Pour des millions de jeunes footballeurs africains et leurs familles, le rêve de venir jouer au football en Europe se double de l’espoir de sortir miraculeusement de la pauvreté, raconte le réalisateur allemand Timo Mayer, auteur d’un film intitulé « The Big Dream ».
Son oeuvre a récemment été présentée en avant-première à l’occasion de la Berlinale, le festival du film de Berlin: Timo Mayer a raconté à l’AFP comment les portes se sont fermées devant lui lorsqu’il a voulu enquêter en Europe sur le sort de ces adolescents qui quittent chaque année leur famille pour partir tenter leur chance balle au pied.
Il a finalement décidé de partir tourner au Ghana, l’un des plus gros « exportateurs » de footballeurs d’Afrique. La saison dernière, plus de 500 Ghanéens jouaient à l’étranger mais seulement 28 d’entre eux évoluaient en première division de l’un des cinq grands championnats (Angleterre, Allemagne, France, Italie, Espagne – source Ghanaweb.com).
Q: Pour tourner ce film, vous avez essayé d’entrer en contact avec de jeunes joueurs africains en Europe…
R: Oui, et ça n’a pas marché. Leurs agents se sont mis en travers de mon chemin, ils ont refusé toute interview. J’ai ensuite essayé de contacter un joueur un peu plus connu en Allemagne, le Camerounais Nelson Mandela Mbouhom, qui a vécu un temps dans la rue à Paris et qui joue actuellement à Francfort. Mais là encore, on ne m’a pas laissé l’approcher. J’ai découvert combien il était incroyablement difficile d’avoir accès à ces joueurs.
Q: Mais vous n’avez pas abandonné votre idée?
R: Nous avions de très bons contacts au Ghana, et notamment avec Ibrahim Tanko, (qui fut à son époque le plus jeune buteur de l’histoire de la Bundesliga à 17 ans et 250 jours avec Dortmund en 1994-1995, NDLR). Il avait ensuite eu de mauvaises fréquentations et sa carrière n’a pas reflété les espoirs placés en lui. Nous avons donc décidé de raconter l’histoire depuis le Ghana.
Q: Le sujet est-il délicat à traiter en Afrique aussi?
R: Il y a des aspects qu’on n’aborde pas dans le film parce que nous ne sommes pas parvenus à avoir les bonnes sources. Personne de la Fifa n’a voulu parler, aucun agent de joueur connu n’a voulu donner d’interview.
Q: Quel est le problème pour ces jeunes joueurs?
R: On va chercher un joueur, disons à 15 ans. Il se blesse deux ans plus tard, on le renvoie dans son pays. En Allemagne, comme en France, les joueurs dans les centres de formation ont une obligation d’éducation, et si tu dois abandonner ta carrière à 18 ans, tu n’as pas un désavantage social si grand. En Afrique il n’y a pas ça.
Q: Ces jeunes et leurs familles sont-ils conscients qu’ils ont très peu de chances de réussir?
R: Pas du tout! Il est plus réaliste de vouloir devenir une star du cinéma que de vouloir jouer en première division dans un grand championnat européen. Ce rêve est très irréaliste, c’est comme gagner au Loto, pour ainsi dire. Les gens au Ghana n’en sont pas du tout conscients. Et le transfert vers l’Europe est clairement un business pour eux et pour les familles.
Q: On voit dans votre film l’énorme pression que ce phénomène génère chez les jeunes, au point de leur enlever la joie de jouer parfois.
R: Le jour où le jeune signe un contrat, tout le monde autour de lui commence à tendre la main. Avant son départ, il y a tout un rituel, tout le village le félicite, mais tout le village attend aussi quelque chose de lui, et lui se sent dans l’obligation de rendre ce qu’il a reçu de sa communauté.
© AFP