être à l’écoute du conteur de Noël. Mais ni poésie ni conte, les SMS ont remplacé la narration, voire la conversation. Voici un conte de Noël moderne, venu de l’imaginaire de Philip Lim que nous présentons ici pour terminer une belle aventure littéraire commencée en 2018. Une belle histoire intimiste dont Noah est le héros sur fond de légende moderne. Quand les enfants découvrent l’art de l’écoute !
Il avait neigé toute la journée, le 24 décembre. À Laval, au nord de Montréal, tout était blanc comme un manteau d’hermine. Il neigeait encore vers l’heure du dîner. Les gros flocons virevoltaient sur les têtes des passants comme dans une chorégraphie orchestrée. Les sons étaient feutrés et assourdis, malgré l’énervement du shopping de dernière heure. Les rues et les maisons, enguirlandées de lumières multicolores, brillaient de mille feux à la tombée de la nuit, tandis que les haut-parleurs des centres d’achat diffusaient continuellement des chants de Noël. À voir les gens et leur allure, on devinait une certaine excitation qui devait nous gagner en cette fin d’année.
Mon petit-fils Noah était en vacances pour deux semaines. Comme la plupart des enfants de dix ans, il s’adonne quotidiennement à son jeu vidéo de Black Ops 4 sur console PS4. S’il n’en tenait qu’à lui, il jouerait du matin au soir, en ligne, contre d’autres équipes du continent américain, à lutter contre des zombies malfaisants. Mais, les parents et grands-parents sont là pour veiller au grain. « Mens sana in corpore sano » disent-ils en évoquant une locution latine pour illustrer une théorie selon laquelle les activités physiques sont essentielles au bien-être mental et psychologique de chacun. Noah pratique le soccer, trois fois par semaine, dans la division 1 des équipes primaires. Il est un excellent gardien de but. Son héros est Manuel Neuer de la République fédérale d’Allemagne.
En cette veille de Noël, il régnait une activité fébrile dans leur maison sur la rue Dalida. Ses parents étaient rentrés tôt de leurs boulots respectifs, avaient fait de nombreuses emplettes et se préparaient à recevoir toute la famille de Trois-Rivières pour le réveillon. Noah aidait sa mère à mettre la table, tandis que son frère et sa sœur ajoutaient les dernières décorations au sapin, qui trônait proche de la cheminée, entouré des cadeaux de toutes tailles.
La dinde cuisait dans le four et exhalait un parfum délicieux. Noah avait préparé la vinaigrette selon sa recette secrète. Son père essorait les laitues et vérifiait les températures des bordeaux et des chablis. Tout était prêt. Enfin, presque ! Le cadeau de Noah Cruz Keating, un ami de mon petit-fils était là, tout emballé, au pied de l’arbre. Il fallait le lui livrer avant que la famille n’arrive.
« Va porter le cadeau de Noah Cruz. Tu peux rester une demi heure » lui dit sa mère.
« Oui, maman », répondit Noah Lim. Ce dernier mit son manteau, prit le cadeau et s’en alla chez son ami, l’autre Noah, à 6 maisons de chez lui.
Noah Cruz fut ravi de son cadeau, un nouveau jeu pour son PS4. Ils se dirigèrent vers la console dans laquelle Noah Cruz Keating inséra le CD. Noah Lim, qui connaissait déjà ce jeu, s’assit dans un fauteuil et conseilla son ami à travers les différentes étapes. La journée avait été longue. Il était un peu fatigué. Il commençait à avoir faim. Il décida de rentrer.
Quand Noah arriva devant sa maison, il remarqua qu’il y avait plusieurs voitures de stationnées. Mais un silence étrange enveloppait la maison. Tous les invités étaient pourtant là ! Il accrocha son manteau et se dirigea vers le salon. Et il comprit. Oui, ils étaient tous là, assis dans le salon ! Ils avaient chacun un téléphone intelligent en main. Ils textaient. Il alla vers sa Mamie pour lui faire un câlin. Ce faisant, il remarqua, sans faire exprès, que le message était adressé à Tatie. Mais Tatie était là à quelques pas ! Mystifié, il fit le tour du salon discrètement et découvrit que ceux qui envoyaient les messages texte et ceux qui les recevaient étaient tous là dans le salon.
« Mais pourquoi ? » pensa-t-il. « Pourquoi ne se parlent-ils pas ? C’est tellement plus simple de se parler ! Tellement plus agréable ! »
« Noah ! Noah ! Réveille-toi ! Ta mère a appelé ! Elle veut que tu rentres ! Les invités sont arrivés ! »
Noah se frotta les yeux. D’un air ébahi, il se demanda où il était. Il comprit bien vite qu’il s’était assoupi chez son ami Noah Cruz Keating et qu’il avait fait un affreux cauchemar ! Les Noah de ce monde pourront peut-être nous expliquer, un jour, comment les SMS ont graduellement remplacé les conversations à vive voix, dans lesquelles les intonations jouaient un si grand rôle, par des missives sans âmes, dénuées de chaleur humaine !