Le 12 mars sera une nouvelle occasion de réfléchir sur certaines dérives sectaires qui persistent dans le pays. Si le vivre ensemble fait partie du paysage, l’intolérance raciale ronge toujours notre pays par moments. Elle se manifeste de différentes façons, imperceptiblement pour la majorité des gens. Mais elle éclate parfois au grand jour, notamment à travers les réseaux sociaux, des discours de politiciens ou sous la forme d’une discrimination raciale dans le monde du travail ou des aides sociales.
La nation arc-en-ciel, qui célébrera son 51e anniversaire d’indépendance le 12 mars, est loin d’avoir guéri tous ses maux. L’intolérance raciale fait toujours partie de notre quotidien. Ces réflexes d’intolérance sont révélés parfois sous couvert de l’anonymat des profils Facebook, mais également à visage découvert et à travers des discours publics, notamment des politiciens.
Fauteurs de trouble.
Fréquemment, les news feed des réseaux sociaux tels que Facebook sont remplis de postes ou de commentaires racistes. Depuis l’avènement des réseaux sociaux, cette intolérance est de plus en plus visible. Des incidents mineurs, à l’instar d’une opinion contraire sur le plus banal des sujets, peuvent accoucher de propos incendiaires à connotation raciale. Souvent, les propos ont le but de dénigrer l’autre, tout en voulant montrer une certaine supériorité vis-à-vis de la personne issue d’une autre communauté.
Selon Selven Govinden de l’ONG FreeArt, certaines personnes pensent que leur communauté est supérieure aux autres, ce qui les amène à dénigrer les personnes qui n’en sont pas issues. “Ce sont des fauteurs de trouble qui ne connaissent pas leur propre religion ou culture. Il y a beaucoup d’actes irréfléchis, des réflexes racistes qui reviennent, notamment chez les jeunes. Dès qu’il y a un accrochage entre deux jeunes de différentes communautés, cela prend une tournure raciale. C’est le système qui provoque cela.”
L’intolérance raciale se manifeste parfois par la voix des politiciens, dans leurs discours à peine voilés, notamment dans des réunions politiques. Ces dernières années, cela est arrivé à plusieurs reprises, sans que des sanctions ne soient prises. Des précédents dangereux qui peuvent créer des distensions entre les communautés. Quand ces personnes censées donner le bon exemple au peuple se laissent aller à des dérives communales, cela laisse la voie ouverte à un élan d’intolérance de la part de leurs suiveurs et de la population en général.
“Lor sime, nou tou parey”.
Pour Nitish Joganah, chanteur engagé, la faute incombe à ces mêmes politiciens et aux religieux. “Dans le fond, nous Mauriciens, ne sommes pas intolérants vis-à-vis des communautés au sein desquelles nous vivons. Ce sont les politiciens et les religieux qui encouragent cette intolérance. Les capitalistes divisent pour mieux régner. Pena mazorite, pena minorite. Lor sime, nou tou parey, nou tou Morisien ki viv dan enn zardin tou kouler.”
Selven Govinden abonde dans le même sens. “Il y a la notion de surhomme qui revient à chaque fois. Certaines personnes qui ont des postes de responsabilité ont tendance à croire qu’ils sont les élus de Dieu et s’autoproclament porte-parole d’une communauté. Cela envoie souvent le mauvais message. Avec le système de suiveurs et de roder bout, tous les ingrédients sont réunis pour qu’il y ait de l’intolérance vis-à-vis des autres communautés. Pour leur part, les associations socioculturelles font parfois des choses qui divisent la population, alors que leur message devrait être celui de la paix et de l’unité.”
Cette même intolérance est également visible dans le monde du travail et se présente sous la forme de discrimination raciale. L’avocat José Moirt, membre du mouvement Affirmative Action, avance qu’il ne se passe pas un jour sans qu’il ne soit sollicité pour une affaire de discrimination du genre. “Tous les jours, on frappe à ma porte pour solliciter mon aide concernant une discrimination raciale subie dans le monde de l’emploi ou au niveau de la sécurité sociale.” Selon lui, même si elles viennent solliciter son aide, les victimes rechignent cependant à aller de l’avant avec une plainte. “Souvent, la personne a peur des représailles et pense qu’elle sera davantage victimisée.”
Amener le changement.
L’avocat souligne que les lois comportent des lacunes, rendant difficile toute poursuite. “Dans nos lois, la personne coupable de discrimination raciale n’est jamais sanctionnée. On exclut tout ce qui est service public. Cela ne concerne que le secteur privé. Les 80,000 et quelques fonctionnaires n’ont aucun recours, à part baisser la tête et subir.” S’il doit y avoir changement à ce niveau, c’est le peuple qui l’amènera, pense José Moirt. “Ce n’est pas un problème de loi, mais un problème politique. Il y a un système qui est en place et qui pratique cette intolérance. C’est un obstacle à la construction de notre nation arc-en-ciel. Nous sommes toujours assis sur le même volcan qu’il y a vingt ans. Rien a changé depuis les épisodes malheureux de 1999. Les observateurs sont unanimes sur ce point. C’est pour amener un changement que nous avons agi à travers Affirmative Action. Il nous fallait mettre cette situation sous le regard de la communauté internationale. Le changement dans notre pays a besoin de venir de la population et non des politiciens. Le fonds de commerce de ces derniers est la discrimination raciale. Il faut que nous, peuple mauricien, cessions de l’alimenter. Si on n’a pas compris cela, on ne le comprendra jamais.”
Pour sa part, Nitish Joganah est optimiste pour l’avenir. Il estime que cela est appelé à changer. “Je n’ai pas l’impression que cela s’est aggravé. Je pense que c’était pire dans le passé. Je prends comme exemple les mariages mixtes, qui sont plus communs qu’ils l’étaient auparavant. Les jeunes n’ont plus cette mentalité communale.”
Maurice montrée du doigt par l’ONU
Maurice s’est fait remonter les bretelles par l’Organisation des Nations Unies (ONU) l’année dernière. Dans son rapport, l’instance déplore l’absence d’efforts pour garantir l’égalité des chances pour tous. Elle souligne que certains groupes ethniques, dont les créoles, sont stigmatisés et subissent une certaine forme de discrimination dans plusieurs aspects de la vie. Le comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale note que les créoles sont majoritairement touchés par la pauvreté et ont un accès limité à l’emploi, les soins de santé et l’éducation. L’ONU estime que les créoles, les Chagossiens et les personnes d’origine africaine ne devraient pas être classifiés sous le terme “population générale”, mais devraient être considérés dans une catégorie distincte. L’instance onusienne estime également que la classification ethnique contenue dans la Constitution est dépassée.