Alors que le ministère de l’Éducation compte lancer un système d’accompagnement en ligne afin de décourager les leçons particulières, parents et enseignants sont sceptiques quant à la réussite d’un tel modèle. Pour eux, les leçons particulières sont bien ancrées dans les habitudes à Maurice et s’avèrent même nécessaires dans certains cas. Souvent, c’est le système lui-même qui pousse les élèves vers les leçons particulières. Pour offrir le meilleur à leurs enfants, des parents n’hésitent pas à débourser jusqu’à Rs 1 500 par matière par mois.
Sévères critiques des Agaléens
Il n’y a pas que la reprise tardive à école pour une dizaine de jeunes agaléens scolarisés à Maurice qui mécontente les habitants d’Agaléga en ce début d’année. Alors que l’année scolaire a débuté, MEDCO Agalega n’a en effet pas reçu les manuels pour le Grade 7 et l’Extended Stream. Et ce dans le contexte d’un branle-bas de combat au niveau de l’Outer Islands Development Corporation (OIDC) et de certains ministères depuis plusieurs jours pour trouver un transport pouvant ramener ces jeunes à Maurice. Selon nos informations, il y aurait un certain cafouillage et des opinions différentes dans les milieux des autorités concernées par rapport à ce problème. L’Ombudsperson for Children et le ministère des Droits des enfants s’y sont eux aussi intéressés.
La scolarisation à Maurice de onze jeunes Agaléens toujours bloqués dans leur île par faute de transport à leur disposition est la principale préoccupation des parents de ces jeunes. Cette question susicite le mécontentement dans la population à Agaléga mais aussi parmi les Agaléens vivant à Maurice. Dans un communiqué avant-hier le ministère des Îles Éparses affirmait que « leur retour immédiat n’est pas possible », en évoquant les mauvaises conditions climatiques et en donnant aussi des raisons d’ordre technique concernant le navire Barracuda. « Leur retour immédiat n’est pas possible, à cause des récentes intempéries à Maurice qui font que les conditions en mer sont trop mauvaises pour qu’ils puissent être récupérés par bateau tout de suite. De plus, le Barracuda est actuellement en servicing », dit le ministère des Îles Éparses. « De surcroît, dû à un problème avec la piste d’atterrissage à Agaléga, il n’est pas possible pour le Dornier d’y atterrir en ce moment. La piste d’atterrissage est actuellement en réparation », ajoute le ministère.
Cette instance demandait par là même aux jeunes attendant leur retour vers Maurice de « patienter encore un peu ». Dans le but de rassurer leurs parents sur la vie scolaire de leurs enfants, le ministère a demandé à ces derniers « de rejoindre » temporairement MEDCO Agaléga depuis le 11 janvier 2018 en affirmant que « toutes les mesures ont été prises », pour leur assurer « une scolarité continue ».
Les parents ont répondu positivement à cette suggestion et ont envoyé effectivement leurs enfants à l’école avant-hier. Mais ces derniers ont été très déçus de cette première expérience car l’encadrement de MEDCO Agaléga, selon leurs dires, ne répond pas à leurs besoins. Des parents d’élèves concernés sont allés se rendre compte eux-mêmes de la situation et sont furieux envers les autorités après leur constat. Angelin Laurence, dont le fils est admis en Form V au Collège Père Laval à Maurice, a fait part au Mauricien de son mécontentement. « Nou finn anvoy nou zanfan pou kopere. Mais nivo MEDCO Agaléga pa parey kouma nivo lekol dan Moris. Mo garson inn al lekol zedi e zot finn dir li pena klas Form V. Dayer li pa finn fer nanryen. Kan mo finn pran konesans sitiasion-la mo trouve ki vomie li rest lakaz li reviz par limem. Bann lotorite dir nou pran kont ledikasion nou zanfan me nou pa gagn tretman ki bizin », témoigne avec un brin d’amertume ce jeune père de famille. Celui-ci cite aussi le cas d’une jeune fille admise en Form IV cette année au collège BPS et qui est aussi pénalisée depuis quelques jours dans ses études à cause de ce problème de transport. « Cette collégienne de BPS a pris l’option des matières scientifiques pour le SC mais MEDCO Agaléga n’offre pas ces matières parce que l’école n’est pas équipée dans cette filière d’études. Sa tifi là la pe perdi bokou », affirme Angelin Laurence.
Selon nos informations, il y aurait quelques divergences de vues entre les différents organismes concernés pour trouver une solution à cette question de transport et il semblerait que l’option d’avoir recours à un avion d’Air Seychelles pour le retour de cette dizaine de collégiens agaléens n’a pas été complètement écartée par le gouvernement même si cette alternative a un coût.
