La directrice financière du géant chinois des télécoms Huawei est soupçonnée par les Etats-Unis d’avoir fraudé pour contourner les sanctions américaines contre l’Iran, selon les informations révélées vendredi pendant une audience devant un tribunal canadien.
La justice américaine demande l’extradition de Meng Wanzhou, qui a été arrêtée au Canada à la demande des Etats-Unis samedi dernier.
Après plusieurs heures de débat, l’audience devant un juge de la Cour suprême de Vancouver a été ajournée et reprendra lundi. Le juge devrait alors se prononcer sur une éventuelle libération sous caution de Mme Meng, qui d’ici là restera en détention dans la banlieue de Vancouver.
Meng Wanzhou, 46 ans, est soupçonnée d’avoir menti à plusieurs banques sur les liens entre Huawei et l’une de ses filiales, SkyCom, ce qui a permis à cette société d’accéder au marché iranien en violation des sanctions américaines, a révélé l’avocat représentant le gouvernement canadien, John Gibb-Carsley, devant une salle d’audience comble.
Mme Meng aurait personnellement nié auprès de banquiers américains, en 2013, tout lien direct entre Huawei et la société SkyCom, alors qu’en fait « SkyCom c’est Huawei », selon les autorités américaines.
La dirigeante était membre du conseil d’administration de SkyCom il y a une dizaine d’années, mais la société a été vendue depuis, selon son avocat, David Martin. Mais, selon la justice américaine, le groupe chinois en a gardé le contrôle de fait, les employés de SkyCom ayant par exemple continué à utiliser les adresses électroniques huawei.com.
La dirigeante est accusée de « complot d’escroquerie au détriment de plusieurs institutions financières », des chefs d’accusation passibles de 30 ans de prison chacun aux Etats-Unis, a révélé M. Gibb-Carsley.
Le représentant du gouvernement s’est opposé à la remise en liberté conditionnelle de la fille de Ren Zhengfei, fondateur de Huawei en 1987 et ancien membre de l’armée chinoise. Il a estimé qu’elle avait de bonnes raisons pour être tentée de fuir le Canada et rentrer en Chine.
Mme Meng en a les moyens financiers, la Chine et les Etats-Unis n’ont signé aucun traité d’extradition et Mme Meng a « l’habitude d’éviter les Etats-Unis depuis qu’elle a pris conscience qu’une enquête criminelle la visait », a expliqué M. Gibb-Carsley.
L’avocat de Mme Meng a pour sa part assuré que sa cliente ne prendrait pas le risque de « faire honte » à son père, sa société et son pays en prenant la fuite.
Elle s’engagerait par ailleurs à rendre ses passeports, à porter un bracelet électronique et à financer sa propre surveillance pendant la procédure.
Huawei a réagi dans un communiqué vendredi soir en expliquant qu’il « continuerait à suivre les audiences » la semaine prochaine et en faisant part de sa « confiance que les systèmes judiciaires américain et canadien arriveront aux bonnes conclusions ».
« Pas d’intervention politique »
Mme Meng avait été arrêtée le 1er décembre à l’aéroport de Vancouver, lors d’une escale entre Hong Kong et le Mexique.
Le processus d’extradition, dans le cadre d’un accord bilatéral entre les Etats-Unis et le Canada, peut prendre des mois voire des années avant d’aboutir, en raison des nombreuses possibilités d’appel.
L’annonce de l’arrestation de Mme Meng quelques jours après la trêve dans la guerre commerciale entre Pékin et Washington, a provoqué la colère des autorités chinoises qui ont exigé sa remise en liberté immédiate.
« Nous exigeons des deux parties (Canada et Etats-Unis) que des clarifications nous soient fournies au plus vite quant aux motifs de cette détention », a martelé jeudi le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Geng Shuang.
Face aux critiques de la Chine, avec laquelle le Canada tente de renforcer les liens commerciaux, le Premier ministre Justin Trudeau a assuré que la décision d’arrêter la dirigeante chinoise avait été prise par la justice canadienne, à la demande de la justice américaine, sans aucune intervention politique d’Ottawa.
« On a été avisé du processus judiciaire quelques jours avant que l’arrestation soit faite », a reconnu jeudi M. Trudeau. Toutefois, « il n’y a pas eu d’intervention politique dans cette décision car nous respectons l’indépendance du système judiciaire », a-t-il insisté. « Je n’ai pas eu de discussions avec mes homologues chinois à ce sujet ».
Les produits Huawei sont utilisés par des opérateurs téléphoniques dans le monde entier, notamment en Europe, en Afrique et au Canada. Mais le groupe connaît des déboires aux Etats-Unis, où il a été banni des projets d’infrastructures pour des raisons invoquées de sécurité nationale et de craintes d’espionnage au profit de Pékin.
© AFP