Son ascension, sa chute, ses relations avec Sobrinho, PEI et… elle dément Dass Appadu sur toute la ligne
Poussée à la démission en mars de l’année dernière suite à la révélation qu’elle utilisait une carte de crédit de Planet Earth Institute (PEI) d’Alvaro Sobrinho et pour avoir éventuellement outrepassé ses droits constitutionnels en cherchant à instituer une commission d’enquête, l’ancienne présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, continue à maintenir « n’avoir rien fait de mal ». Elle a remis ça dans un mémorandum de 32 pages soumis à la commission d’enquête Asraf Caunhye, lundi dernier, dans lequel elle a tout dit (ou presque) sur son ascension inattendue à la tête de l’Etat mauricien, sa chute deux années et neuf mois plus tard et sur ses relations avec l’homme d’affaires portugo-angolais. Le document traite immanquablement de ses rapports avec les anciens secrétaires administratifs auprès du bureau de la présidence, et, surtout, il apporte moult démentis aux propos antérieurs de l’un d’eux, Dass Appadu, en qui elle avait entière confiance, mais qui, finalement, l’a incriminée.
Ameenah Gurib-Fakim a d’abord relaté comment elle avait été choisie pour être chef de l’Etat mauricien : « En septembre 2014, en retournant au pays après une causerie au forum TED, une journaliste (Ndlr : elle utilise le terme de female journalist) de L’Express m’a appelée pour m’informer que mon nom était proposé pour être la future présidente de la République. Je lui ai répondu qu’elle devait se tromper, car je n’ai pas d’ambitions politiques. Elle m’a demandé de dire cela dans le cadre d’une interview qu’elle a publiée le lundi suivant sous le titre « Ameenah Gurib-Fakim pour la présidence ? »
Cet article eut de l’effet et, subséquemment, Ivan Collendavelloo m’a contactée pour me dire qu’ils étaient à la recherche d’un candidat pour le poste de président de la République, quelqu’un de la communauté musulmane, de préférence une femme, et que j’avais le profil. Il avait aussi dit que politiquement je n’étais pas entachée.
Mon rôle n’a jamais été discuté, mais, dans mon esprit, en sus des hautes responsabilités constitutionnelles qu’implique la présidence de la République, je voulais accomplir des choses pour mon pays, contribuer à l’avancement des femmes et des sciences.
Puis, dans le sillage de l’annonce des élections générales de 2014, Ivan Collendavelloo m’a rappelée sur mon portable pour me dire que Sir Anerood Jugnauth sollicitait mon autorisation de mentionner mon nom et j’ai accepté. L’alliance MSM-ML-PMSD a remporté les élections du 11 décembre 2014 et, le 15 juin de l’année suivante, après la soudaine démission du président Purryag, j’ai prêté serment comme présidente de la République. Après les élections, j’ai rencontré Sir Anerood, le Premier ministre d’alors, seulement une fois, avant le 15 juin 2015 et c’était lors du lancement de sa biographie. »
Ameenah Gurib-Fakim a ensuite étalé ses bonnes relations, voire son interaction avec l’ancien Premier ministre, SAJ, et le nouveau, Pravind Kumar Jugnauth, jusqu’au 5 mars 2018, puis les choses ont tourné au vinaigre…
Les bénédictions de SAJ
« Ma relation avec SAJ, en tant que Premier ministre, a été respectueuse envers un homme d’Etat aîné et professionnel. J’ai été reconnaissante d’avoir bénéficié de son soutien. J’ai partagé avec lui ma vision et j’ai discuté d’idées et de projets que je pensais utiles pour élever le pays.
En novembre et en décembre 2015, le gouvernement m’a demandé de représenter Maurice à des conférences majeures : la COP21 sur le climat, à Paris, FOCAC, à Johannesburg, et lors d’une visite officielle en Inde. En janvier 2016, SAJ m’a également demandé d’assister au Sommet des chefs d’Etat et de gouvernements de l’Union africaine (AU). Je crois de tout cœur, dans la stratégie de l’Union africaine, que Maurice a signée et qui cherche à encourager les philanthropes, les gouvernements et le secteur privé à travailler de concert et de créer des emplois pour les jeunes.
Le gouvernement avait également donné son accord pour les visites et les activités suivantes : une visite d’Etat au Pakistan en avril 2016, ma nomination comme coprésidente, avec le président du Mexique, du United Nations Sustainable Development Goal 6 sur l’eau, laquelle nomination nécessitait de ma part d’être présente à New York en avril pour le lancement. J’ai été également désignée parmi un des chefs d’Etat de l’Union africaine pour définir le paysage de l’éducation supérieure dans le cadre de l’agenda 2063 de cette instance. »
« SAJ a été très positif concernant mes activités. Je l’informais des retombées de toutes mes missions à l’étranger et il était au courant de la raison d’être de mes déplacements avant même que je voyageais. SAJ s’est toujours tenu au courant de toutes mes activités et j’ai toujours reçu ses bénédictions.
Il était briefé chaque jeudi sur ce que je faisais et il semblait que j’avais son soutien total pour ce que j’espérais accomplir comme présidente. À certains moments, il n’était pas d’accord et il me le faisait savoir. Une fois, quand je lui ai parlé d’un projet d’installation d’un laboratoire de tests ADN par Bordeaux, que je croyais intéressant, il m’a dit qu’il ne le souhaitait pas. En ce qui me concernait, ça s’est terminé là.
