À Bangladesh, les familles qui vivent dans des conditions insalubres, sous des toits précaires dépourvus de sanitaires et dans un environnement pollué, n’ont qu’un rêve: être relogées ailleurs au plus vite. Toutefois, tous ces foyers avec chacun une histoire particulière n’ont pas de revenu fixe pour s’acquitter d’un loyer. En l’absence d’information sur leur avenir, ils continuent à attendre un jour meilleur.
“Je ne m’attarde jamais dans ma cuisine. Mo gagn tro per”, dit Rosita Soba, 58 ans. La cuisine, ou plutôt ce qu’il en est resté après les fortes averses de janvier dernier, est un danger permanent. Pendant les pluies diluviennes, la terre avait glissé, emportant avec elle le sol et les feuilles de tôle de la cuisine de Rosita Soba. Comme d’autres familles venues s’installer à Bangladesh il y a une vingtaine d’années, Rosita Soba a construit une habitation là où la terre était disponible mais pas toujours appropriée à la construction. La maison de Rosita a été construite sur un terrain en pente. “Ce soir-là, raconte-t-elle, en revenant sur les intempéries de janvier, j’ai entendu un grand bruit. Quand j’ai vu qu’une partie de ma cuisine s’était écroulée, j’ai eu la peur de ma vie.”
De la cuisine, il reste à peine un mètre de sol et une partie du toit. Elle y a gardé une table rectangulaire où elle a installé sa gazinière pour préparer le repas de la famille. Mais circuler dans cet espace qui donne sur la nature n’est pas sans risque. Et si Rosita Soba ne fait pas attention à ses pas, elle se retrouverait vite dans le précipice. “C’est pour cela que le matin, je prépare le thé le plus vite possible pour ne pas rester là”, confie Rosita. Si, pendant les pluies de janvier dernier, la façade de la chambre de son fils n’a pas cédé, en revanche, celle-ci est suspendue dans le vide.
“Mon per inn dir pou bizin fer kiksoz”
Dans son malheur, Rosita estime qu’elle a eu un peu plus de chance qu’un autre de ses fils. Ce dernier, Giovanni, vivait avec sa femme et ses enfants dans un logement en tôle également, non loin de sa mère. Il avait construit sa maison sur le versant de la pente. La force de l’eau a eu raison de la structure. La famille n’a eu d’autre choix que de fuir la maison, désormais inaccessible. Ayant trouvé refuge au centre de jeunesse de Tranquebar, elle y est depuis 5 mois. L’attente d’un relogement, concède Judise, la belle-fille de Rosita, devient pénible. “On nous a demandé de partir et de nous installer au centre de Petite Rivière, le temps que nous trouvions une maison. Nous avons refusé. Nous n’avons aucun repère là-bas”, explique la jeune femme. Rosita Soba n’a pas quitté sa maison, malgré tout le danger que cela représente. “Si le gouvernement me donne une maison sociale, nous allons payer notre loyer sans problème, car mon mari qui a 60 ans travaille et nous avons économisé pour être un jour bénéficiaire d’un logement”, assure cette dernière.
Depuis le déplacement de certaines familles, relogées à Pointe-aux-Sables, Bangladesh ne laisse plus personne accéder les lieux pour s’y installer. Ceux qui ont tenté de le faire ont été repoussés. Mardi dernier, une messe a été célébrée à l’entrée de Bangladesh. Le relogement des familles a été soulevé ce jour-là. La question s’avère importante dans la mesure où les conditions de vie des familles sont précaires. L’absence de sanitaires dans les maisons contraint leurs occupants à faire leurs besoins dans la nature. “Mon per inn koz ar nou, li pe dir pou bizin fer kiksoz”, disent des femmes qui avaient participé à la cérémonie religieuse. Personne ne semble détenir de réponse quant à un éventuel relogement.
Chaque foyer vit un drame
Christelle, 26 ans et mère de trois enfants, confie que malgré son souhait de quitter la précarité de sa maison pour un logement social plus confortable, son mari et elle ne seront pas en mesure de s’acquitter d’un loyer, aussi minime soit-il. Christelle ne travaille pas. Sa cadette, 6 ans, n’est pas scolarisée depuis un mois et son benjamin, 4 ans, est sourd et muet. Son suivi a l’hôpital a été interrompu. Et son aînée en grade 6 se rend à l’école tous les jours sans repas. “Elle reçoit à manger à l’école. Je ne lui donne qu’une bouteille d’eau sucrée”, explique la jeune mère. Sans emploi fixe, son mari travaille lorsque des occasions se présentent. Il peut alors acheter de quoi nourrir sa famille; sinon, il n’est pas rare que celle-ci dort le ventre vide.
Dans cet endroit, qui semble perdu et coupé du monde moderne, chaque foyer vit une histoire compliquée, quand ce n’est pas un drame humain. Chez Miselaine, 37 ans, la propreté intérieure contraste avec l’insalubrité qui pollue l’environnement de Bangladesh. Mais cette mère de trois enfants est tourmentée. Son mari, maçon, victime d’un accident de travail, est cloué à l’hôpital. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Miselaine est obligée de puiser dans l’aide sociale dont elle bénéficie pour la scolarité de ses enfants. Celle que perçoit son mari ne suffit pas, dit-elle. À la fin du mois, sa fille, une collégienne de 12 ans, doit participer à une excursion. “Je n’ai pas un sou pour payer cette sortie”, se désole-t-elle. Cela fait déjà quatre mois qu’elle n’arrive plus à payer l’école maternelle de sa benjamine. Tous les mois, elle remet Rs 1,000 à la voisine chez qui elle “prend” l’électricité. Faute de moyen, c’est à pied qu’elle va voir son mari à l’hôpital, deux fois par jour.
Une maison sociale décente, Miselaine en rêve aussi. Pour concrétiser ce rêve, le couple a fait des économies. Mais en attendant une nouvelle vie, la mère de famille se demande comment elle fera pour payer l’excursion de sa fille