Une plage pittoresque et vierge, des marécages, un sol volcanique, une végétation dense, des bâtiments historiques : Les Salines de Rivière-Noire possèdent de multiples atouts naturels. Situé à l’ouest de la baie de Rivière-Noire, ce site sur lequel on a exploité une carrière de sable et où il reste trace de l’un des établissements les plus anciens de l’île, des salines, est appelé à changer progressivement à cause du projet hôtelier du groupe Beachcomber. Un projet vivement contesté par le mouvement Rézistans ek Alternativ en raison de la présence de zones humides (Wetland ESA 76) sur l’emplacement où l’établissement hôtelier sera construit. En attendant que l’établissement sorte de terre, voici ce qu’il en reste de la péninsule des Salines.
Il y a de ces endroits qui possèdent plein de charme : une plage pittoresque et déserte, dont la beauté est saisissante, des marais, des bassins, des bâtiments datant du 19e siècle. L’entrée de ce site de plus de 500 arpents — anciennement La Pointe Koenig ou Les Salines Koenig, du nom des anciens propriétaires des lieux —, Les Salines de Rivière-Noire se trouvent en face du Domaine de Palmyre entre Petite-Rivière-Noire et Grande-Rivière-Noire. La métamorphose a commencé il y a un peu plus d’un an sur ce site qui appartenait à la Société Koënig Frères et Cie, racheté par New Mauritius Hotels, plus connue sous son enseigne commerciale Beachcomber.
Ce qui était un sentier cahoteux s’est revêtu d’asphalte pour accueillir des véhicules et faciliter l’accès à cet endroit qui abritera hôtels et villas. Des abribus, une zone piétonnière ainsi qu’une piste cyclable y ont été aménagés. Ici et là, des employés contractuels, engagés pour embellir les bordures de route, s’affairent à des tâches parcellaires.
Dans cette zone où la vue s’étend sur des kilomètres dévoilant les chaînes de montagnes de l’Ouest, le regard se borne aux salines qui date d’une centaine d’années. Plus personne sur les carreaux. C’est ici, dans ces bassins de faible profondeur que le sel était récolté par des hommes et des femmes qui le ramassaient à la pelle. La cristallisation s’opérait par l’évaporation de l’eau de mer, sous l’action combinée du soleil et du vent. La maison du gardien n’y est plus. Elle aurait été démolie, selon un employé du chantier, quand le site a été racheté par NMH. Seuls les bâtiments centenaires en pierre de taille ont été conservés. Il y avait aussi, dans les années 70-80, une carrière d’extraction de sable qui a déposé son bilan en 1997.
En harmonie avec ces centaines d’hectares de paysages, de belles étendues de marais où viennent se reposer les oiseaux migrateurs. Cette zone humide est saisissante par son calme et sa sérénité. L’eau et la variété des végétaux teintent le paysage de subtiles nuances de couleurs. De la nouvelle route, du Morne jusqu’à Tamarin, rien ne limite la vue. Une nature dense et longtemps sauvegardée se dévoile, les chaînes de montagnes au loin enchantent le regard.
Dans cet espace largement ouvert, on aperçoit la Batterie de l’Harmonie, la tour Martello et la vieille maison coloniale au toit bleu, appelé le vieux château.
La Batterie de l’Harmonie, un vestige de la période coloniale, a été sécurisée par une clôture en barbelée. Le gouvernement projette de transformer cette vieille bâtisse, décrétée patrimoine national en 1985, en un village des artistes. «Les travaux de restauration ont déjà commencé. Les travaux de nettoyage et clôture ont été effectués au coût de Rs 3m», affirme Anjuli Hurry, attachée de presse au ministère des Arts et de la Culture. Cela fait une dizaine d’années que les bâtiments, fortifications et pièces d’artillerie de l’époque des rivalités anglo-françaises et qui constituent l’ensemble de l’Harmonie, sont laissés à l’abandon. En 1995, le gouvernement avait repris possession de la Batterie de l’Harmonie, après des baux accordés à la Famille Koenig dans les années 1940, puis au groupe hôtelier Beachcomber dans les années 1970. Plus loin, la Tour Martello date, elle, de 1834. Cet endroit conserve un cachet ancien avec ses bâtiments et ses ruines.
L’ancienne maison de la famille Koenig, qui se trouve au fond, sur un petit promontoire, a fière allure avec sa toiture bleue. Cette maison coloniale, appelée encore “Le château” et qui offre une vue magnifique vers l’ouest de la baie de Rivière-Noire, a été placée sous la responsabilité du ministère des Arts et de la Culture pour des travaux de restauration sous le mandat de Joseph Tsang Mang Kin. Cinq années plus tard, soit en 2000, une partie de la toiture sera saccagée après le passage du cyclone Dina. Depuis, l’ancienne demeure a été laissée à l’abandon.
« Les zones humides sont en grave danger à Maurice »
Menacé par le développement hôtelier, la péninsule des Salines de Rivière-Noire abritent aussi une grande zone humide, dont des marais salants uniques à Maurice, et la ESA Wetland 76, qui fait l’objet d’une attention toute particulière de Rézistans ek Alternativ qui conteste le projet. Pour David Sauvage, membre du mouvement, sa préservation est primordiale. « Ce développement hôtelier sera réalisé sur une zone humide classée catégorie 1, qui est proscrite de tout développement selon la loi en vigueur dans le District de Rivière-Noire », dit-il.
Selon lui, plus de 200 zones humides ont été répertoriées à Maurice, et elles sont toutes des biens communs à restaurer et à conserver. Celle des salines de Rivière-Noire « est dans le top 15 des zones humides avec la plus grande diversité de flore, dans le top 13 des zones humides, avec la plus grande diversité de faune, et dans le top 12 des zones humides, une valeur de conservation significativement plus grande, sur plus de 200 zones humides classées en 2009 ». David Sauvage ajoute que « les zones humides sont en grave danger à Maurice. 90 % sont affectées par le comblage, plus de 60 % ont été fragmentées, et plus de la moitié présentent au moins 90 % de leurs bordures détériorées, tout cela à cause d’une politique de développement non contrôlé ».
Le membre de Rézistans ek Alternativ indique que «le dernier World Risk Report classe la République de Maurice en 16e position, avec le plus haut World Risk Index en Afrique. La République de Maurice figure aussi parmi les 10 pays dans le monde avec le plus haut risque d’exposition aux catastrophes climatiques ». Il rappelle que, face à la crise écologique mondiale et nationale, « le combat que nous menons est avant tout un combat d’intérêt public pour que l’ensemble des zones humides soient protégées à Maurice. C’est aussi un combat pour la justice climatique. En effet, ceux qui sont le plus affectés par le changement climatique sont ceux au plus bas de l’échelle économique et sociale du pays. Bien qu’ils n’y soient pour rien, ils subissent ainsi la double peine, l’exclusion sociale et la précarité climatique (cyclones, pluies torrentielles, inondations, montée des eaux, canicules, accès à l’eau potable, épidémies) ».