Occasionnellement, il me demandait de lui envoyer des lettres retraçant nos discussions des jeudis matins à cause de sa “mémoire défaillante”. En fait, ce fut la raison que devait avancer SAJ pour se retirer comme Premier ministre en janvier 2017 en précisant que « sa mémoire défaillante était dangereuse pour le pays. »
« Je voulais faire avancer mon pays »
Selon Ameenah Gurib-Fakim, l’ancien Premier ministre SAJ l’informait de toutes les réserves exprimées par les membres du Conseril des ministres. Notamment, « quand le ministre des Finances Luchmeenaraidoo s’est plaint que c’était moi qui ai été appelée à signer quelques documents lors des European Development Days à Bruxelles, en juin 2016. Luchmeenaraidoo devait aussi objecter à ce que je signe l’Accord de Paris à New York. En fait, à ma grande surprise, j’ai eu à quitter la salle afin de permettre à l’ambassadeur de Maurice de signer au nom du pays. »
A ce stade du mémorandum, Ameenah Gurib-Fakim ouvre une parenthèse pour expliquer son état d’esprit au moment où elle avait accédé à ses hautes fonctions :
« Je ne considérais pas la présidence comme juste couper les rubans ou exprimer des platitudes, mais qu’il me fallait m’engager pour faire avancer plus loin les intérêts du pays, promouvoir ses réalisations et ses progrès sur la scène internationale. J’ai été grandement influencée par ces pays qui ont accordé priorité à la science, à la technologie et à l’innovation, telle la Corée du Sud, passée du statut de pays en développement à celui de pays économiquement totalement industrialisé. Pour cela, le gouvernement sud-coréen a travaillé étroitement avec un large éventail de partenaires du secteur privé, de philanthropes et a constamment accordé priorité aux investissements en faveur de son peuple. Il a développé sa connaissance de l’économie, d’autant plus que le pays ne possède pas de ressources naturelles. Les Coréens ont investi dans les parcs scientifiques et ont accordé une grande importance aux académiciens. Des entrepreneurs et tous ceux qui avaient une idée pouvaient la développer. Ceux-là devenaient ainsi des créateurs d’emplois. Ces endroits incubateurs fleurissent à travers le continent africain et à Maurice j’en ai créé un au CIDP Biopark, à Phoenix. »
Ameenah Gurib-Fakim a souligné qu’elle avait quitté l’Université de Maurice avec le sentiment qu’elle y était arrivée au sommet de sa carrière. Elle avait postulé trois fois, mais en vain, pour la fonction de vice-chancelière, ensuite une fois pour le poste de directeur de la Tertiary Education Commission.
« Puis, j’ai rencontré un philanthrope, M. J. L. Roule, qui est devenu mon partenaire dans la création du Center for Phytotheraphy Research Ltd-CEPHYR Ltd. Ce centre a ensuite été rebaptisé CIPD Research Ltd. J’employais déjà alors sept gradués et offrais de l’espace à de jeunes ‘undergraduates’ pour acquérir de l’expérience valable dans la recherche, pour améliorer leur CV avec, en vue, de meilleures perspectives. »
« Je suis venue à la State House avec une vision : travailler pour mon pays et utiliser toute l’expérience et toute la crédibilité que j’ai acquises au niveau international afin de faire prévaloir un agenda de développement soutenable au profit de tous les Mauriciens. Ma relation avec l’actuel Premier ministre a toujours été civilisée. Toutefois, elle est devenue plus distante après. Je lui ai opposé mon désaccord avec quelques nominations qu’il (Pravind Jugnauth) voulait faire et qui nécessitaient l’implication de la présidence, spécialement des nominations d’ordre constitutionnel. Il avait recommandé un Deputy Permanent Secretary pour présider la Public Service Commission et il avait suggéré que je désigne Mme Oree à l’Electoral Supervisory Commission (ESC). »
Des désaccords avec l’actuel PM
Selon le mémorandum, en dépit de ces différents, Pravind Jugnauth est resté correct durant ses rencontres des jeudis matins avec Ameenah Gurib-Fakim. Mais ces relations se sont réellement gâtées après la publication d’articles de presse, le 28 février 2018, au sujet de la carte de crédit de Planet Earth Institute.
« Il paraissait avoir accepté mes explications. Cependant, j’ai vu une tout autre personne quand, le 6 mars suivant, Pravind Jugnauth et Ivan Collendavelloo sont venus me rendre visite à la State House pour me demander de démissionner. De plus, j’ai été choquée quand il (Pravind Jugnauth) a annoncé publiquement que j’avais agréé à sa demande et que je lui avais donné une date pour mon départ. Comme on peut s’y attendre, à partir de là, nos relations professionnelles se sont détériorées, je sentais que nous avions perdu confiance l’un envers l’autre.
Après que le Conseil des ministres a décidé de mettre un tribunal sur pied pour me révoquer, l’ancien Premier ministre (SAJ), qui est venu me voir pour m’avertir de m’en aller tranquillement et de ne pas faire face à ce tribunal, car les gens iraient dire toutes sortes de choses sur moi à ce tribunal, je lui ait répondu d’aller de l’avant avec le tribunal, car j’ai le fort sentiment de n’avoir rien fait de mal. »