Par ailleurs, des parents d’enfants concernés par ce retour à Maurice ont fait savoir aux autorités à Maurice, qu’ils ne souhaiteraient que ces jeunes entreprennent le voyage à bord du Barracuda, le bateau de la National Coast Guard, parce que le cadre n’y serait pas confortable et qu’en outre, certains Agaléens auraient déjà été confrontés à certains problèmes sérieux en voyageant sur ce bateau. « Un jeune qui a voyagé a bord de ce bateau en décembre est tombé malade et il n’a pas eu le traitement qu’il fallait avec l’équipage. Nous avons rapporté ce cas à l’Ombudsperson for Children et à d’autres autorités à Maurice », raconte un habitant.
Un autre problème mécontente des habitants dans l’île : la non-disponibilité des nouveaux manuels pour les classes de Grade 7 et pour ceux dans l’Extended Stream alors que les classes dans l’île ont démarré lundi dernier. Aux dires des parents, ces livres pourraient arriver par le premier voyage du Barracuda vers Agalé- ga, c’est-à-dire au début de février. « Pour le moman, bann profeser pe servi bann liv lane dernyer », affirmait à la mi-journée au Mauricien un habitant qui témoigne d’un grand intérêt pour la question de l’éducation dans l’archipel. « Mo agase parski se pa premier fwa ki sertin liv lekol arive apre ki lekol fini koumanse », dit cet habitant.
Dans le cadre de sa réforme éducative, la ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun, a annoncé la mise en place d’une plateforme avec des ressources en ligne pour accompagner les collégiens dans leurs études. Elle avait présenté l’idée lors du lancement du curriculum du secondaire de la Nine-Year Continuous Basic Education (NYCBE), l’année dernière. Selon les prévisions du ministère, ce concept pourrait être lancé cette année, à l’intention des étudiants de Grade 7.
Toutefois, dans le concret, les leçons particulières demeurent une réalité, souvent encouragée par le système lui-même. Vinod Seegum, président de la Government Teachers Union (GTU), relève que le système éducatif mauricien reste très compétitif, en dépit de la réforme. L’accès aux académies après le Grade 9 (Form III) et l’attribution des bourses d’État, nationales ou régionales, continueront à nourrir les leçons particulières. « Le système d’accompagnement en ligne va sans doute aider certains, mais les parents qui ont les moyens et dont les enfants concourent pour une bourse n’hésiteront pas à débourser de grosses sommes chaque mois dans les leçons particulières, afin de donner les meilleures chances à leurs enfants. » Il souligne également que c’est au secondaire que les leçons particulières prennent une dimension importante, voire exagérée, en raison de ces enjeux. Dans certains cas, les étudiants prennent deux leçons par sujet pour atteindre leur objectif.
Vinod Seegum rappelle également que plusieurs gouvernements ont essayé à plusieurs reprises d’en finir avec les leçons particulières, sans y parvenir. « En 1996, Kadress Pillay avait fait une première tentative, en interdisant les leçons particulières dans les écoles. Mais par la suite, James Burty David, qui assurait l’intérimat à l’Éducation, avait renversé cette décision. Il y a quelques années, Vasant Bunwaree a fait amender la loi interdisant les leçons particulières en 4e. Mais elles continuent en 5e et 6e. »
D’aucuns font remarquer que si l’actuelle ministre veut vraiment en finir avec les leçons particulières, elle devrait commencer par les interdire dans l’enceinte des écoles du gouvernement, comme c’est le cas pour les écoles et collèges catholiques. Vinod Seegum ne cache pas que c’est lui qui avait fait la demande à Armoogum Parsuramen pour la tenue des leçons à l’école pour des questions pratiques, en 1989. « Interdire ces leçons aujourd’hui provoquerait un gros mécontentement des parents et la ministre en est consciente. »
Un enseignant du secondaire, donnant lui-même des leçons particulières, affirme lui aussi, que c’est le système lui-même qui encourage les leçons particulières. « On dit que les enseignants se font beaucoup d’argent avec les leçons particulières. Si cela est vrai, il faut reconnaître que l’étudiant en sort aussi gagnant. C’est un plus qui lui est donné pour faire face à la compétition », affirme-t-il. L’enseignant ajoute qu’il y a des étudiants doués, qui ont besoin des leçons particulières pour développer pleinement leurs potentiels. « Ces étudiants, surtout s’ils sont dans une institution où il y a les mixed abilities, n’arrivent pas vraiment à donner le meilleur d’eux-mêmes au collège. Ils ont besoin de compétition. C’est dans les leçons, souvent confrontés à d’autres jeunes de leur niveau et à un prof rodé pour travailler avec ce genre d’élèves, qu’ils se lâchent. »
À ce propos, si les leçons particulières touchent tout le monde, il faut faire la distinction entre ceux qui ont besoin d’aide et ceux qui visent l’excellence. Ces derniers ne vont pas chez n’importe quel enseignant. Il y en a cinq ou six, réputés pour former les futurs lauréats. Presque tous les élèves des collèges d’élite se retrouvent chez eux. Et qu’en est-il des prix ? Ils peuvent aller jusqu’à Rs 1 500 par matière, dépendant de la filière choisie (voir encadré).
Kevin, élève dans un collège d’élite, regrette, lui, que tous les enseignants ne sont pas aussi dévoués. « Quand vous avez quelqu’un qui explique bien et qui est prêt à vous aider en cas de difficultés, vous n’avez pas besoin de leçons. Mais quand vous tombez sur quelqu’un qui n’est pas sympathique ou que vous ne comprenez rien quand il explique, vous n’avez d’autre choix. »
De même, ajoute-t-il, dans un collège comme le sien, si on ne prend pas de leçons, on risque de se retrouver à la traîne. « Quand je suis entré en Form I et que je ne prenais pas de leçons, certains dans ma classe prenaient déjà des leçons de Form II ou de Form III. C’est la réalité du système. »
Pallavi Rengasamy : « Briller sans leçons »
Les leçons particulières sont-elles pour autant incontournables pour réussir ? Non, dit Pallavi Rengasamy, élève à la Sharma Jugdambi SSS, qui a décroché 7 unités à ses examens de SC en 2016. Actuellement elle prépare son HSC, sans avoir recours aux leçons particulières. Son nouveau défi : tenter justement de décrocher une bourse sans leçons. « Pour moi, les leçons sont une perte de temps. Je préfère rentrer chez moi et travailler, au lieu d’aller m’asseoir dans des leçons. Je trouve toutes les ressources nécessaires sur Internet. Je peux aussi compter sur mes profs au collège et je fais un study group avec mes amis. »
La jeune fille avoue cependant, que ce qui s’applique pour elle, n’est peut-être pas valable pour d’autres. « Moi j’arrive à travailler comme cela, mais d’autres ont peut-être besoin d’un coup de pouce, voire d’avoir quelqu’un sur leur dos pour les motiver. Les cas sont différents. Donc, je ne peux pas dire qu’il ne faut pas prendre des leçons. »
Elle est aussi d’avis qu’il ne faut pas sous-estimer les ressources en ligne et va même jusqu’à dire que son parcours n’aurait pas été le même sans Internet.
Combien ça coûte ?
- De Rs 300 par mois au primaire jusqu’à un budget mensuel de Rs 6 000 en terminal du secondaire
Le prix des leçons particulières varie par classe et aussi par filière. Pour le primaire, les leçons commencent officiellement en Grade 5. Mais beaucoup d’enseignants donnent également des leçons en 4e, même si c’est interdit par la loi. Pour le primaire, le tarif pratiqué est généralement de Rs 300.
Ce même prix est pratiqué en « lower secondary » soit Grade 7 à 9 (Form I à III), avec une variation jusqu’à Rs 350, dépendant des enseignants. Avec le nouvel examen de Grade 9 qui déterminera l’entrée dans les académies, les leçons particulières prendront une nouvelle dimension pour ces petites classes du secondaire. Le tarif pratiqué pourrait aussi évoluer avec ce changement.
Actuellement, c’est à partir de grade 10 (Form IV) que la véritable course vers les leçons particulières commence, en raison des examens de Cambridge. Le tarif peut alors varier entre Rs 400 et Rs 600 jusqu’à la Form V, dépendant des profs et des matières.
C’est en HSC que les parents doivent réellement débourser gros pour les leçons. Ceux travaillant avec les élites prennent entre Rs 800 et Rs 1 500 par matière. La filière scientifique s’avère la plus coûteuse, car il faut également prévoir le nécessaire pour la pratique, en sus des livres à acheter. Généralement, une leçon pour une matière scientifique dure trois heures. Soit 1h30 pour le cours et 1h30 pour la pratique. Chez un prof réputé des Plaines Wilhems, les leçons de pratique sont enregistrées sur vidéo. Ce sont les « attendants » de son laboratoire qui assistent les étudiants, pendant qu’ils font leur pratique. Pendant ce temps, il donne des cours à un autre groupe.
Pour des parents dont l’enfant étudie dans la filière scientifique, il faut compter Rs 4 500 pour ses trois matières scientifiques, sans compter les leçons de General Paper et sa matière subsidiaire. Au total, les leçons pour un élève de HSC dans la filière scientifique avoisineraient les Rs 6 000 par mois.